Léa NASH : « Sur le phénomène d’ergativité dans les langues naturelles : une présentation »
Les langues ergatives groupent ensemble l’objet d’un verbe transitif (O) et l’argument unique d’un verbe intransitif (S), traitant l’agent d’un verbe transitif (A) d’une façon distinctive. La question principale est de savoir si l’ergativité doit être considérée comme un phénomène morphologique ou comme un phénomène syntaxique. Or, puisque les langues ergatives n’exhibent pas directement une propriété unique et saillante qui les distinguerait des langues accusatives, l’ergativité serait mieux définie comme un phénomène morphosyntaxique superficiel lié à l’assignation du cas, conclusion qui affaiblit de façon considérable la division du type linguistique ergatif en ergativité superficielle (morphologique) et profonde (syntaxique). De plus, des constructions nominatives-accusatives sont attestées dans pratiquement toutes les langues ergatives. Par conséquent, les langues ergatives peuvent être définies comme des systèmes ” scindés ” où les propriétés d’accord et de cas peuvent osciller entre les systèmes accusatif et ergatif. Je discuterai certains phénomènes de partition, comme la partition personnelle et la partition aspectuelle, régulièrement attestés dans un grand nombre de langues ergatives. J’examinerai également quelques analyses récentes de l’ergativité fondées sur la Théorie du Cas.
Jonathan David BOBALJIK : « Pseudo-ergativity in chukotko-kamchatkan agreement systems »
Les langues chukotko-kamtchatkiennes paraissent présenter un curieux système d’accord scindé, dans lequel des préfixes marquant le nominatif apparaissent conjointement avec des suffixes marquant l’absolutif. Nous suggérons que cette caractérisation est erronée, et que le système d’accord de ces langues est en réalité nominatif-accusatif, c’est-à-dire sujet-objet. Cette conclusion est en partie motivée par l’inventaire des morphèmes d’accord. Bien que les suffixes reflètent souvent soit un sujet intransitif (S), soit un objet (O), il n’y a aucun suffixe qui exprime à la fois ces deux fonctions ; en effet, à une exception près, les suffixes font systématiquement la distinction entre les arguments S et O, soit par leur forme, soit par leur position. L’apparition simultanée d’un préfixe et d’un suffixe d’accord avec un sujet intransitif provient d’une contrainte morphologique qui exige que les positions de préfixe et de suffixe soient toutes deux occupées. Les traits du sujet sont donc copiés en position suffixe quand aucun objet n’est présent pour fournir ses traits d’accord. Cette caractérisation est justifiée de façon indépendante dans le cas de l’Itelmen par la distribution des suffixes d’accord pour les objets directs de troisième personne (voir Bobaljik & Wurmbrand, 1997) : comme ceux-ci n’apportent pas de traits de personne, ce sont ceux du sujet qui sont copiés.
Anne DALADIER : « Une ergativité nominale en français ? »
Dans une langue comme le français qui n’a pas d’assertion nominale, les prédications nominales et verbales sont probablement moins proches que ne le laissent supposer Kayne (1994), Pesetsky (1995) et Marantz (1997). Les noms français font intervenir des phénomènes de voix et d’intransitivité, non idiomatiques, à moins qu’il ne s’agisse de l’émergence d’un phénomène d’ergativité. Les ancêtres védiques des constructions ayant donné lieu à des formes verbales ergatives dans des langues indo-aryennes actuelles ont en commun avec nos noms d’être nominaux et de présenter une double prédication lexicale, autorisant l’expression oblique d’un agent. Cependant, les noms français, leurs voix et leurs diverses structures argumentales, selon les hypothèses qui sont faites ici, permettent l’expression grammaticalisée de valeurs aspectuelles et agentives d’une très grande diversité.
