Claude Gauvard
Université Paris I Panthéon-Sorbonne (LaMOP)
Le règne de Charles VI : un temps de crise ?
Le règne de Charles VI a fait l’objet d’un important renouvellement historiographique depuis les années 1970. Longtemps considéré comme un temps de faiblesse du pouvoir, il est en fait un moment clé du développement de l’État moderne en raison même des crises qu’il traverse, guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, Grand Schisme, guerre contre les Anglais. Les factions aristocratiques qui prennent le pouvoir dès 1380, puis s’affrontent pendant la guerre civile à partir de 1405, stimulent le développement des institutions. Les princes contribuent à développer les impôts même s’ils les lèvent à leur profit tandis que les officiers royaux, en particulier dans le domaine de la justice, s’affirment comme un corps et défendent l’intégrité de la couronne en devenant pars corporis regis. En même temps, malgré la folie du roi et malgré ou grâce aux révoltes, le peuple reste attaché à la personne du souverain si bien que le règne promeut les deux corps du roi.
- Charles VI, État moderne, guerre civile, impôts, officiers royaux
Olivier Mattéoni
Université Paris I Panthéon-Sorbonne (LaMOP)
Bernard Guenée, Charles VI et le Religieux de Saint-Denis
La Chronique du Religieux de Saint-Denis, écrite par Michel Pintoin, est un texte qui a beaucoup retenu l’attention de Bernard Guenée dans la dernière partie de sa vie d’historien. Il en a livré une étude précise dans différents articles et plusieurs livres, qui ont permis de mieux comprendre le règne de Charles VI. C’est un retour sur les travaux réalisés par le grand historien que le présent article, à la portée historiographique, entend proposer. Après avoir relu l’ouvrage sur l’assassinat du duc d’Orléans, paru en 1992, qui doit être compris comme une étude de la société politique du temps de Charles VI, l’article montre comment B. Guenée a analysé la façon d’écrire l’histoire de Michel Pintoin, caractérisée par l’insertion de sources – ordonnances, textes royaux – au sein du récit, témoignant de la proximité de l’auteur avec la chancellerie royale. Dans le même temps, le chroniqueur de Saint-Denis a su emprunter aux classiques latins les mots et les passages pour décrire certains faits, à l’image de la description du viol de la dame de Carrouges, empruntée au récit du viol de Lucrèce par Tite-Live. À la suite, l’article examine les deux livres de Bernard Guenée construits à partir du texte de Michel Pintoin, celui sur la folie du roi (2004) et celui sur l’opinion publique (2002). Leur lecture montre que, dans le contexte de désarroi suscité par cet événement extraordinaire qu’a été la folie de Charles VI, le moine de Saint-Denis a répondu à la faiblesse du pouvoir royal qui en découlait par une exaltation de la majesté et de l’autorité royale.
- Charles VI, écriture de l’histoire, historiographie, Michel Pintoin, pouvoir royal, Saint-Denis, société politique
Dominique Demartini
Université Sorbonne nouvelle (CERAM, EA 173)
Christine de Pizan, Charles VI et la faille dans le miroir
Si l’œuvre de Christine de Pizan se pense comme un miroir des princes, Charles VI pourrait parfaitement figurer la faille dans ce miroir. Contrairement à son père, Charles V, ce roi y brille par son absence. Une absence que l’on est tenté d’associer aux « absences » du roi, terme par lequel ses contemporains désignaient les crises de folie qui le tenaient régulièrement éloigné du gouvernement. Cet article s’attache à montrer comment l’œuvre de l’écrivaine investit la vacance royale pour combler, colmater les failles qui risquent de faire chanceler le royaume ; elle en fait un espace fécond de restauration, de réflexion, et d’abord, de représentation. En effet, de même que lors des obsèques du roi, on avait eu recours à un mannequin de cire pour représenter le corps irreprésentable du roi, la décomposition du pouvoir royal qui menace le gouvernement de la France conduit Christine de Pizan à construire, à partir de ce roi irreprésentable, et pour lui, d’autres modes de présence, une représentation polymorphe dans laquelle se dessinent un espace de restauration, ainsi qu’une forme de théorisation du pouvoir royal.
