Victor Barabino
Les combattants nordiques médiévaux
dans l’historiographie des années 1920
aux années 2020
Lorsque l’on évoque les figures combattantes du Nord médiéval, les vikings sont généralement les premiers exemples qui viennent à l’esprit. Pourtant, il existe bien d’autres modèles de combattants nordiques médiévaux et ce n’est que sous l’influence combinée de plusieurs traditions historiographiques que le viking est devenu la figure emblématique de ces « guerriers du Nord ». Ces derniers se présentent en effet comme une variante des « hommes du Nord », concept qui naît au xixe siècle d’une traduction littérale de la notion médiévale de Nortmanni, désignant spécifiquement les pillards scandinaves qui terrifièrent les populations occidentales du haut Moyen Âge par leur violence guerrière. C’est ainsi que l’expression conduit à confondre progressivement tous les peuples considérés comme nordiques, selon une conception très vague de ce que ce « Nord » pourrait recouvrir. Dans cette « géographie imaginaire 1 » qui se constitue au fil des siècles en Occident, les « guerriers du Nord » prennent alors des significations diverses en fonction des contextes historiques, politiques et idéologiques dans lesquels ils sont repris.
Ce dossier se propose de mettre en évidence la diversité des figures combattantes nordiques du Moyen Âge qui se cache sous cette expression de « guerriers du Nord » et de révéler les conceptions idéologiques qui ont pu influencer les diverses interprétations de cette expression. Au sein de cette introduction, nous entreprenons tout d’abord de décomposer les étapes de la constitution de ces modèles de « guerriers du Nord » qui ont émergé au sein des études nordiques et médiévales, plus spécifiquement au cours du dernier siècle (1920-2020). Nous verrons dans un premier temps comment un modèle stéréotypé des « guerriers du Nord » s’est consolidé autour de la figure du viking et s’est progressivement chargé de conceptions idéologiques principalement héritées du xixe siècle. Ces dernières trouvèrent sous le IIIe Reich une expression particulièrement extrême, avec laquelle les historiens et les civilisationnistes ont eu à se débattre jusqu’à nos jours. Nous nous intéresserons ainsi, dans un second temps, à la manière dont les « guerriers du Nord » sont devenus un objet d’étude proprement historique dans la seconde moitié du xxe siècle, permettant de rompre avec certains stéréotypes. Les cinq études de cas présentées dans chacun des articles de ce dossier entendent contribuer à remettre en question tous ces modèles des « guerriers du Nord » apparus au xxe siècle. En se focalisant sur une région particulière du Nord médiéval et dans la perspective d’une mise à distance de la figure du viking, chacune de ces études se penchera sur des exemples extérieurs à la Scandinavie elle-même, des îles Britanniques au pourtour de la mer Baltique, en passant par la Normandie. Par ce tour d’horizon, nous espérons montrer que les « guerriers du Nord » sont une construction historiographique ancienne, héritière d’une certaine idée de ce que l’on pourrait appeler la « septentrionalité guerrière 2 », largement remise en question durant les dernières décennies.
Avant 1920 : la matrice des imaginaires des « guerriers du Nord » aux XVIIIe et XIXe siècles :
Si ce que l’on pourrait appeler la « fabrique nazie des guerriers du Nord » fut déterminante dans l’évolution de l’historiographie portant sur la thématique à l’étude dans ce dossier, il convient tout d’abord de préciser que ce thème ne naît pas dans les années 1920 avec le nazisme mais découle en réalité d’une tradition intellectuelle bien plus ancienne, remontant au moins à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Durant cette période, les théories de Herder donnent naissance à un champ de réflexion nouveau sur la notion de peuple, élaborée à partir de critères culturels, notamment linguistiques, en tant qu’expressions du « génie » de chaque peuple (Volksgeist). Dans cette optique, les pays scandinaves se trouvent mis côte à côte avec les espaces de langue allemande au sein des premiers travaux de philologie comparée. Plusieurs penseurs de l’Aufklärung et des Lumières s’intéressent alors plus spécifiquement au sous-ensemble nordique de cette catégorie des « peuples germaniques ». Ainsi, dès 1755, Paul-Henri Mallet (1730-1807) tente de dépeindre la civilisation des vikings en mettant en particulier l’accent sur leur attachement supposé au principe de l’amor fati, caractéristique centrale pouvant selon lui expliquer la propension au combat de ces guerriers scandinaves 3. Cette vision a d’ailleurs laissé une trace durable dans les études nordiques. Elle a encore été récemment reprise par l’historien britannique James H. Barrett, qui propose de faire du mythe du ragnarök, bataille finale marquant la fin des temps, une des explications possibles d’un « déterminisme idéologique » des vikings à s’exposer aux dangers d’une mort violente lors des raids 4. Dans cette perspective, les vikings sont donc forcément des « guerriers du Nord » d’une grande brutalité, car leur paradigme de croyances religieuses les prédisposerait à un certain fatalisme et bellicisme.
Toutefois, c’est surtout au xixe siècle, au sein du romantisme, que cette vision connaît son plein développement. En reprenant des tropes trouvés dans la mythologie scandinave, les premiers philologues du vieux norrois interprètent par exemple en ce sens l’Edda de Snorri, ouvrage dans lequel le prosateur islandais du xiiie siècle prétend décrire les anciens mythes scandinaves, alors même qu’à cette époque l’ère viking est révolue depuis près de trois siècles. Dans un contexte où le champ de la scandinavistique se forme dans le sillage de la philologie comparée 5, l’expression « guerriers du Nord » commence à apparaître pour désigner les guerriers vikings dans des ouvrages tels que l’Histoire des révolutions de Norvège de Jean-Pierre Catteau-Calleville en 1818 6. Cependant, tout au long du xixe siècle, le concept tend progressivement à recouvrir l’ensemble des combattants appartenant aux peuples dits « germaniques ». Ainsi en est-il sous la plume de François Laurent qui l’utilise en 1861 comme équivalent des « Germains » : le « héros des Nibelungen », Siegfried, est alors désigné comme l’un de ces « guerriers du Nord 7 ».
Du côté germanophone, au sein du mouvement völkisch qui émerge au tournant du xxe siècle, on utilise également l’expression « guerriers du Nord » (nordische Krieger ou Krieger aus dem Norden). Elle se charge toutefois d’une dimension particulière chez certains penseurs de ce mouvement, qui considèrent que les peuples germaniques ont de tout temps eu une vocation guerrière à coloniser et à dominer les territoires appartenant à un Lebensraum aux contours flous, incluant souvent la Scandinavie. On trouve ainsi l’expression employée au sein d’une démonstration évolutionniste dans Der vorgeschichtlicher Mensch, publié à Leipzig en 1874 8. L’analyse de la dépouille d’un supposé combattant de l’Âge du fer trouvée dans la Hesse rhénane y est mise en parallèle avec les propos de Tacite au sujet des Germains, puis comparée avec des résultats de fouilles archéologiques menées au Danemark. Le postulat sous-jacent semble donc bel et bien consister en l’idée que le « guerrier du Nord » en question peut être intégré à un espace civilisationnel plus large, incluant au minimum l’Allemagne et un pays scandinave. L’idée de race combattante nordique, puis aryenne, n’est pas loin, puisqu’on la trouve quelques décennies plus tard sous la plume de l’auteur völkisch Willibald Hentschel, qui s’attache à décrire un « peuple aryen de guerriers et de seigneurs » (arisches Krieger- und Herrenvolk) dans son ouvrage de 1902 intitulé Varuna 9. Sur chacune des rives du Rhin se constitue donc un véritable réservoir d’idées et d’interprétations à partir duquel tout le xxe siècle vient par la suite fabriquer ses propres imaginaires des « guerriers du Nord ».