Rose-Marie DÉCHAINE & Victor MANFREDI : « svo ergativity and abstract ergativity »
Malgré l’idée généralement acceptée dans la littérature sur la typologie des langues, il existe des raisons théoriques et empiriques pour admettre l’existence de langues ergatives svo. Le kashmiri (Bhatt, 1994) possède un cas ergatif manifeste dans une construction aspectuelle à ordre svo. L’/gbo est une langue svo qui ne marque pas les arguments pour le cas manifeste. Suivant l’hypothèse de Bittner & Hale (1996a) qui propose que le cas représente les relations de portée de surface, la quantification existentielle et générique des arguments N nus en /gbo présente des restrictions caractéristiques de la syntaxe ergative. Nous proposons que la distribution des ces lectures est acquise sur la base d’une double hypothèse : (i) l’interprétation des N nus est sensible au cas, et (ii) l’/gbo manifeste une ergativité abstraite. En /gbo, les arguments KP (sujet ergatif, objet oblique) sont toujours existentiels. Les arguments sans K (objet direct, sujet intransitif) sont normalement génériques (NP nus), mais peuvent avoir sous certaines conditions une lecture existentielle (DP nus). Nous en concluons que ces constructions exigent que la locuteur de l’/gbo postule un cas ergatif non-manifeste.
Ken HALE : « L’antipassif de focalisation du k’ichee’ et la forme inversée du chukchi : une étude de l’accord excentrique »
Les langues ergatives K’ichee’ (Maya) et Chukchi (Chukotko-Kamchatka) possèdent des constructions transitives dans lesquelles la morphologie d’accord attendue est absente dans sa position verbale habituelle. À cet égard, ces constructions ressemblent à l’antipassif, à la différence que l’objet n’est pas rétrogradé. Des deux arguments qui doivent concourir pour le seul accord existant, c’est le sujet (l’ergatif) qui l’emporte, en s’accordant excentriquement avec le noyau fonctionnel normalement associé avec l’objet (le nominatif). Nous montrons que cette conséquence découle d’une interprétation appropriée de la localité.
M. Rita MANZINI et Leonardo M. SAVOIA : « Clitics and auxiliary choice in Italian dialects : Their relevance for the Person ergativity split »
Un des aspects plus connus et problématiques des systèmes ergatifs de Cas est représenté par la partition entre 1/2p et 3p, tel que seulement les arguments de 3p sont ergatifs, mais non les arguments de 1/2p. Nous cherchons à éclairer ce problème en considérant une partition semblable entre 1/2p et 3p dans certains dialectes de l’Italie Centrale et Meridionale ; ces dialectes ont l’auxiliaire être avec sujets de 1/2p, et l’auxiliaire avoir avec sujets de 3p. Nous établissons avant tout l’existence d’un ensemle articulé de projections Clitique qui dominent I. Dans notre conception, cette coquille Clitique remplace la coquille VP comme représentation des proprietés thématiques/aspectuelles de la phrase. Nous proposons ensuite que la sélection de l’auxiliaire, en particulier dans les dialectes de l’Italie Centrale, est determinée par la structure interne de la coquille Cl. En dernier lieu, nous traçons les implications de cette analyse pour la partition d’ergativité classique. En particulier, le Cas abstrait doit etre abandonné en tant que notion syntaxique, et remplacé par une notion de Cas purement morphologique ; celle-ci à son tour n’est qu’un reflet de la structure interne des projections Cl.
Annie MONTAUT : « L’ergativité en indo-aryen : un procès actif contrôlé par son agent ou une prédication (stative) de localisation ? »
La structure ergative, rare dans les langues indo-européennes, soulève un problème typologique spécial en hindi, langue indo-aryenne occidentale, puisqu’elle est ignorée des langues indo-aryennes orientales comme le bengali, issu pourtant aussi du sanscrit et de la généralisation de l’adjectif verbal passif pour exprimer les procès transitifs passés &endash; et à un moindre degré, pour exprimer l’obligation. Après une brève description de cette double évolution (ergativation d’un côté, dé-ergativation de l’autre), je cherche à montrer que l’émergence historique de l’ergativité à partir de la phrase nominale sanscrite n’est pas sans rapport avec les propriétés morphologiques et syntaxiques observables aujourd’hui, de sorte qu’il semble correct de l’analyser comme une prédication de localisation. En outre, les données du marathi présentent une série de variantes significatives entre cas ergatif et datif dans les prédications comportant optatif et obligatif, héritées de la phrase nominale d’obligation du sanscrit. Cela confirme l’analyse en question et invite à situer la structure ergative dans le plus vaste ensemble des prédications de localisation, notamment entre autres celles qui impliquent un expérient au datif.