Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Revue Médiévales. Langue Textes Histoire
Nombre de pages : 224
Langue : français
Paru le : 28/01/2021
EAN : 9782379241468
CLIL : 3386 Moyen Age
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 240×160 mm
Version papier
EAN : 9782379241468

Version numérique
EAN : 9782379241475

Éthiopie, Nubie, Égypte

Pouvoirs chrétiens et musulmans (XIe-XVe siècle) - N°79/2020

Éthiopie, Nubie, Égypte forment entre le XIe et le XVe siècle un espace de confrontations complexes entre pouvoirs chrétiens et pouvoirs musulmans que se soient dans les relations diplomatiques, la construction de rapports de force ou les conflits armés. Les auteurs montrent dans ce numéro la complexité de ces relations.

Entre XIe et XVe siècle, les royaumes chrétiens d’Éthiopie et de Nubie cultivent des rapports conflictuels avec l’Égypte musulmane, et d’autres entités musulmanes de la région. Ces relations sont rendues complexes par la présence en Égypte du patriarcat copte, qui nomme les évêques des royaumes d’Éthiopie et de Nubie, et par l’existence de communautés musulmanes en Éthiopie et en Nubie. L’historiographie traditionnelle a longtemps présenté l’histoire de l’Éthiopie comme celle d’un royaume uniformément chrétien tandis que la Nubie subissait une islamisation et une arabisation inéluctables. Les recherches récentes remettent en cause ces simplifications et montrent la complexité des relations entre pouvoirs chrétiens et musulmans.

Robin Seignobos Pouvoirs chrétiens et musulmans, de la Corne de l’Afrique à la vallée du Nil (XIe-XVe siècle)

Marie-Laure Derat L’affaire des mosquées. Interactions entre le vizirat fatimide, le patriarcat d’Alexandrie et les royaumes chrétiens d’Éthiopie et de Nubie à la fin du XIe siècle

Julien Loiseau Chrétiens d’Égypte, musulmans d’Éthiopie. Protection des communautés et relations diplomatiques entre le sultanat mamelouk et le royaume salomonien (ca 1270-1516)

Benjamin Weber Damiette, 1220. La cinquième croisade et l’Apocalypse arabe de Pierre dans leur contexte nilotique

Bertrand Hirsch Le récit des guerres du roi ʿAmda Ṣeyon contre les sultanats islamiques, fiction épique du XVe siècle

Amélie Chekroun Entre Arabie et Éthiopie chrétienne. Le sultan walasmaʿ Saʿd al-Dīn et ses fils (début XVe siècle)

Robin Seignobos Émir à Assouan, souverain à Dongola. Rivalités de pouvoir et dynamiques familiales autour du règne nubien du Kanz al-Dawla Abū ʿAbd Allāh Muḥammad (1317-1331)

Essais et recherches

Lucien Dabadie Les béguins du Languedoc ont-ils cru au troisième âge de l’Esprit-Saint ?

Marie Dejoux La fabrique d’une loi. Retour sur la « grande ordonnance de réforme de 1254 »

Point de vue

Marie-Laure Derat Moyen Âge africain. Plaidoyers pour des histoires de l’Afrique

Notes de lecture

Nathalie Bouloux, Ana Dan, Georges Tolias (dir.), Orbis disciplinae. Hommages en l’honneur de Patrick Gautier Dalché (Gion Wallmeyer) ; Loïc Chollet, Les Sarrasins du Nord. Une histoire de la croisade balte par la littérature (xiie-xve siècle) (Victor Barabino) ; Sharon Farmer, The Silk Industries of Medieval Paris. Artisanal Migration, Technological Innovation, and Gendered Experience (Boris Bove) ; Paul Fermon, Le Peintre et la carte. Origines et essor de la vue figurée entre Rhône et Alpes (xive-xve siècle) (Juliette Dumasy-Rabineau) ; Alban Gautier, Beowulf au paradis. Figures de bons païens dans l’Europe du Nord au haut Moyen Âge (Anne-Marie Helvétius) ; Julia Gonnella, Friederike Weis, Christoph Rauch (éd.), The Diez Album, Contexts and Contents (Anna Caiozzo) ; Jean-Claude Mühlethaler et Delphine Burghgraeve (dir.), Un territoire à géographie variable. La communication littéraire au temps de Charles VI (Florence Bouchet) ; Vida Alice Tyrrell, Merovingian Letters and Letter Writers (Martin Gravel)