Nazification et dénazification des « guerriers du Nord »
Si certaines théories völkisch sont bel et bien reprises sous le IIIe Reich, les théorisations nazies qui apparaissent dans l’entre-deux-guerres donnent quant à elles un sens bien particulier à l’expression « guerriers du Nord ». Il convient de s’y arrêter plus précisément. Le régime nazi avait en effet à son service de nombreux idéologues et propagandistes qui reprenaient et étoffaient les théories racistes échafaudées par Hitler dès 1924-1925 dans Mein Kampf 10. Le titre de cet ouvrage fondateur du nazisme (Mon combat) est annonciateur de l’importance de la figure du guerrier dans l’idéologie du IIIe Reich 11. Dès l’accession d’Hitler au pouvoir, cette dernière est soutenue par le recrutement officiel de spécialistes prétendant démontrer, par la science, la validité des théories raciales du régime. Outre des recherches en « biologie humaine 12 », l’histoire joue alors un rôle d’une extrême importance dans cette « scientifisation » apparente du discours idéologique nazi 13. Le gouvernement du Reich met en effet en place des instituts de recherche tels que l’Ahnenerbe 14, destiné à des recherches en histoire, en archéologie, en linguistique et à tout ce qui a trait aux origines de la culture dite germanique.
Parmi les spécialistes qui participent à ces recherches au service du régime nazi, un certain Otto Höfler (1901-1987), membre de l’Ahnenerbe dès 1922 15, publie de nombreux ouvrages concernant les « guerriers germaniques » : selon une vision pangermaniste, ces guerriers sont associés à la fois à la nation allemande et aux autres populations de langue germanique, incluant ainsi les Scandinaves. Si ce lien ethnique peut être justifié entre autres par des arguments linguistiques, comme le soulignait déjà la philologie comparée du xixe siècle, il sert surtout en l’occurrence à légitimer les prétentions impérialistes de l’expansion du Lebensraum aryen. Dans Kultische Geheimbünde der Germanen, publié l’année suivant l’accession d’Hitler au pouvoir, O. Höfler fait le portrait de bandes de guerriers germaniques dont la cohésion repose sur des pratiques rituelles fondées sur de véritables confréries de combattants reliées, de façon systématique, au culte du dieu Odin 16. Ces guerriers étaient bien sûr tenus pour des êtres supérieurs, purs ressortissants de la race aryenne, dont le régime nazi souhaitait la domination totale précisément par l’usage de la force guerrière.
Ce concept de « société secrète à fonction cultuelle » (kultische Geheimbund) s’inscrit quant à lui dans une tradition historiographique proprement allemande, dont O. Höfler n’est qu’un des représentants possibles et qui excède d’ailleurs les limites de la seule propagande nazie. Elle découle en effet de toute une historiographie concernant la notion de Gefolgschaft, que l’on pourrait traduire en français par « escorte », dans la mesure où le terme est apparenté au verbe allemand folgen, « suivre » : il s’agit en effet, de façon générale, de l’entourage d’un seigneur ou d’un prince, qui comprend tous les membres permanents de sa cour, certains ayant alors plus spécifiquement des fonctions militaires. Du fait de similarités avec le système du clientélisme dans l’Antiquité romaine, la notion de comitatus a généralement été considérée comme le meilleur équivalent de la Gefolgschaft, puisque c’est à partir de ce terme latin issu de la Germanie de Tacite et de la Guerre des Gaules de Jules César que des historiens allemands tels que Leopold von Borch ont formé, dès le xixe siècle, leurs propres conceptions d’un compagnonnage guerrier qui aurait été propre aux anciens peuples germaniques 17. Or, ces théorisations, reprises plusieurs décennies plus tard par les idéologues nazis pour justifier la vocation guerrière de la race aryenne, établissaient de façon péremptoire l’existence de telles bandes armées germaniques comme si elles avaient été institutionnalisées de façon claire dès les premiers siècles de notre ère. Plusieurs historiens se sont donc attelés à remettre en question ces théories pseudo-historiques, mais la notion de Gefolgschaft est longtemps restée influente, y compris durant la seconde moitié du xxe siècle. En 1976 encore, John Lindow publiait sa thèse sur le comitatus en soutenant qu’il avait existé de façon indiscutable une Gefolgschaft institutionnalisée dans le monde « nord-germanique 18 », ce qui renforçait à nouveau l’idée d’un grand ensemble civilisationnel assimilant les « guerriers du Nord » au reste des « Germains ». Pourtant, dès 1956, Hans Kuhn avait souligné les limites de la notion de Gefolgschaft comme équivalent germanique du comitatus romain 19. Aussi, la méthodologie de J. Lindow ne tarda pas à être critiquée, notamment par Michael Barnes, qui rejeta les équivalences que J. Lindow proposait entre le comitatus romain et divers termes norrois ayant trait à des formes de bandes armées (notamment drótt, hirð et lið) 20. Ainsi, si l’hypothèse de bandes armées ayant à la fois des fonctions militaires et cultuelles est régulièrement remise au goût du jour par l’historiographie, même récente 21, les notions de Gefolgschaft et de comitatus germanique ont peu à peu disparu à partir des années 1980. À titre d’exemple, Niels Lund ne les employa pas dans sa synthèse sur la garde royale danoise (lið), publiée en 1996 22.
Après l’abandon d’une terminologie désormais dépassée, le processus de ce que l’on pourrait appeler la dénazification de cette hypothèse des confréries de « guerriers du Nord » fut tout aussi long. Il a fallu en effet attendre la publication de The Viking Way, ouvrage paru en 2002 23, où Neil Price a fait le bilan de la manière dont les nazis s’étaient approprié l’histoire de l’ancienne magie guerrière scandinave – le seiðr – à des fins de propagande, notamment par le biais du mythe de la germanische Totenheer, c’est-à-dire de l’« armée germanique des morts » qui, selon une interprétation héritée du romantisme, aurait été menée par le dieu Odin 24. Dans cet ouvrage destiné à l’exploration des pratiques rituelles scandinaves dans le cadre guerrier, Neil Price retrace la manière dont les théories d’Otto Höfler se sont formées, à la lumière des précurseurs du mouvement völkisch, pour constituer ensuite une sorte de version canonique du modèle des « guerriers du Nord » dont l’influence resta persistante tout au long du xxe siècle. Il met notamment en évidence comment O. Höfler, qui avait à partir de 1943 des fonctions importantes au sein de l’Institut de recherches scientifiques de Copenhague, a fait de la Scandinavie un territoire de prolongement naturel des activités des guerriers germaniques 25. En cela, N. Price montre qu’il a contribué à confondre en une seule et même figure historique les combattants germaniques et les combattants nordiques : les « guerriers du Nord » n’étaient pas alors étudiés pour eux-mêmes, mais uniquement comme les produits d’une race germanique supérieure, étendant sa domination sur les terres du Nord et appelée à dominer ainsi l’humanité entière. En 2008, un ouvrage de Michael P. Speidel intitulé Ancient Germanic Warriors est revenu sur ce mythe du guerrier germanique pour en démêler les divers modèles qui avaient été confondus en un seul au moment des théorisations nazies 26. L’auteur distingue plusieurs « styles de guerriers » (warrior styles) 27 en fonction des régions, des périodes, des fonctions et des sources à notre disposition, en soulignant bien le risque qui existe, pour les historiens, de tout confondre en un seul « guerrier germanique ancien », dont le « guerrier du Nord » ne serait alors qu’un dérivé.