- Christine de Pizan, Charles VI, représentation, royauté
Fabrice Delivré
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (LaMOP)
Charles VI et le pouvoir royal en temps de schisme
Le règne de Charles VI, qui coïncide avec le Grand Schisme d’Occident, a vu se développer la conviction selon laquelle le roi de France, à l’exemple de ses prédécesseurs, s’est toujours illustré par sa faculté à apaiser les schismes et à rétablir sur le siège apostolique les papes légitimes qui en avaient été chassés. Enraciné dans le Liber pontificalis, dont les versions glosées de Pierre Bohier circulent à partir des années 1380, le motif se décline dans les prophéties de Télesphore de Cosenza, l’ecclésiologie de l’Anonyme dominicain et la littérature politico-allégorique d’Honoré Bovet. Devenue un emblème de la « nation France » et de la mission souveraine de son roi, l’idée suscita la riposte d’auteurs germaniques qui, tels Heinrich von Langenstein et Dietrich von Nieheim, contestèrent pareil monopole et insistèrent sur l’action des rois des Romains et des empereurs dans la résolution des schismes.
- eschatologie, Liber pontificalis, prophétie, royauté, schisme
Michelle Szkilnik
Université Sorbonne Nouvelle (CERAM, EA 173)
Le loup, la belette et le pasteur : Rome et Avignon dans le Songe du Vieil Pelerin
La question du schisme dans l’Église préoccupait beaucoup Philippe de Mézières. Dans le Songe du Vieil Pelerin, malgré un traitement plus favorable de Clément VII, il semble renvoyer dos à dos la cour de Rome et celle d’Avignon, comme le montre la comparaison du plaidoyer que le loup Ysengrin adresse à la reine Vérité et les discours provocants des trois vieilles sœurs venues défendre leurs besants devant la reine et ses compagnes. Mais Philippe fonde son espoir d’une réconciliation sur le jeune Charles VI et la croisade qu’il souhaite lui voir mener.
- Avignon, Clément VII, croisade, pape, Rome, schisme
Claire Le Ninan
Université Sorbonne Nouvelle, CERAM (EA 173)
Le Livre de la Cité des dames de Christine de Pizan, ses sources et la circulation des textes littéraires sous le règne de Charles VI
Le Livre de la Cité des dames de Christine de Pizan est une compilation qui puise sa matière dans d’autres textes. Certaines de ces œuvres sont bien connues à l’époque de Christine, c’est le cas de l’Histoire ancienne jusqu’à César ou du Miroir historial de Vincent de Beauvais, traduit par Jean de Vignay. D’autres ont fait l’objet de traductions récentes, comme les Cleres et nobles femmes de Boccace ou les derniers livres des Faits et dits remarquables de Valère Maxime. L’étude de quelques emprunts nous amène à nous interroger sur la façon dont Christine a pu avoir accès à ces sources. Si le rôle des bibliothèques des princes dans la circulation des textes auprès de l’écrivaine a souvent été évoqué, le milieu des artisans du livre a pu être, pour elle, une autre façon d’avoir connaissance des œuvres nouvelles.
- Christine de Pizan, Livre de la Cité des dames, sources, bibliothèque, artisans du livre
Jean-Claude Mühlethaler
Université de Lausanne
Prestige des « philosophes » : les auteurs en quête de légitimité au temps de Charles VI
La base de données Clerc 6 (Université de Lausanne) recense les termes utilisés pour construire une posture d’auteur (son éthos) dans quelque 250 œuvres rédigées sous Charles VI. Parmi ceux-ci, nous avons retenu le qualificatif de philosophe (moins étudié que les notions concurrentes de poète ou d’orateur) en vue d’en dégager les enjeux socio-culturels. Des nuances et des effets de sens se dessinent en fonction des contextes dans lesquels le terme est utilisé, en fonction aussi des relations (de similitude ou d’opposition) qu’il entretient avec d’autres expressions renvoyant à l’auctoritas de l’auteur en quête de reconnaissance, la légitimité de l’écriture et la réception, parfois aléatoire, de l’œuvre par ses premiers lecteurs.
