Vincent Goossaert
Détruire les temples pour construire les écoles : reconstitution d’un objet historique
« Construire les écoles avec les biens des temples », miaochan banxue est un objet historique curieux. Il désigne un ensemble d’idées et de pratiques liées tant à l’introduction d’un système éducatif moderne en Chine au début du xxe siècle, qu’à des campagnes de réforme religieuse d’inspiration très diverses. L’article fait le point sur l’historiographie du miaochan banxue, et propose de l’analyser globalement sous quatre perspectives différentes : comme processus politique, partie importante des réformes visant à moderniser l’Etat et la société chinoise ; comme moteur du changement socio-religieux, en évaluant son impact sur la vie des villages et des quartiers ; comme expérience des acteurs historiques, en essayant de comprendre les motivations et les effets des participants, et comme objet intellectuel chez les historiens.
Liu Xun
Une promotion taoïste de l’éducation moderne : l’activisme Quanzhen dans la réforme éducative à Nanyang (1880s-1940s)
Fondé sur le cas du monastère taoïste Xuanmiao, cet article entreprend la reconstitution et l’analyse de l’activisme du taoïsme Quanzhen dans la promotion d’une éducation populaire moderne dans la ville de Nanyang, de la fin des Qing à l’époque républicaine. Contrairement à la vision traditionnelle d’un taoïsme assimilé à un obstacle à la modernité, ou à une simple victime de ce processus, cette étude montre que le monastère Quanzhen et son clergé jouèrent dans la ville, du début du siècle jusqu’aux années 1940, un rôle non seulement actif mais déterminant dans l’établissement et le fonctionnement de nombreuses nouvelles écoles primaires, d’un orphelinat, ainsi que d’un atelier de formation professionnelle. La thèse est que cet activisme ne doit pas être simplement et exclusivement perçu comme l’anticipation contrainte et cynique des menaces d’expropriation étatique, mais bien davantage comme le prolongement d’une collaboration prolongée avec l’État en faveur de la communauté locale, qui commença avec la reconstruction de Nanyang peu après l’invasion mandchoue, et se poursuivit jusqu’à la défense de la ville contre la révolte des Taiping dans les années 1860.
Jean-Paul Wiest
Les écoles catholiques primaires et secondaires face aux réformes de l’enseignement en Chine entre 1850 à 1950
En Chine, durant toute cette période, les enseignants catholiques soutiennent toute réforme qui bénéficie les classes sociales les plus démunies. Par contre ils s’opposent à toute mesure qui pourrait contrecarrer leur mission, celle de maintenir la foi parmi les catholiques chinois et de convertir les non chrétiens. Les écoles catholiques primaires et secondaires ont trois importantes caractéristiques. L’enseignement met la priorité sur l’éducation des populations rurales pauvres. Il est aussi porteur de modernisation parce qu’il introduit des pratiques comme l’instauration de meilleures conditions d’hygiène. Et enfin il joue un rôle crucial dans le développement de l’éducation en milieu féminin. La seconde partie de cet essai se concentre sur les moyens déployés par l’Eglise de Chine pour s’assurer que ses éducateurs reçoivent les renseignements et les consignes nécessaires à la survie et au succès de leurs institutions. Les publications issues par différents offices et commissions et leur contenu, comme la situation des écoles catholiques en différents endroits et les directives du gouvernement chinois, se révèlent être une riche source d’informations.
Gan Chunsong
Différencier les connaissances et les croyances : le débat sur la transformation du confucianisme en religion ou en système de savoirs en Chine moderne
Réformateur « radical » de la Chine du XIXe siècle, Kang Youwei tente d’adapter le confucianisme aux bouleversements de la fin de l’empire afin d’assurer sa survie sous une forme renouvelée. D’une part, il propose, sur le modèle du christianisme, d’établir une « Eglise » confucianiste en l’instituant comme religion d’Etat ; d’autre part, il critique les examens mandarinaux et promeut la réforme éducative, tout en espérant pouvoir combiner l’esprit de l’enseignement traditionnel et l’éducation moderne. Ces tentatives se soldent par un échec : le confucianisme n’est pas transformé en une religion de style chrétien, et la construction de l’éducation moderne lui fait perdre son statut central parmi les valeurs chinoises. L’ambition déçue de Kang Youwei est symptomatique des difficultés que rencontre le confucianisme dans la modernité.