La dénazification de la question des « guerriers du Nord » paraît donc désormais avoir eu lieu, du moins dans le champ académique, même si cette figure, prise au sens restreint et faussé que lui donna le nazisme, est récemment revenue dans certains mouvements d’extrême droite, notamment au sein de l’alt-right américaine 28.
Le mythe des « envahisseurs venus du Nord » en France
À côté de l’Allemagne, la France est sans doute l’autre grand pays où la notion de germanité fut interrogée dès le xixe siècle, dans la continuité des travaux de Paul-Henri Mallet. S’y constitua donc une interprétation spécifique des « guerriers du Nord » où s’exprimait de façon plus ou moins explicite la rivalité militaire séculaire entre la France et l’Allemagne. Les « guerriers du Nord » ont ainsi souvent été réduits à des figures d’envahisseurs par les historiens français qui ont eux aussi hérité de représentations issues du romantisme au début du xxe siècle, opposant schématiquement une germanité destructrice à une latinité civilisatrice, comme l’a récemment souligné Thomas Mohnike dans son étude de la réception romantique du dieu Thor en France et en Allemagne 29. Si cette vision française s’appuie en partie sur des phénomènes historiquement connus tels que les raids vikings, elle demeure tendancieuse sur le plan idéologique. Lorsque Ferdinand Lot (1866-1952) publie en 1939 son ouvrage intitulé Les Invasions germaniques 30, il s’inscrit dans une longue tradition occidentale de dépréciation des « hommes du Nord » que l’on peut faire remonter jusqu’à la Germanie de Tacite et qui perdura chez les historiens français jusqu’à la fin du xxe siècle 31. Dans cette interprétation, les combattants nordiques auraient fait partie, dès l’Antiquité tardive, de vagues d’invasions dites barbares, dans une véritable volonté de pillage qui aurait profité du déclin de l’empire romain d’Occident. Cette théorie, récemment étudiée par Ian Wood 32 et Patrick Geary 33, se construit ainsi dès le dernier quart du xviiie siècle, et repose sur le concept de « peuples barbares » ayant entraîné la chute de Rome 34.
La conception du « guerrier du Nord » comme un envahisseur cupide et indésirable demeure la plus prégnante, y compris après-guerre. En 1965, Lucien Musset la reprend en partie, tout en lui donnant un contenu différent, dans le second volume de l’ouvrage qu’il publie sous le titre Les invasions, où il qualifie l’expansion scandinave de véritable « second assaut contre l’Europe chrétienne 35 » : dans le prolongement des théories indo-germanistes de la première moitié du xxe siècle, les combattants scandinaves sont inscrits dans un vaste mouvement d’invasions dites « germaniques » et ne s’en distinguent alors que par leur période, plus tardive (viie-xie siècles), et leur cible, désormais la chrétienté et non plus simplement Rome. Le guerrier viking devient ainsi, sous la plume de l’historien français, l’un des ennemis de la chrétienté, aux côtés des Hongrois et des Sarrasins, et non plus un allié potentiel de cette dernière, contrairement à d’autres guerriers d’origine germanique tels que les Francs saliens qui, avec Clovis, se seraient volontairement convertis au christianisme. On retrouve ainsi l’apparentement entre guerriers du Nord et d’autres guerriers barbares, mais cette fois avec une périodisation qui les fait se succéder dans plusieurs vagues d’invasions distinctes, plutôt que de les confondre totalement. Lucien Musset approfondit cette périodisation tout au long de ses publications jusqu’à aboutir en 1997, dans un chapitre intitulé « Problèmes militaires du monde scandinave (viie-xiie siècles) » de son ouvrage Nordica et Normannica 36, à la théorisation d’une véritable « colonisation nordique » de l’Occident médiéval, via les raids vikings.
Si cette perspective permettait de faire sortir les Scandinaves de la position marginale qui leur avait jusqu’alors été attribuée dans l’histoire française et d’ouvrir ainsi les historiens français à l’étude des sociétés scandinaves médiévales dans la seconde moitié du xxe siècle, elle ne prenait en compte qu’une seule des conséquences possibles des raids, à savoir la colonisation. Il faut attendre la fin du xxe siècle pour que le débat soit rouvert sur les motivations réelles des « guerriers du Nord » et les causes de leurs raids 37 : le point de vue péjoratif concernant les vikings qui est transmis par les sources occidentales, notamment franques et anglaises, est alors remis en question pour tenter d’expliquer autrement que par une volonté de conquête l’expansion scandinave des viiie-xie siècles.
Toutefois, dès la période de l’après-guerre, de nouvelles approches historiques furent proposées, notamment dans le domaine de l’histoire des représentations. Le processus par lequel cela s’est produit mérite d’être souligné car il est principalement redevable à un regain d’intérêt pour l’analyse des mythes nordiques qui trouve son aboutissement le plus connu dans l’œuvre de Georges Dumézil 38. En effet, c’est paradoxalement en s’intéressant aux « guerriers du Nord » comme à des représentations mythologiques plutôt que comme à des figures historiques qu’advient un renouvellement historiographique crucial. Selon la théorie des trois fonctions de G. Dumézil, dont la deuxième est la fonction guerrière 39, les conceptions guerrières des cultures dites indo-européennes seraient reflétées par les mythes de chacune de ces cultures : il ne s’agit plus d’étudier la succession des vagues d’invasion germaniques, mais de définir ce que les « guerriers du Nord » peuvent avoir été dans l’univers mental des Indo-Européens. En 1969, G. Dumézil met par exemple en évidence, dans un ouvrage intitulé Heur et malheur du guerrier, un « réseau de correspondances précises et complexes 40 » entre l’Inde, Rome et le monde germanique, en établissant des liens entres les divinités Indra, Hercule et Starkather pour montrer qu’un même archétype guerrier se retrouve de l’Indus à la mer du Nord. Or, ces divinités sont avant tout des combattants mythiques qui ne représentent pas de façon historiquement exacte les guerriers des temps passés, même si certaines sources comme les Gesta Danorum de Saxo Grammaticus (v. 1200) ont pu présenter Starkather comme un personnage ayant réellement existé 41. Ces figures ont plutôt vocation, dans le travail de Dumézil, à permettre de reconstituer le cadre idéologique dans lequel la fonction guerrière a été représentée dans les mythologies de ces anciennes civilisations. C’est donc grâce à ce type d’approches que la question des « guerriers du Nord » a progressivement pu être débarrassée de l’aura d’historicité et de l’instrumentalisation politique dont elle avait fait précédemment l’objet, et entrer de plein pied dans le domaine de l’histoire des représentations dont il va être question à présent.