Marie-Laure Derat – Orient et Méditerranée (UMR 8167), CNRS (Paris) L’affaire des mosquées. Interactions entre le vizirat fatimide, le patriarcat d’Alexandrie et les royaumes chrétiens d’Éthiopie et de Nubie à la fin du XIe siècle

Au cours de l’année 1089-1090, le vizir égyptien Badr al-Ǧamālī convoqua le patriarche Cyrille II et le frère du métropolite éthiopien pour leur demander des comptes sur les engagements de ce métropolite avant sa nomination : construire des mosquées en Éthiopie et assurer la sécurité des commerçants musulmans sur ses terres. Cette affaire, qui témoigne des interactions entre le vizirat fatimide d’Égypte, le patriarcat d’Alexandrie et les royaumes chrétiens d’Éthiopie et de Nubie, est mentionnée par l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, dans une biographie dont l’auteur était contemporain des événements. L’objet de cet article est à la fois d’établir le déroulé des événements, de saisir les modalités de l’ingérence de Badr al-Ǧamālī dans les affaires de l’Église, et les motivations qui le poussent à exiger que des mosquées soient construites dans un royaume qu’il ne contrôle pas. Entre propagande ismaélienne et redéploiement des zones contrôlées par les Fatimides et leurs marchands, l’affaire des mosquées dévoile les ressources dont dispose la dynastie dans sa politique d’influence. – Mots clés : Badr al-Ǧamālī, Égypte, Éthiopie, Fatimides, Nubie, patriarcat d’Alexandrie.


Julien Loiseau – Aix-Marseille Univ, CNRS, IREMAM, Aix-en-Provence, France Chrétiens d’Égypte, musulmans d’Éthiopie. Protection des communautés et relations diplomatiques entre le sultanat mamelouk et le royaume salomonien (ca 1270-1516)

Les relations diplomatiques entre le royaume chrétien d’Éthiopie et les autorités islamiques du Caire, étroitement liées à la règle de nomination du métropolite de l’Église éthiopienne par le patriarche d’Alexandrie, connaissent une régularité sans précédent au temps des rois salomoniens et des sultans mamelouks. Entre 1274 et 1516, au moins treize ambassades éthiopiennes sont reçues au Caire et quatre lettres du sultan sont portées en Éthiopie par ses émissaires, en sus des lettres du patriarche au roi d’Éthiopie parfois écrites sur instruction du sultan. L’étude de ces échanges, et tout particulièrement des lettres des rois d’Éthiopie copiées en arabe par les chroniqueurs égyptiens, met en lumière un thème important de ces relations diplomatiques : la question croisée de la protection des chrétiens d’Égypte par le roi d’Éthiopie et de la protection des musulmans d’Éthiopie par le sultan d’Égypte et de Syrie. Élaborée par la diplomatie salomonienne, cette mise en miroir des communautés est réactualisée aux xive-xve siècles par les violences subies en Égypte par les sujets chrétiens du sultan comme par les guerres menées par le roi chrétien contre les musulmans d’Éthiopie. Au xve siècle, la diplomatie mamelouke se l’approprie à son tour, dans ses relations avec le roi chrétien comme avec son rival musulman établi dans l’est de l’Éthiopie. – Mots clés : conflits interconfessionnels, diplomatie, Égypte, Éthiopie, relations islamo-chrétiennes.