Mao Yufeng
La réforme éducative musulmane et les relations État-Musulmans au 20e siècle en Chine : le cas de l’École Chengda
À partir de l’étude du cas de l’École normale de Chengda, cet article étudie le contenu, le développement et l’influence de la réforme musulmane de l’éducation en Chine à la fin du 19e siècle et dans la première moitié du 20e siècle. La réforme mise en œuvre exerça un rôle moteur dans le renforcement de l’ethnicité Hui, tout en favorisant l’intégration sociale, économique et politique des Musulmans, notamment par le développement de l’apprentissage du mandarin et la coloration patriotique des enseignements. Le succès de l’entreprise résultat notamment du soutien de hauts fonctionnaires Hui dans le gouvernement nationaliste, et passa également par la diffusion du magazine Yuehua et par d’autres publications, qui firent rayonner les idées d’intégration de l’école et exercèrent une forte influence sur la transformation des Musulmans en Chine en « Musulmans chinois ».
Guillaume Dutournier
Les « écoles familiales » en Chine et à Taiwan : triple regard sur un traditionalisme éducatif
Depuis les années 2000, à Taiwan comme en Chine populaire, une petite minorité de parents d’élèves soustraient plus ou moins légalement leurs enfants à l’obligation scolaire, soit pour se charger eux-mêmes de leur entière éducation, soit pour les confier contre rémunération à des particuliers partisans de la même démarche. Pour des motifs tant identitaires qu’éducatifs, ces pédagogues autoproclamés se détournent de l’institution scolaire, tentant ainsi de renouer, par-delà les ruptures modernistes du 20e siècle, avec une éducation familiale associant le développement de l’enfant à la mémorisation des Classiques confucéens. Expression radicale du « mouvement pour la lecture des Classiques par les enfants », ce phénomène porte la marque de l’universitaire taiwanais Wang Caigui, qui promeut à travers cette forme d’éducation alternative un projet élitiste, mais privé pour l’heure d’une véritable validation institutionnelle. Basé sur un ensemble de cas continentaux et taiwanais, cette étude mesure la cohérence tant idéologique qu’organisationnelle des « écoles familiales », tout en montrant l’impact du double contexte socio-politique sur leurs dynamiques et leurs modes de légitimation. La délimitation de trois domaines d’effectivité sociale, qui ressortissent à trois perspectives distinctes, permet de prendre en compte l’idiosyncrasie du phénomène sans ignorer sa dimension générique.
Sébastien Billoud
Le rôle de l’éducation dans le projet salvateur du Yiguandao
Troisième religion de Taiwan alors qu’il reste interdit en Chine continentale, le Yiguandao (Voie de l’unité reliant toutes choses), souvent considéré comme un « nouveau mouvement religieux », se développe aujourd’hui rapidement dans toute l’Asie. À partir d’une étude ethnographique conduite à Hong Kong, on s’attachera ici à comprendre le rôle que joue l’éducation dans son expansion. On analysera notamment son entreprise de promotion dans la société de textes classiques majoritairement confucéens et l’importance attribuée à la formation des adeptes. Enfin, on montrera que la valorisation de l’éducation/transformation (jiaohua) constitue aussi pour le Yiguandao un moyen de se légitimer vis-à-vis des autorités politiques, que ce soit à Taiwan ou, plus récemment, en Chine continentale.
Peter van der Veer
Religion et éducation dans un âge séculaire : une perspective comparatiste
L’éducation est un élément central de la religion, tant il est vrai que pour être capable d’envoyer, de recevoir, d’interpréter le message religieux, il est nécessaire d’être éduqué. Mais l’éducation est également un aspect fondamental de l’État-nation moderne et laïque, lequel exige de ses sujets de se plier à la discipline d’un programme d’éducation nationale. Ce programme contient les notions élémentaires de la science moderne – requis pour l’éducation d’une main d’œuvre adéquate – mais aussi les fondements de la culture nationale tels que la langue et l’histoire. Cet article envisage le sécularisme et la religion comme mutuellement constitutifs, de sorte que ce qui est séculaire est modelé par ce qui est religieux, et réciproquement. Il analyse cette relation dans une perspective comparatiste en se concentrant sur la Chine et l’Inde. Une attention spéciale est accordée à l’enseignement de la science et de la morale nationale, de même qu’à l’importance de la langue tant dans la religion que dans le nationalisme.