Les « guerriers du Nord » comme ensemble de représentations diversifiées : guerriers-fauves, femmes combattantes et chevaliers chrétiens
À partir de la seconde moitié du xxe siècle, certains historiens commencent à prendre leurs distances avec les conceptions des « guerriers du Nord » découlant du romantisme et des discours idéologiques du premier xxe siècle qui s’étaient cristallisés autour de la rivalité franco-allemande. Désormais envisagés plutôt comme un ensemble de stéréotypes, les « guerriers du Nord » deviennent un objet d’étude à part entière de l’histoire des mentalités promue par la troisième génération de l’école des Annales, puis de l’histoire des représentations qui émerge avec le courant de la « Nouvelle Histoire » à la fin du xxe siècle. Plusieurs figures de « guerriers du Nord » sont alors identifiées et étudiées dans une perspective critique.
Parmi elles, la figure du berserkr tient une place importante 42. Ce terme vieux norrois, dont l’étymologie signifie soit « chemise d’ours » (racine *ber associée à serkr, « la chemise »), soit « jeune homme nu » au sens de « torse nu » (racine *berr, équivalent de nudus, associée au gotlandais sorkr, « le jeune homme »), est généralement traduit en français par « guerrier-fauve 43 ». Ces guerriers-fauves sont probablement les premiers « guerriers du Nord » à avoir suscité une fascination comparable à celle exercée par les vikings 44. Notons que, bien qu’ils soient souvent montrés comme faisant partie de bandes de guerriers vikings dans les sagas islandaises, les « guerriers-fauves » se distinguent de ces derniers en tant que combattants ayant une force surhumaine et une apparence zoomorphe. Mais il faut attendre le xxie siècle pour que des théories réellement débarrassées de toute idéalisation voient le jour. En effet, il s’agit d’un objet d’étude ancien, puisque les premières théories à leur sujet remontent au xixe siècle 45, ce qui conduit plusieurs historiens à reprendre à nouveau certains stéréotypes de l’époque romantique au sujet de ce type particulier de « guerriers du Nord ». On observe par exemple une focalisation sur la « rage du guerrier-fauve » (en vieux norrois berserksgangr) et sur l’hypothèse d’un culte odinique qui lui aurait été associé à des époques reculées. Tout au long de la seconde moitié du xxe siècle, quatre hypothèses scientifiques principales ont ainsi façonné l’historiographie sur les guerriers-fauves et contribué à leur étude historique au sein des études nordiques. Le processus n’est d’ailleurs pas totalement achevé, puisque deux sont toujours particulièrement controversées actuellement, à savoir celle d’une fureur découlant de facteurs psychiatriques tels que l’hystérie, avancée par Howard Fabing en 1956 46, et celle d’une transe d’origine chamanique, notamment selon les théories de Peter Buchholz en 1968 47 et de Stephen Glosecki en 1988 48. Deux autres hypothèses continuent néanmoins d’être explorées à ce jour, à savoir l’hypothèse d’une rage provenant de l’usage de certains psychotropes, réaffirmée par Kirsten Fatur en 2019 49, et l’hypothèse sociologique d’un berserksgangr à fonction rituelle, soutenue récemment par Roderick Dale en 2021 50. La dernière grande synthèse en français au sujet des guerriers-fauves, produite par Vincent Samson en 2011, présente néanmoins ces derniers, d’une manière qui ne se veut pas radicalement opposée par ailleurs à l’hypothèse de leur existence réelle, comme une « légende historique 51 ». Si le débat n’est pas tranché à ce jour, les études nordiques tendent donc bel et bien désormais à approcher la question du point de vue de l’histoire des représentations de ces « guerriers du Nord ».
La diversification des figures de « guerriers du Nord » s’est également faite par un intérêt renouvelé pour les stéréotypes de genre qui les entourent depuis l’époque romantique 52. Le stéréotype du viking viril suscite ainsi des débats importants à partir de l’essor des Gender Studies dans les années 1990 53. Il semble en effet que des femmes aient pu avoir des fonctions guerrières à l’époque viking. Même si cette supposition n’est pas prouvée à l’heure actuelle, elle a permis d’ouvrir la discussion à ce sujet et a favorisé l’émergence d’une réflexion sur l’histoire du genre dans le Nord médiéval. En prenant surtout appui sur des sources littéraires, Judith Jesch a pu étudier, par exemple, dans Women in the Viking Age 54, la manière dont les figures de valkyries et de shield-maidens sont montrées, dans certaines sagas légendaires, comme des femmes fortes et compétentes sur le champ de bataille. Cependant, de l’avis de Judith Jesch elle-même, une distance critique paraît nécessaire du fait de la nature légendaire de sources qui ne peuvent être tenues pour parfaitement représentatives de la réalité historique des femmes de l’époque viking 55. Malgré ses précautions épistémologiques, le débat s’est progressivement cristallisé autour de la question de l’existence même de ces « guerrières du Nord », notamment autour du cas de la « guerrière de Birka ». Ce célèbre squelette, retrouvé à la fin du xixe siècle dans la tombe Bj 581 de l’île de Birka en Suède, était accompagné d’un mobilier funéraire évocateur d’activités guerrières (armes, chevaux, pièces d’un jeu de stratégie) 56. Il a récemment été identifié comme le premier cas de « guerrière du Nord » avéré, notamment du fait des analyses génétiques et ostéologiques de Charlotte Hedenstierna-Jonson, dont les résultats furent présentés en 2017 57 : une telle découverte entraînait de facto une remise en question du paradigme masculin des « guerriers du Nord ». Cette publication a suscité certaines réticences et des interrogations de la part d’une partie des archéologues et historiens spécialistes de la Scandinavie, qui ont d’abord remis en question l’identification du sexe féminin de l’individu et, surtout, sa fonction guerrière 58. Comme l’a récemment souligné Leszek Gardeła 59, la présence d’armes dans une tombe ne fait pas forcément de la femme qui s’y trouve enterrée une guerrière. Néanmoins, par le croisement des sources littéraires et archéologiques, un nouveau champ d’étude mêlant les « guerriers du Nord » aux questions de genre a ainsi vu le jour.
