Michel LAUWERS : « Paroisse, paroissiens et territoire. Remarques sur « parochia » dans les textes latins du Moyen Âge »
L’étude lexicale proposée explore la dimension spatiale des usages du mot parochia. Dans un premier temps, parochia paraît avoir surtout désigné le populus, c’est-à-dire les fidèles d’une église, dont l’assemblée faisait et définissait la plebs. C’est alors l’autorité épiscopale exercée sur un certain nombre de plebes qui donnait consistance au diocèse. À partir du IXe siècle, l’idée s’imposa en outre qu’à tout lieu de culte devait correspondre une aire de prélèvement de la dîme (parfois qualifiée de parochia, souvent désignée par le mot terminum). Les fidèles dépendant d’une église – et s’inscrivant désormais au sein d’un espace plus ou moins circonscrit – furent à cette époque qualifiés de « paroissiens » (parochiani). Les attestations de parochia entre le IXe et le XIIe siècle font apparaître que la « paroisse » fut alors progressivement comprise comme une structure spatiale assurant aux populations des lieux de culte de proximité.
Parochia – paroissien – territoire
John BLAIR : « recherches récentes sur la formation des paroisses en Angleterre : similitudes et différences avec la France »
Cet article compare la formation des paroisses en Angleterre et en France. Le modèle d’un système mis en place par l’autorité épiscopale – fondé essentiellement sur les textes des conciles et les sources concernant la Touraine – convient moins bien à l’Angleterre et au Nord de la France qu’aux régions situées au sud de la Loire : au cours des années 650-850, la culture essentiellement monastique de l’Angleterre la rapproche de la « Gaule monastique » de J.-F. Lemarignier. Les premières paroisses anglaises se sont formées autour des centres monastiques régionaux (minsters), en s’adaptant aux structures de domination foncière, d’imposition et d’identité communautaire. C’est seulement à partir de 900, et de la fragmentation des grands domaines fonciers, que ces « paroisses-mères » ont été subdivisées à leur tour et ont donné naissance à de nouvelles paroisses, d’origine seigneuriale : un processus qui est probablement plus proche qu’on ne le croyait de celui qui s’est produit dans certaines régions de la France du Nord. Cette nouvelle identité paroissiale s’est traduite par un contrôle accru des inhumations et la mise en place, autour des minsters comme des églises locales, de cimetières consacrés et délimités.
Paroisse – monastère – encadrement pastoral – sépulture
Hélène NOIZET : « De l’église au territoire : les paroisses à Tours (XIe-XIIIe s.) »
Entre les XIe et XIIIe siècles, plusieurs étapes de la formation des paroisses de la ville de Tours peuvent être reconstituées à partir des sources diplomatiques. À cette époque, les droits paroissiaux de baptême et de sépulture constituent le véritable enjeu disputé entre les institutions ecclésiastiques et les paroisses ne semblent pas conçues comme des territoires. Simplement certains points de l’espace urbain – les ecclesiae – émergent comme des pôles de regroupement des fidèles afin de constituer des revenus suffisants au desservant de la paroisse, la délimitation précise d’un espace paroissial n’intervenant qu’en cas de litige. À l’échelle de la ville, la mise en cohérence de ces quelques points, ainsi que la fonction paroissiale qui leur est nouvellement assignée, caractérise l’émergence d’une topographie paroissiale, qui ne se territorialise, dans la pratique, qu’à la fin du XIIIe siècle.
Tours – paroisse urbaine – territoire – sépulture – baptême
François COMTE, Emmanuel GRELOIS : « La formation des paroisses urbaines : les exemples d’Angers et de Clermont (Xe-XIIIe siècles) »
Mal identifiées avant le XIIe siècle à Angers et le XIIIe à Clermont, les paroisses urbaines apparaissent autour des anciennes basiliques funéraires devenues monastères ou chapitres, selon une chronologie incertaine. Au XIIe siècle, les nouvelles paroisses d’Angers sont mieux connues grâce aux mentions des desservants et à leurs délimitations territoriales ; les 16 paroisses, en tout, sont pour l’essentiel calquées sur les censives des établissements religieux. À Clermont, les chapitres et les établissements réguliers se partagent l’espace urbain et suburbain en 14 paroisses (18 avec Chamalières et Montferrand) de dimensions très inégales et peu modifiées par l’évolution du peuplement.
Angers – Clermont-Ferrand – paroisse urbaine – limites
Florent HAUTEFEUILLE : « La délimitation des territoires paroissiaux dans les pays de moyenne Garonne (Xe-XVe siècles) »
Dans l’aire de la confluence Tarn-Aveyron-Garonne, la documentation fait apparaître plusieurs types de paroisses, attachées à différents types d’églises, de l’église annexe au prieuré. Ces différences paraissent plus juridiques ou fiscales que réelles dans le fonctionnement quotidien de la paroisse des paroissiens. Par ailleurs, le processus de territorialisation des paroisses semble tardif et lent à se généraliser. Il s’explique par trois phénomènes qui se mêlent : l’influence de structures issues du passé, la contrainte géographique et les aléas de l’histoire contemporaine du processus de formation.