Benjamin Weber – Historiska Institutionen, Stockholms Universitet (Suède) Damiette, 1220. La cinquième croisade et l’Apocalypse arabe de Pierre dans leur contexte nilotique

La découverte de textes prophétiques par la cinquième croisade à Damiette en 1220 est en général étudiée en relation avec la quête du Prêtre Jean, avec lequel les croisés rêvèrent, à partir de 1221, d’une alliance. Cet article revient à la source de ces textes, l’Apocalypse arabe de Pierre, pour expliquer ces prophéties dans leur contexte premier, africain et nilotique. Les textes apocalyptiques doivent alors être compris comme une tentative, sans doute de la part de certains membres de la communauté copte, d’inclure les Francs dans les rapports de force entre Ayyoubides, Nubiens et Éthiopiens, en pleine recomposition en ce début du xiiie siècle. – Mots clés : Apocalypse arabe de Pierre, cinquième croisade, Coptes, Damiette, Éthiopie, Jacques de Vitry, Nubie, Olivier de Padeborn, Prophétie de Hannan.

Bertrand Hirsch – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Orient & Méditerranée (UMR 8167) Le récit des guerres du roi ʿAmda Ṣeyon contre les sultanats islamiques, fiction épique du XVe siècle

Le récit des guerres d’ʿAmda Ṣeyon contre les sultanats islamiques, qui raconte les conflits entre le roi chrétien (r. 1314-1344) et les États islamiques d’Éthiopie au cours de l’année 1332/3 est considéré comme l’un des premiers récits de nature historique composé en langue geʿez. En analysant la nature profondément épique de ce récit et en le comparant avec les sources arabes endogènes, il apparaît qu’il ne s’agit pas du témoignage d’un contemporain des événements mais d’une fiction épique, probablement écrite dans la première moitié du xve siècle, à une époque imprégnée par l’idéologie du djihad et de la guerre sainte, peut-être sous le règne du roi Zarʾa Yāʿeqob (r. 1434-1468). – Mots clés : Amda Ṣeyon, djihad, épopée, Éthiopie, guerre sainte, Ifāt, Ṣabr al-Dīn, Zarʾa Yāʿeqob.

Amélie Chekroun – CNRS, IREMAM (Aix-en-Provence) Entre Arabie et Éthiopie chrétienne : le sultan walasmaʿ Saʿd al-Dīn et ses fils (début XV siècle)

Au début du xve siècle, le sultan walasmaʿ Saʿd al-Dīn est assassiné par les troupes du roi chrétien d’Éthiopie à Zaylaʿ. Cet épisode charnière de l’histoire de la dynastie des Walasmaʿ marque la fin du sultanat d’Ifāt sur lesquels ces derniers règnent depuis la fin du xiiie siècle. Cet article revient sur ce meurtre et ses conséquences, notamment le refuge des fils de Saʿd al-Dīn à la cour du sultan rasūlide du Yémen avant leur retour en Éthiopie pour fonder un nouveau sultanat, le Barr Saʿd al-Dīn, tout en continuant à s’opposer au pouvoir chrétien. Cet article s’appuie sur les deux textes en arabe utilisés lorsqu’il est question de Saʿd al-Dīn, le Kitāb al-Ilmām de al-Maqrīzī et le Taʾrīḫ ʿUmar Walasmaʿ, ainsi que sur de nouvelles sources, dont des annales yéménites du xve siècle et des dictionnaires biographiques d’Égypte et du Yémen. Cette documentation renouvelée permet de fixer la date de la mort de Saʿd al-Dīn en 811 H./1408-1409 et de mieux comprendre le rôle du pouvoir yéménite dans cette affaire, ainsi que l’opposition des pouvoirs chrétiens à Saʿd al-Dīn puis à ses fils. – Mots clés : Éthiopie, sources arabes, Walasmaʿ, Yémen, Zaylaʿ

Robin Seignobos – Université Lumière Lyon 2 Émir à Assouan, souverain à Dongola. Rivalités de pouvoir et dynamiques familiales autour du règne nubien du Kanz al-Dawla Abū ʿAbd Allāh Muḥammad (1317-1331)