La remise en question des stéréotypes sur les « guerriers du Nord » passe enfin par les questions religieuses, étant donné l’association systématique de ces guerriers au paganisme dans les sources tardo-antiques et médiévales puis dans les représentations de l’époque romantique 60. Rappelons ici, à rebours de ce stéréotype, que la conversion des pays scandinaves commence dès l’époque viking, avec l’envoi de premières missions d’évangélisation dès le ixe siècle via l’archevêché de Hambourg-Brême 61. Ainsi le « guerrier du Nord » emblématique, le viking, pouvait être un converti : il existait des « vikings chrétiens 62 » et même des « vikings saints », comme le prouve le cas de saint Olaf, auquel d’importants travaux ont été consacrés ces dernières années 63. Cette conversion est d’autant plus importante que les vikings n’étaient pas seulement des guerriers, mais aussi des marchands : ils étaient donc incités à recevoir au moins un baptême sommaire, la prima signatio, pour commercer avec les Occidentaux ou encore pour s’engager comme mercenaires à leur service 64. Avec la christianisation en profondeur des sociétés scandinaves, on voit alors apparaître, au fil des siècles, de nouveaux modèles de combattants reprenant les valeurs chrétiennes, notamment celles de la chevalerie et donc de la militia Christi, trouvant son apogée dans les mouvements de croisade 65. Or, la participation des Scandinaves aux croisades a été peu explorée depuis Paul Riant (1836-1888) et sa synthèse intitulée Expéditions et pèlerinages des Scandinaves en Terre sainte 66. L’historien et philologue y utilisait principalement des sources littéraires et très peu d’éléments vérifiables, si ce n’est les registres de pèlerins de l’abbaye allemande de la Reichenau 67 ou quelques reliques ramenées en Scandinavie par la route des Varègues aux Grecs 68. Le dossier a été repris de façon sporadique tout au long de la seconde moitié du xxe siècle, avec notamment une contribution cruciale d’Eric Christiansen dans The Northern Crusades en 1980 69, et plus récemment une synthèse de Franscesco D’Angelo au sujet de l’expédition de Sigurd Ier de Norvège en Terre sainte 70. E. Christiansen se tourne alors vers les croisades baltes ou nordiques, avec l’idée d’une « Jérusalem du Nord 71 » que les chrétiens nordiques auraient eu à cœur de défendre contre les derniers païens d’Europe. On voit ainsi émerger la figure du chevalier chrétien du Nord, que l’étude des gardes royales comme la hirð de Norvège, à laquelle se sont intéressés notamment David Brégaint 72 et Steinar Imsen 73, permet d’approfondir. Les principes monarchiques et les valeurs chrétiennes définissent ainsi les contours de ces « guerriers du Nord » d’un nouveau genre.
Mettre à distance l’imaginaire guerrier du Nord au XXIe siècle : entre Peace Studies et médiévalisme
Afin de diversifier les approches à l’égard des mythes entourant les « guerriers du Nord », les historiens du xxie siècle ont entrepris, quant à eux, de montrer que les « hommes du Nord » n’étaient pas que des guerriers. Ils se sont ainsi attachés à donner une image moins belliqueuse des sociétés scandinaves médiévales, en soulignant par exemple le fait que les raids n’étaient qu’une des occupations possibles des vikings, aux côtés de leurs activités artisanales et commerciales notamment, ce qui a permis de requestionner la définition du viking 74, à la suite des premières remises en question proposées par Régis Boyer 75.
Dans ce contexte, les études sur les phénomènes de paix et de pacification en Scandinavie ont gagné en importance ces dernières décennies, dans le contexte de l’essor des Peace studies 76. Cette historiographie insiste sur les phénomènes de règlement de conflits et de négociations qui ont pu avoir lieu dans la diaspora scandinave à l’époque médiévale. La notion d’accommodation entre les Scandinaves et les Occidentaux, promue par Pierre Bauduin dans Le Monde franc et les Vikings 77, est devenue emblématique de ce nouveau paradigme d’étude. Dans le même ordre d’idée, la notion de négociation permet de faire valoir la culture diplomatique émergente chez les Scandinaves. Geneviève Bührer-Thierry 78 et Nora Berend 79 ont également contribué à mettre en évidence un partage croissant de valeurs et de protocoles entre les Occidentaux et les populations en voie de christianisation du Nord et de l’Est de l’Europe. Récemment, dans sa thèse intitulée Faire la paix en Scandinavie médiévale 80, Simon Lebouteiller a montré l’importance du concept de paix dans la culture scandinave médiévale, à la suite d’historiens scandinaves comme Niels Lund 81. Il s’est notamment appuyé pour ce faire sur l’étude du rôle des scaldes, ces poètes de cour, dont les fonctions étaient souvent cruciales dans les tractations diplomatiques en Scandinavie médiévale 82. Ainsi, les « guerriers du Nord » ont été révélés dans leur capacité à négocier et à faire des compromis dans le but d’instaurer la paix avec leurs ennemis, à travers des formes de discours parfois très élaborées. L’étude de leur art de la guerre spécifique, dans ses aspects stratégiques sur le champ de bataille mais également tactiques hors du champ de bataille, a ainsi gagné en finesse d’analyse.
Le dernier pan de la critique des stéréotypes concernant les « guerriers du Nord » passe de plus en plus par le regard qu’on peut porter sur les productions contemporaines qui les reprennent dans des contextes plus ou moins fictionnels ou ludiques 83. Durant les dernières décennies, les études sur le médiévalisme se sont multipliées et ont pu mettre en évidence les anciens mythes qui ont influencé les représentations actuelles et la façon dont on les a repris, notamment dans le cadre des « cultures de l’imaginaire » constituées par les œuvres de fantasy et de science-fiction, mais aussi d’autres domaines de la pop culture comme les « musiques populaires » 84. En France, le champ d’étude du médiévalisme est de plus en plus dynamique, avec de premières études qui ont émergé dès les années 2000. Danielle Buschinger et Peter Hvilshøj Andersen ont par exemple dirigé un ouvrage collectif intitulé Les Vikings dans la réalité et la fiction 85, rassemblant les actes d’un colloque où on note de nombreuses analyses sur les vikings au cinéma, dans la continuité de l’ouvrage de Jean-Marie Levesque paru sous le titre Dragons et Drakkars. Le mythe viking de la Scandinavie à la Normandie 86. L’analyse filmique est en effet très prisée, dans le prolongement notamment des études menées dans le domaine anglophone, par exemple par Kevin J. Harty 87. Dès 2004, l’association Modernités médiévales rassemble divers médiévistes s’intéressant au médiévalisme, certains membres (en particulier Alban Gautier) étant plus précisément attachés à l’étude de figures nordiques, que celles-ci soient issues de la Scandinavie ou des îles Britanniques 88. Enfin, l’analyse des jeux vidéo mettant en scène des « guerriers du Nord » est en pleine expansion depuis la thèse soutenue en 2016 par Laurent Di Filippo sur le jeu Age of Conan, où l’auteur a ouvert la voie à l’étude des mythes nordiques en contexte vidéoludique 89.