Quercy – prieuré – territoire – hiérarchie – dîmes
Samuel LETURCQ : « Territoires agraires et limites paroissiales »
Le « terroir », territoire sur lequel une communauté paysanne exerce une compétence en matière agraire, est une réalité mal connue des campagnes médiévales et modernes. En l’absence de sources définissant précisément cette réalité spatiale, les historiens tendent volontiers à confondre territoire agraire et territoire paroissial. De nombreux exemples, répartis sur l’ensemble du territoire français, montrent toutefois que cette confusion doit être évitée ; le territoire agraire possède une cohérence assise sur une logique d’exploitation foncière étrangère aux préoccupations religieuses ou fiscales de la paroisse. Une paroisse peut être morcelée en plusieurs territoires agraires, ou alors être intégrée toute entière, ou en partie, dans un territoire dont l’existence juridique est fondée sur des ententes intercommunautaires.
Terroir – agriculture – communauté rurale – paroisse
Élisabeth ZADORA-RIO : « Territoires paroissiaux et construction de l’espace vernaculaire »
La nouveauté radicale du réseau paroissial, par rapport aux découpages administratifs de l’Antiquité et du haut Moyen Âge, tient à son échelle : c’est le premier maillage administratif à l’échelle de l’espace vernaculaire dans lequel s’inscrivent les pratiques religieuses et sociales des populations locales. Si la volonté d’enraciner la communauté paroissiale dans un territoire cohérent et précisément circonscrit est bien attestée aux XIIe-XIIIe siècles, et si ses origines peuvent être tracées jusqu’au IXe siècle, sa mise en œuvre s’est heurtée à de nombreux obstacles, dus en particulier aux ressorts multiples des droits paroissiaux, qui n’étaient ni co-extensifs, ni précisément délimités. Les superpositions de territoires étaient nombreuses et ont pris fin seulement avec la cartographie moderne, lors de la création des communes en 1790.
Paroisse – territoire – limite – cospatialité
Piroska NAGY : « La notion de chistianitas et la spatialisation du sacré au Xe siècle : un sermon d’Abbon de Saint-Germain »
Dans le cadre d’une recherche collective sur la spatialisation et la territorialisation du sacré, l’article s’intéresse à l’usage et aux sens de la notion de christianitas en France au début du Xe siècle. Par rapport à l’idée originelle de l’Église, incarnant la communauté des croyants d’une religion qui se veut hors du monde, la spatialisation ou territorialisation de la chrétienté, en cours depuis les débuts de l’ancrage au sol de l’Église, représente une inversion. Or l’usage du terme « chrétienté » avec un sens social et spatial apparaît avec l’affirmation de l’Empire carolingien aux alentours de l’an 800, dans les milieux proches de l’empereur et du pape ; au moment de la disparition de l’Empire, il est relayé par le discours monastique. C’est ce discours qu’analyse l’article, tel qu’il se manifeste dans le sermon d’Abbon de Saint-Germain intitulé Du fondement et de l’accroissement de la chrétienté, rédigé probablement dans les années 920. On perçoit ici l’émergence d’un pouvoir ecclésial qui est en train de se profiler comme garant de l’ordre, en clamant la translatio de la christianitas en l’absence d’un imperium.
Abbon de Saint-Germain – chrétienté – spatialisation/territorialisation – Église
Bruno LAURIOUX : « Le prince des cuisiniers et le cuisinier des princes : nouveaux documents sur Maestro Martino, cocus secretus du Pape »
Bien connu pour avoir été l’inspirateur du versant culinaire du De honesta voluptate de Platina, Maestro Martino a vu son existence et sa carrière progressivement dévoilées au gré de la réapparition des manuscrits de son livre de recettes, le Libro de arte coquinaria. Les notations contenues dans les archives de la papauté, et notamment dans les comptes de menues dépenses de la maison pontificale, permettent de compléter son parcours avec un long séjour à Rome, au service des papes Paul II puis Sixte IV. Cuisinier secret engagé par le pape avant même la mort de son précédent patron (le patriarche d’Aquilée), Maestro Martino a joué un rôle de premier plan dans la préparation de la collation du carnaval de 1466, un des temps forts du pontificat de Paul II.
Cuisiniers – papes – Paul II – comptes d’approvisionnement – humanisme
Julie SINGER : « L’horlogerie et la mécanique de l’allégorie chez Jean Froissart »
L’Orloge amoureus de Jean Froissart, un poème narratif rédigé vers 1368, se construit à partir d’une comparaison simple : l’amant est comme une horloge, ou plus précisément, l’amant peut bien être comparé à l’horloge. Dans cet article nous proposons de résumer les innovations de l’horlogerie au XIVe siècle et de situer le poème de Froissart dans le contexte d’autres ouvrages contemporains traitant de l’horloge ou de l’horlogerie. L’élaboration de l’Orloge amoureus en trois « modes » de narration lui donne à la fois le caractère d’un traité de l’horlogerie, d’une description allégorique de la psychologie de l’amant, et d’un appel direct à la dame aimée. Alors que la composition du texte à partir d’un modèle mécanique met en relief les concepts fondamentaux de l’ordre et de la mesure, l’instabilité inhérente au rapport entre les trois modes expose et déconstruit le travail que fait le créateur d’une allégorie amoureuse.
Jean Froissart – Orloge amoureus – horlogerie – allégorie