En accédant au trône de Dongola en 1317, le Kanz al-Dawla Abū ʿAbd Allāh Muḥammad, émir de la tribu des Banū al-Kanz d’Assouan, devient le premier souverain musulman officiellement reconnu du royaume nubien de Dotawo. Cet article propose de revenir sur ce règne méconnu à la lumière des avancées récentes de l’historiographie et en prenant appui sur une documentation en partie renouvelée. Ces progrès permettent désormais de mieux saisir les dynamiques familiales qui ont présidé à l’ascension de cet émir devenu roi, dans un contexte de rivalités internes et d’ingérence des sultans du Caire dans les querelles dynastiques nubiennes. Les rares témoignages relatifs à ce règne laissent aussi entrevoir les modalités d’exercice de ce nouveau pouvoir musulman installé en plein cœur du royaume chrétien et nous renseignent sur l’évolution de ses relations avec le sultanat mamelouk. Bien que le règne du Kanz al-Dawla ait longtemps été perçu comme un évènement charnière marquant la fin de la royauté chrétienne en Nubie, cette rupture doit finalement être relativisée : Abū Abd Allāh Muḥammad ne fut pas, comme on a pu jadis le prétendre, le fondateur d’une « dynastie kanzī », et son ascension n’a pas non plus entraîné l’islamisation irrémédiable de la monarchie chrétienne, rétablie au plus tard en 1331. – Mots clés : Assouan, Banū al-Kanz, conflits dynastiques, Dongola, islamisation, Mamelouk, Nubie.


Lucien Dabadie – École normale supérieure (Paris) Les béguins du Languedoc ont-ils cru au troisième âge de l’Esprit-Saint ?

Bien que les béguins du Midi et l’histoire de leur persécution aient été amplement étudiés par une historiographie riche et compétente, le contenu de leurs croyances n’a pas bénéficié d’une pareille attention systématique. De plus, le traitement des croyances béguinales, considérant souvent les dépositions comme des reflets plus ou moins directs des positions des accusés, s’est effectué à rebours de la tendance constructiviste et hypercritique qui domine l’étude des sources inquisitoriales. Combinant les deux approches, la présente contribution s’appuie sur quatre-vingt-deux dépositions béguinales conservées dans les sermons inquisitoriaux édités ou transcrits (1322-1333) afin de se pencher sur la question particulière de leur adhésion au tertius status Spiritus Sancti, concept issu de Joachim de Fiore et repris par le maître spirituel des béguins, Pierre de Jean Olivi (1248-1298). Si la fréquence statistique de l’expression dans les interrogatoires reflète, de la part des inquisiteurs, un intérêt réel, quoique non généralisé, pour cette notion, l’authenticité de la croyance chez les interrogés ne se révèle qu’au prix d’une analyse de certains éléments de langage remarquables présents dans les dépositions. – Mots clés : béguins, Inquisition, joachimisme, Languedoc, Pierre de Jean Olivi, troisième âge de l’Esprit-Saint.

Marie Dejoux – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (UMR 8589), Membre de l’Institut universitaire de France La fabrique d’une loi. Retour sur la « grande ordonnance de réforme de 1254 »

Célèbre et célébrée par l’historiographie, la « grande » ordonnance de 1254, ensemble de prescriptions édictées par Louis IX en vue de moraliser son administration locale et, au-delà, le royaume tout entier, est un monument normatif dont on connaît mal la fabrique, à l’image de l’ensemble de la production normative de la France du xiiie siècle. Dans la lignée des travaux menés depuis 2010 sur l’écriture de la loi au Moyen Âge, cet article, entièrement consacré à la célèbre ordonnance, entend proposer une micro-histoire de la production législative à une époque où le Parlement et la Chambre des Comptes, principales chambres d’enregistrement de la loi aux siècles suivants, se détachent à peine de la curia regis. Sont ainsi mis au jour les multiples phases de rédaction de cette loi, sa diffusion, son enregistrement, sa conservation, ses sources, ses auteurs, de même que les mécanismes qui aboutirent à sa promulgation et à sa monumentalisation. – Mots clés : enquête, enregistrement, Louis IX, production législative, réforme.