Tout au long des cent dernières années, la succession de différents contextes historiques a déterminé les directions dans lesquelles les études nordiques ont développé des conceptions diverses des « guerriers du Nord ». Tout d’abord, dans la sphère germanophone, une synthèse de thèmes empruntés à la littérature romantique et völkisch s’opère pour aboutir, de façon emblématique, à l’idéologie du IIIe Reich : les « guerriers du Nord » se constitue alors comme un modèle politisé à l’extrême, qu’il reviendra ensuite aux historiens de la seconde moitié du xxe siècle de remettre en question et de soumettre à un examen réellement scientifique. L’après-guerre marque ainsi une distance à l’égard de l’héritage nationaliste de ce modèle, y compris en France où il s’était teinté d’un fort revanchisme. Le sujet devient l’objet d’enquêtes historiques approfondies amenant à en révéler peu à peu la diversité. En cherchant à dépolitiser la question des « guerriers du Nord », les historiens la font progressivement entrer de plein pied dans le champ de l’histoire, et notamment dans le domaine de l’histoire des représentations, avec un premier renouveau autour des travaux de Georges Dumézil, qui permettent d’approcher les « guerriers du Nord » comme des figures mythiques, des représentations structurant l’univers mental des anciens combattants, plutôt que comme des figures historiques ayant transmis leur art de la guerre de génération en génération au sein d’une « race pure ». Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1980 que l’on observe un renouvellement en profondeur des points de vue sur les « guerriers du Nord » : les trente dernières années se présentent ainsi comme une sorte de période-bilan du xxe siècle, où un nouveau regard critique sur les années d’après-guerre s’est imposé. Ce mouvement critique permet de révéler la diversité des figures possibles de « guerriers du Nord », en mettant en valeur de nouveau modèles au sein des représentations médiévales des combattants nordiques. Dès lors, les études nordiques intègrent progressivement les « guerriers du Nord » dans des questionnements issus des études de genre, de l’histoire des pratiques de paix ou encore du médiévalisme.
Au terme d’un siècle de construction, de diversification et de remise en question de l’imaginaire des « guerriers du Nord », il est ainsi possible de proposer une approche de ces derniers qui soit suffisamment critique pour définitivement mettre à distance les stéréotypes sur lesquels ce modèle a été bâti au xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle. C’est dans la continuité de ce mouvement critique que se situe l’ambition du présent dossier qui, par une approche de la question qui ne soit pas focalisée sur les vikings, souhaite montrer une partie de la richesse des représentations combattantes qui naquirent dans le Nord médiéval. Les trois premiers articles s’appuient tout d’abord sur une approche des sources textuelles renouvelée par des questions d’histoire des représentations. La contribution d’Ellora Bennett à ce dossier se penche ainsi sur la poésie épique en vieil anglais pour examiner les traitements des guerriers anglo-saxons au retour de leurs combats, dans leurs aspects rituels de purification et de réintégration à la communauté. Des questionnements d’une même nature anthropologique sont également adoptés par Hugo Fresnel dans son analyse des conflits intra-familiaux à travers l’historiographie normande médiévale, permettant de mettre en évidence les dynamiques de limitation de la violence au sein des parentés aristocratiques, ainsi que dans l’article de Jean-Louis Parmentier qui s’attache à étudier les dynamiques conjointes de prédation et de négociation des vikings dans l’Irlande du ixe siècle, notamment par des échanges de captifs relatés dans les sources annalistiques de cette aire géographique. Enfin, une analyse des « guerriers du Nord » sous l’angle de la notion de frontière est développée dans les contributions de Sébastien Ginhoux et de Ryan Lavelle, qui s’appuient tous deux sur une confrontation des sources textuelles et des sources archéologiques. Le premier propose une synthèse inédite dans le monde francophone sur l’art de la guerre lituanien et ses évolutions tactiques, à la confluence de cultures guerrières frontalières ; tandis que le second suggère de déterminer dans quelle mesure l’action de combattants spécifiques fut ou non décisive au moment de fixer les frontières entre les différents royaumes du sud de l’Angleterre, en s’appuyant à la fois sur l’archéologie du paysage et sur la Chronique anglo-saxonne. Par ce florilège d’approches critiques et situées, nous espérons montrer que les « guerriers du Nord » sont prêts à envahir avec une vigueur renouvelée les études nordiques et médiévales…
Victor Barabino – Université de Caen Normandie – Centre Michel de Boüard (CRAHAM UMR 6273)
1. T. Mohnike, C. François, R. Dagnino éd., Géographies et Imaginaires, Deshima, 14 (2020).
2. Nous reprenons ici le concept de septentrionalité développé par O. Parsis-Barubé, « Conclusions : invention du Nord, invention d’un Nord ou invention de Nords ? », Revue du Nord, 87/2 (2005), p. 673-683 ; cette septentrionalité définie comme guerrière s’inscrit par ailleurs dans un discours que l’on peut apparenter au boréalisme, en suivant la définition qu’en donne S. Briens, Le Boréalisme, Paris, 2016.
3. F. Durand, « La figure du Viking dans la littérature scandinave », Annales de Normandie, 7/1 (1957), p. 3-33.
4. J. H. Barrett, « What Caused the Viking Age ? », Antiquity, 82/317 (2008), p. 671-685 (p. 680). Voir aussi T. Shippey, Laughing Shall I Die : Lives and Deaths of the Great Vikings, Londres, 2018.
5. T. Mohnike, « Frédéric-Guillaume, or Friedrich Wilhelm, Bergmann and the Birth of Scandinavian Studies in France Out of the Spirit of Comparative Philology », dans J. Grage, Id. éd., Geographies of Knowledge and Imagination in 19th Century Philological Research on Northern Europe, Newcastle-upon-Tyne, 2017, p. 139-158.
6. J.-P. Catteau-Calleville, Histoire des révolutions de Norwège, suivie du tableau de l’état actuel de ce pays et de ses rapports avec la Suède, Paris, 1818, p. 53.
7. F. Laurent, La Féodalite et l’Église, Bruxelles, 1861, p. 214.
8. W. Baer, F. von Hellwald, Der vorgeschichtliche Mensch, Leipzig, 1874, p. 409.
9. G. Hartung, « Völkische Ideologie », dans U. Puschner, W. Schmitz, J. H. Ulbricht éd., Handbuch zur « Völkischen Bewegung » 1871-1918, Berlin, 2012, p. 22-44 (p. 40).
10. J. Chapoutot, La Loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, 2014.
11. D. Welch, The Third Reich. Politics and Propaganda, Londres/New York, 2008, p. 123.
12. G. E. Schafft, From Racism to Genocide. Anthropology in the Third Reich, Urbana/Chicago, 2004.
13. H. Junginger, The Scientification of the « Jewish Question » in Nazi Germany, Leyde, 2017.
14. H. Pringle, The Master Plan. Himmler’s Scholars and the Holocaust, New York, 2006.
15. F.-R. Hausmann, “Auch im Krieg schweigen die Musen nicht”. Die Deutschen Wissenschaftlichen Institute im Zweiten Weltkrieg, Göttingen, 2002, p. 184.
16. O. Höfler, Kultische Geheimbünde der Germanen, Brunswick, 1934.
17. L. von Borch, Ritter und Dienstmannen fürstlicher und gräflicher Herkunft, Lindau, 1877 ; Id., Einfluss des römischen Strafrechts auf Gefolgschaft und Majestätsverletzung in Deutschland, Vienne, 1889.
18. J. Lindow, Comitatus, Individual and Honor. Studies in North Germanic Institutional Vocabulary, Berkeley, 1976.
19. H. Kuhn, « I. Die Grenzen der germanischen Gefolgschaft », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Germanistische Abteilung, 73/1 (1956), p. 1-83.