- auteur, Charles VI, éthos, lecteur, orateur, philosophe, poète
Bénédicte Milland-Bove
Université Sorbonne Nouvelle, CERAM (EA 173)
L’image de Charles VI dans le Journal des demoiselles sous le règne de Louis-Philippe (1833-1848)
Le règne de Charles VI a-t-il laissé, selon les mots de Françoise Autrand, un « mauvais souvenir » ? Cet article propose d’examiner une source bien particulière, puisqu’il s’agit d’un périodique pour jeunes filles, à une époque charnière dans la constitution de la mémoire nationale, le règne de Louis-Philippe. Si l’ensemble des articles atteste de la culture historique poussée offerte aux jeunes filles de la Monarchie de Juillet, un texte curieux d’Adolphe Jadin attribue au roi fou et à sa cour, de façon sans doute plus fantaisiste, l’origine et la diffusion de la mode des poupées. Face à un roi-enfant et féminisé, est également présente la reine Isabeau, véritable figure noire d’un règne dont l’image n’est au total pas si négative. Quelques pistes sont également proposées pour explorer la place du roi fou dans l’imaginaire médiévaliste du grand public, du XIXe siècle à l’époque contemporaine.
- Charles VI, culture historique, Journal des demoiselles, jeunesse, médiévalisme, presse féminine
Benoît Grévin
CNRS-CRH (UMR 8558)
Comprendre l’usage du « pseudo-grec » et du « pseudo-hébreu » au XIIIe siècle. L’Exoticon attribué à Alexandre de Halès.
L’Exoticon attribué à Alexandre de Halès est un poème didactique créé au début du XIIIe siècle. Il se compose d’une suite de diptyques composés en hexamètres dactyliques, à partir de mots grecs, hébraïques et araméens, pour former autant de pseudo-phrases. Des commentaires latins, parfois renforcés par des équivalences lexicales en langue vernaculaire, proposent une interprétation de ces petites sentences. Le présent article vise à montrer comment une étude de ce texte permet de dépasser la vision négative traditionnelle qui a accompagné les œuvres de ce genre. L’Exoticon témoigne certes de l’existence d’une culture pseudo-hébraïque et pseudo-grecque qui n’avait pas grand-chose à voir avec la connaissance réelle de ces deux langues, mais il possède une logique pédagogique et linguistique qui vaut la peine d’être étudiée : elle permet de mieux comprendre certains aspects de l’apprentissage linguistique et du rapport aux langages au XIIIe siècle.
- Alexandre de Halès, araméen, grec, hébreu, langage, latin, métrique, pédagogie, scolastique
Claire Clément
Avignon Université, CIHAM
Barbier du pape, chirurgien dans la cité. Questionner le statut et l’activité médicale d’un obligé du pontife, Robin de Singallo (†1381)
Cet article est tiré d’un travail d’archives réalisé dans le cadre de ma thèse. Il porte sur la trajectoire d’un barbier du pape, soit un acteur de santé issu de l’apprentissage et non de l’université, dont les compétences médicales sont a priori limitées. Reconstituer sa trajectoire à partir des archives romaines et avignonnaises, c’est mettre en lumière les voies d’accès à une notabilité médicale au XIVe siècle. Cet homme, Robin de Singallo, parvient à jouir de rémunérations et de considérations de la part de la papauté qui le placent au même rang que certains praticiens de la cour. Les deux papes qu’il sert successivement lui confient des missions d’importance auprès d’autres souverains. Il devient également l’un des experts, en tant que barbier-juré, du tribunal de la cour d’Avignon. Il suit le pape Grégoire XI à Rome où il prête ses talents aux pauvres romains. Faire la micro-histoire de ce praticien de santé permet donc de questionner la porosité des hiérarchies médicales dans le cadre de la cour pontificale.
- chirurgie, expertise, médecine, papauté
Quelques publications récentes sur la Toscane et l’Italie médiévales
Didier Boisseuil
Université de Tours
historiographie, État, Italie, Toscane