Chloé Maillet : “Bernard de Clairvaux et la fratrie recomposée”
L’entrée en monachisme implique, selon l’idéal ascétique, d’abandonner sa fratrie biologique pour une nouvelle fratrie soudée par des liens spirituels. L’étude proposée convoque l’exemple de Bernard de Clairvaux (1090-1153), qui convertit l’ensemble de ses frères charnels (qui le suivirent à Clairvaux) et sa soeur (qui devint moniale au couvent bénédictin de Jully). Il nous présente ainsi un cas singulier dans lequel parenté charnelle et parenté spirituelle parviennent, au prix de conflits et de conversions fermement orchestrés par le futur saint, à se superposer exactement. Impliqué personnellement par le problème de définition du lien adelphique, il présente dans un sermon sur le Cantique des cantiques consacré à la mort de son frère Gérard une définition de la hiérarchie entre les liens de parenté. Le cas de saint Bernard, symptomatique de la réorganisation des représentations de la parenté au temps du monachisme réformé, devint exemplaire et fut la source d’images figurant la parenté spirituelle au XIVe et XVe siècle.
Laurence Leleu : “Frères et sœurs ennemis dans la Germanie du Xe siècle”
Alors que les relations familiales sont largement idéalisées dans les sources narratives de l’époque ottonienne comme fondées sur l’entente, la solidarité et l’affection, de nombreux exemples témoignent néanmoins de rapports dans la réalité parfois tendus voire violents à l’intérieur même des fratries et surtout entre frères ou demi-frères, conflits plus ou moins graves et durables qui peuvent avoir des répercutions sur l’ensemble de la parenté. Ils s’expliquent en général par le sentiment d’injustice et de jalousie ressenti par un des membres de la fratrie qui considère ses intérêts comme lésés ou menacés, particulièrement à l’occasion d’un héritage ou de la revendication d’un honneur. La famille apparaît donc comme une réalité sociale complexe, comme le siège de compétitions et d’intérêts parfois divergents : c’est particulièrement le cas dans la famille royale ottonienne qui passe dans les années 930 à une nouvelle structure d’organisation, celle de la lignée, caractérisée notamment par l’instauration de la primogéniture et donc la relégation des cadets au second rang.
Didier Lett : “Liens adelphiques et endogamie géographique dans les Marches de la première moitié du XIVe siècle”
La documentation marchésane du début du XIVe siècle (essentiellement le procès de canonisation de Nicolas de Tolentino daté de 1325) permet de mettre en évidence la fréquence du mariage virilocal (ou patrilocal). Elle autorise également à étudier les conséquences de l’éloignement géographique de la femme de sa famille de naissance sur les relations entre frères et soeurs.
On observe que vivre sous le même toit ou appartenir à un même micro-espace entraîne des pratiques familiales et des interactions très différentes entre acteurs car les sentiments sont conditionnés par le partage quotidien d’expériences, des intérêts communs et des échanges. Dans les dépositions réalisées lors du procès de canonisation, on constate également la forte présence des frères et sœurs auprès du témoin et/ou du miraculé. Mais, à cause, de la prégnance du mariage virilocal, les frères et sœurs du mari sont davantage présents que ceux de l’épouse. Cependant, les liens adelphiques de la femme résistent, en partie à cause d’une délocalisation à faible distance.
Caroline Jeanne : “Les veuves parisiennes et leurs fratries”
À la fin du Moyen Âge, à Paris, les veuves entretiennent avec leurs fratries des relations diverses. Les legs testamentaires ou les actes notariés montrent que les veuves, surtout dans les classes aisées, bénéficient de façon privilégiée d’une protection financière ou d’une entraide fraternelle. Cette assistance est principalement masculine. En même temps, les veuves ne sont pas évincées, du fait de la mort de leur mari, des affaires et décisions familiales : pleinement concernées, elles y participent de façon active. Le registre des causes civiles du Châtelet de Paris contient nombre d’affaires dans lesquelles les veuves s’opposent à leurs frères et soeurs devant les tribunaux. Les conflits surviennent surtout quand les veuves souhaitent entrer en possession de leur héritage, et particulièrement de leur douaire, ou décident de se remarier.
Aude-Marie Certin : “Relations professionnelles et relations fraternelles d’après le journal de Lucas Rem, marchand d’Augsbourg (1481-1542)”
Dans l’espace germanique, les écrits privés (autobiographie, journaux ou livres de famille) se comptent en grand nombre. Si ces sources sont l’objet d’un fort regain d’intérêt en Allemagne depuis les années 1990, notamment dans le domaine de l’histoire de la famille, elles restent en revanche assez méconnues en France.
L’étude des notes personnelles de Lucas Rem (1481-1542), marchand d’Augsbourg, permet d’étudier le poids de la fratrie dans la sphère du commerce. La société de commerce apparaît comme un prolongement de la famille étroite, légitimement dirigée par le fils aîné, promu chef de famille. Les frères cadets associés doivent manifester obéissance et respect à leur frère aîné, devenu en quelque sorte leur père et leur patron tout à la fois. Cependant l’analyse critique du discours du marchand permet d’observer que les frères cadets n’acceptent pas totalement cette confusion entre sphère familiale et sphère professionnelle.
Renato Lungarini : “L’hôpital Santa Maria della Scala?: une institution siennoise”
L’hôpital Santa Maria della Scala naît comme un « xenodochio », attesté pour la première fois à la fin du XIe siècle, pour devenir par la suite l’une des institutions les plus importantes de l’Italie médiévale. Il fait actuellement l’objet de nombreuses études grâce à des archives presque intégralement conservées et eut un rôle considérable dans l’histoire religieuse, sociale et économique de la Commune de Sienne. Ce présent article permet de mettre en lumière les formes de production et de transmission des documents écrits et de reconstruire les structures institutionnelles de l’établissement, ainsi que ses fonctions, à travers l’analyse de sont principal organe de délibération?: le chapitre.
Sylvain Piron : “Un avis retrouvé de Jacques Fournier”
Le manuscrit 1087 d’Avignon contient des fragments d’un long avis rendu en 1325 à Jean XXII, préparatoire à la condamnation du commentaire de l’Apocalypse de Pierre de Jean Olivi. Ce texte, qui englobe également dans sa critique les oeuvres authentiques de Joachim de Fiore, correspond à un écrit perdu de Jacques Fournier, autrefois conservé à la bibliothèque pontificale d’Avignon. Un autre volume perdu, comparable au célèbre registre d’inquisition de Jacques Fournier, contenait les enquêtes menées dans les mêmes années par l’évêque de Pamiers contre les béguins de son diocèse. La lutte, doctrinale et inquisitoriale, contre cette hérésie a donc constitué un volet important des activités du futur pape Benoît XII.