20. M. Barnes, « Review of Comitatus, Individual and Honor. Studies in North Germanic Institutional Vocabulary », Speculum, 53/3 (1978), p. 597-600.
21. Voir par exemple le concept de « caste sacerdotale » chez A. Marez, Anthologie runique, Paris, 2007, p. 118.
22. N. Lund, Lið, leding og landeværn : Hær og samfund i Danmark i ældre middelalder, Roskilde, 1996.
23. N. S. Price, The Viking Way. Magic and Mind in Late Iron Age Scandinavia, 2e éd., Oxford, 2019, p. 76-89.
24. Ibid., p. 78-79.
25. Ibid., p. 80.
26. M. P. Speidel, Ancient Germanic Warriors. Warrior Styles from Trajan’s Column to Icelandic Sagas, Londres, 2008.
27. Ibid., p. 1-2.
28. Voir également : V. Höfig, « “Re-Wild Yourself” : Old Norse Myth and Radical White Nationalist Groups in Trump’s America », dans N. Meylan, L. Rösli éd., Old Norse Myths as Political Ideologies. Critical Studies in the Appropriation of Medieval Narratives, Turnhout, 2020, p. 209-231 ; M. Gardell, Gods of the Blood. The Pagan Revival and White Suprematism, Durham, 2003 ; A. Gautier, A. Wilkin, O. Parsis-Barubé, A. Dierkens, « Winter is Medieval. Représentations modernes et contemporaines des Nords médiévaux », Deshima, 15 (2012), p. 119-178 (p. 151-154).
29. T. Mohnike, « Le dieu Thor, la plus barbare d’entre les barbares divinités de la vieille Germanie. Quelques observations pour une théorie des formes narratives du savoir social en circulation culturelle », Revue de littérature comparée, 354 (2015), p. 151-164 (p. 162-164).
30. F. Lot, Les Invasions germaniques. La pénétration mutuelle du monde barbare et du monde romain, Paris, 1939.
31. Voir par exemple L. Musset, Les Invasions, vol. 1 : Les vagues germaniques, Paris, 1969 (Nouvelle Clio).
32. I. N. Wood, « Barbarians, Historians, and the Construction of National Identities », Journal of Late Antiquity, 1/1 (2008), p. 61-81.
33. I. N. Wood, The Modern Origins of the Early Middle Ages, Oxford, 2013 ; P. J. Geary, The Myth of Nations. The Medieval Origins of Europe, Princeton, 2002, trad. fr. Quand les nations refont l’histoire. L’invention des origines médiévales de l’Europe, Paris, 2004.
34. F. Parker, « Gibbon’s Style in The Decline and Fall », dans K. O’Brien, B. Young éd., The Cambridge Companion to Edward Gibbon, Cambridge, 2018, p. 167-183.
35. L. Musset, Les Invasions, vol. 2 : Le second assaut contre l’Europe chrétienne (viie-xie siècles), Paris, 1971 (Nouvelle Clio).
36. L. Musset, « Problèmes militaires du monde scandinave (viie-xiie siècles) », dans Id. éd., Nordica et Normannica. Recueil d’études sur la Scandinavie ancienne et médiévale, les expéditions des Vikings et la fondation de la Normandie, Paris, 1997, p. 51-99.
37. Voir notamment A. Forte, R. Orman, F. Pedersen éd., Viking Empires, Cambridge, 2005 ; C. Cooijmans, Monarchs and Hydrarchs. The Conceptual Development of Viking Activity across the Frankish Realm (c. 750-940), Londres, 2020.
38. G. Dumézil, Mythes et dieux des Germains. Essai d’interprétation comparative, Paris, 1939.
39. G. Dumézil, Mythe et Épopée, t. 1 : L’idéologie des trois fonctions dans l’épopée des peuples indo-européens, Paris, 1968.
40. H. Rousseau, « Georges Dumézil, Heur et malheur du guerrier. Aspects mythiques de la fonction guerrière chez les Indo-Européens », L’Antiquité classique, 39/1 (1970), p. 290-291.
41. M. Clunies Ross, « Poet into Myth : Starkaðr and Bragi », Viking and Medieval Scandinavia, 2 (2006), p. 31-43.
42. G. Nioradze, Der Schamanismus bei den sibirischen Völkern, Stuttgart, 1925 ; A. I. Hallowell, « Bear Ceremonialism in the Northern Hemisphere », American Anthropologist, 28/1 (1926), p. 1-175 ; H. Beck, Das Ebersignum im Germanischen. Ein Beitrag zur germanischen Tiersymbolik, Berlin, 1965 ; B. Blaney, « The Berserkr Suitor : The Literary Application of a Stereotyped Theme », Scandinavian Studies, 54/4 (1982), p. 279-294.
43. V. Samson, Les Berserkir. Les guerriers-fauves dans la Scandinavie ancienne, de l’âge de Vendel aux Vikings (vie-xie siècle), Villeneuve d’Ascq, 2011, p. 66-72.
44. V. Barabino, « Des guerriers-fauves mythiques aux archétypes fantasy : tour d’horizon des représentations des berserkir dans la pop culture contemporaine », IVe Congrès de l’APEN, Paris, INALCO, novembre 2021 (communication soumise à publication).
45. V. Samson, Les Berserkir…, p. 37.
46. H. D. Fabing, « On Going Berserk. A Neurochemical Inquiry », American Journal of Psychiatry, 113/5 (1956), p. 409-415 ; M. Heath, M. Cooper, « Wearing the Wolf Skin. Psychiatry and the Phenomenon of the Berserker in Medieval Scandinavia », History of Psychiatry, 32/3 (2021), p. 308-322 (p. 311).
47. P. Buchholz, Schamanistische Züge in der altisländischen Überlieferung, Münster, 1968 ; M. P. McGlynn, « Bears, Boars, and Other Socially Constructed Bodies in Hrólfs saga kraka », Magic, Ritual, and Witchcraft, 4/2 (2009), p. 152-175 (p. 163-164).
48. S. O. Glosecki, « Wolf of the Bees. Germanic Shamanism and the Bear Hero », Journal of Ritual Studies, 2/1 (1988), p. 31-53.
49. K. Fatur, « Sagas of the Solanaceae. Speculative Ethnobotanical Perspectives on the Norse Berserkers », Journal of Ethnopharmacology, 244 (2019), p. 112-151.
50. R. Dale, The Myths and Realities of the Viking Berserkr, New York, 2021.
51. V. Samson, Les Berserkir…, p. 20.
52. Voir récemment B. Raffield, « Playing Vikings. Militarism, Hegemonic Masculinities, and Childhood Enculturation in Viking Age Scandinavia », Current Anthropology, 60/6 (2019), p. 813-835.
53. M. H. Caviness, « Feminism, Gender Studies, and Medieval Studies », Diogenes, 57/1 (2010), p. 30-45.
54. J. Jesch, Women in the Viking Age, Woodbridge, 1991.
55. Ibid., p. 85-88.
56. R. Edberg, « Död amazon på Birka ? En debatt », Marinarkeologisk tidskrift, 3 (2019), p. 20-22.
57. C. Hedenstierna-Jonson et al., « A Female Viking Warrior Confirmed by Genomics », American Journal of Physical Anthropology, 164/4 (2017), p. 853-860.
58. Voir notamment F. Androshchuk, « Female Viking Revisited », Viking and Medieval Scandinavia, 14 (2018), p. 47-60 ; N. Price et al., « Viking Warrior Women ? Reassessing Birka Chamber Grave Bj. 581 », Antiquity, 93/367 (2019), p. 181-198 ; J. Jesch, « Women, War and Words. A Verbal Archaeology of Shield-maidens », Viking, 84/1 (2021), p. 127-142 ; L. Malbos, Le Monde Viking. Portraits de femmes et d’hommes de l’ancienne Scandinavie, Paris, 2022, p. 155-171.
59. L. Gardeła, Women and Weapons in the Viking World. Amazons of the North, Oxford, 2021.
60. A. Gautier, Beowulf au paradis. Figures de bons païens dans l’Europe du Nord au haut Moyen Âge, Paris, 2019, chap. 7 : « Les Anglais face aux “païens” : entre rejet et fascination », p. 377-424.
61. S. Coviaux, La Fin du monde viking, Paris, 2019, p. 45-79.
62. E. Melnikova, « How Christian Were Viking Christians ? », Ruthenica, suppl. 4 (2011), p. 90-107.
63. Voir en particulier S. Coviaux, « Saint Olaf. Un saint protecteur norvégien à la fin du Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 8 (2001), p. 57-72 ; D. Brégaint, « The Missing Saint. Saint Olaf and King Hákon Hákonsson », dans M. Njåstad, R. Bjørshol Wærdahl éd., Helgener i nord : nye studier i nordisk helgenkult, Oslo, 2020, p. 99-121.
64. T. Tulinius, « La conversion du viking : l’image du guerrier païen dans les sagas islandaises », dans R. Boyer éd., Les Vikings, premiers Européens, viiie-xie siècle. Les nouvelles découvertes de l’archéologie, Paris, 2005, p. 233-251.
65. T. M. S. Lehtonen, K.V. Jensen, K. Ritari éd., Medieval History Writing and Crusading Ideology, Helsinki, 2005.
66. P. Riant, Expéditions et Pèlerinages des Scandinaves en Terre sainte au temps des croisades, Paris, 1865.
67. Finnur Jónsson, E. Jørgensen, « Nordiske Pilegrimsnavne i Broderskabsbogen fra Reichenau », Aarbøger for nordisk Oldkyndighed og Historie, 3/13 (1923), p. 1-36.
68. Voir plusieurs études récentes à ce sujet dans N. Drocourt, S. Kolditz éd., A Companion to Byzantium and the West, 900-1204, Leyde, 2021.
69. E. Christiansen, The Northern Crusades : The Baltic and the Catholic Frontier 1100-1525, Londres, 1980.
70. F. D’Angelo, Il primo re crociato. La spedizione di Sigurd in Terrasanta, Rome, 2021.
71. L’expression est reprise dans le titre d’un ouvrage récent : A. Bysted et al. éd., Jerusalem in the North. Denmark and the Baltic Crusades, 1100-1522, Turnhout, 2012.
72. D. Brégaint, « Kings and Aristocratic Elites. Communicating Power and Status in Medieval Norway », Scandinavian Journal of History, 46/1 (2021), p. 1-20.
73. S. Imsen, Hirdskråen : hirdloven til Norges konge og hans håndgangne men : etter AM 322 fol, Oslo, 2000.
74. Jón Viðar Sigurðsson, Scandinavia in the Age of the Vikings, Ithaca/Londres, 2021, p. 1-8.
75. R. Boyer, Les Vikings, Paris, 2002, p. 851-854.
76. Sous l’impulsion de chercheurs scandinaves, voir J. Galtung, « Violence, Peace, and Peace Research », Journal of Peace Research, 6/3 (1969), p. 167-191.
77. P. Bauduin, Le Monde franc et les Vikings, viiie-xe siècle, Paris, 2009.
78. G Bührer-Thierry, « Les Saxons et les Slaves dans les années 950 : la paix impossible », Travaux et recherches de l’UMLV, 1 (2000), p. 19-27 ; R. Le Jan, G. Bührer-Thierry, S. Gasparri éd., Coopétition : rivaliser, coopérer dans les sociétés du haut Moyen Âge (500-1100), Turnhout, 2018.
79. N. Berend, « Medievalists and the Notion of the Frontier », The Medieval History Journal, 2/1 (1999), p. 55-72 ; Ead. éd., Christianization and the Rise of Christian Monarchy. Scandinavia, Central Europe and Rus’, c. 900-1200, Cambridge, 2007.
80. S. Lebouteiller, Faire la paix dans la Scandinavie médiévale. Recherche sur les formes de pacification et les rituels de paix dans le monde scandinave au Moyen Âge (viiie-xiiie siècle), thèse de doctorat, Université de Caen Normandie, 2016.
81. N. Lund, « Peace and Non-peace in the Viking Age – Ottar in Biarmaland, the Rus in Byzantium, and Danes and Norwegians in England », dans J. E. Knirk, C. Blindheim éd., Proceedings of the Tenth Viking Congress, Larkollen, Norway 1985, Oslo, 1978, p. 255-269.
82. S. Lebouteiller, « Les “poètes-diplomates” du Nord. Les scaldes comme messagers, intermédiaires et négociateurs dans la Scandinavie médiévale », communication au Séminaire ERLIS, Poétiques sociales des pays nordiques (Université de Caen Normandie, 1er octobre 2020).
83. Voir entre autres M. A. Hall, « “It’s the End of the World as We Know It…”. Reforging Ragnarök through Popular Culture », dans H. Williams, P. Clarke éd., Digging into the Dark Ages. Early Medieval Public Archaeologies, Summertown, 2020, p. 252-267.
84. I. von Helden, Norwegian Native Art. Cultural Identity in Norwegian Metal Music, Zurich, 2015, p. 48-52, 55.
85. P. H. Andersen, D. Buschinger éd., Les Vikings dans la réalité et la fiction. Actes du colloque de Saint-Riquier, décembre 2005, Amiens, 2006.
86. J.-M. Levesque éd., Dragons et Drakkars. Le mythe viking de la Scandinavie à la Normandie, xviiie-xxe siècles, Caen, 1996.
87. K. J. Harty, The Vikings on Film. Essays on Depictions of the Nordic Middle Ages, Jefferson, 2014.
88. A. Gautier, L. Vissière éd., Moyen Âge en séries, Médiévales, 78 (2020) ; A. Gautier, « Représenter le fait religieux dans les séries Vikings et The Last Kingdom », Le Temps des médias, 37/2 (2021), p. 71-89.
89. L. Di Filippo, Du mythe au jeu. Approche anthropo-communicationnelle du Nord, des récits médiévaux scandinaves au MMORPG Age of Conan : Hyborian Adventures, thèse de doctorat, Université de Lorraine, 2016. Voir également, entre autres, Id., « Fantasy et panthéon nordique dans Donjons et Dragons », Fantasy Art and Studies, 6 (2019), p. 67-76.