Marie-Laure Derat – Orient et Méditerranée (UMR 8167), CNRS (Paris) The Mosque Affair. Interactions Between the Fatimid Vizierate, the Patriarchate of Alexandria, and the Christian Kingdoms of Ethiopia and Nubia at the End of the Eleventh Century

In 1089–1090, the Egyptian vizier Badr al-Ǧamālī’s summoned Patriarch Cyril II and the brother of the Ethiopian metropolitan to question them about the metropolitan’s commitments before his appointment: to build mosques in Ethiopia and to ensure the safety of Muslim traders on his lands. This affair, which bears witness to the interactions between the Fatimid vizierate of Egypt, the patriarchate of Alexandria, and the Christian kingdoms of Ethiopia and Nubia, is mentioned in The History of the Patriarchs of Alexandria, in a biography whose author was contemporary with the events. The purpose of this article is both to establish the course of events and to understand the modalities of Badr al-Ǧamālī’s interference in the affairs of the Church, as well as the motivations that led him to demand that mosques be built in a kingdom that he did not control. Between Ismaili propaganda and the repositioning of the Fatimid empire and its merchants, the mosque affair reveals the resources available to the dynasty in its policy of influence. – Keywords : Badr al-Ǧamālī, Egypt, Ethiopia, Fatimid, Nubia, patriarchate of Alexandria.

Julien Loiseau – Aix-Marseille Univ, CNRS, IREMAM, Aix-en-Provence, France Egypt’s Christians, Ethiopia’s Muslims. Protection of Communities and Diplomatic Relations Between the Mamluk Sultanate and the Solomonic Kingdom (c. 1270–1516)

Diplomatic relations between the Christian kingdom of Ethiopia and the Islamic authorities in Cairo were closely linked to the rule of appointment of the head of the Ethiopian church by the patriarch of Alexandria. These relations enjoyed an unprecedented regularity under the reign of the Solomonic kings and the Mamluk sultans. At least thirteen Ethiopian embassies arrived in Cairo between 1274 and 1516, while four letters were sent by the sultan to Ethiopia, in addition to the patriarch’s correspondence with the Christian king, part of which was dictated by the sultan himself. The study of these interactions, and especially of the Ethiopian diplomatic letters copied in Arabic by Egyptian chroniclers, highlights an important aspect of their diplomatic relations: the multifaceted issue of the protection of Egypt’s Christians by the king of Ethiopia and of Ethiopia’s Muslims by the sultan of Egypt and Syria. The Solomonic diplomacy first formulated this mirroring of Egyptian and Ethiopian communities. It was updated however in the fourteenth and fifteenth centuries by several episodes of violence against the Christian subjects of the sultan and by the king’s wars against Muslim people in Ethiopia. Moreover, the Mamluk diplomacy endorsed it in the fifteenth century in its relations with the Christian king as well as with his Muslim challenger in eastern Ethiopia. – Keywords : Christian–Muslim relations, diplomacy, Egypt, Ethiopia, interfaith conflicts.

Benjamin Weber – Historiska Institutionen, Stockholms Universitet (Suède) Damietta, 1220. The Fifth Crusade and the Arabic Apocalypse of Peter Within their Nilotic Context

The discovery of prophetic texts by the Fifth Crusade in Damietta in 1220 is mostly studied in relation to the quest for Prester John, with whom the crusaders sought an alliance from 1221. This paper goes back to the text’s first source, the Arabic Apocalypse of Peter, in order to explain the prophecies in their original African and Nilotic context. The apocalyptic texts must therefore be understood as an attempt, probably made by some members of the Coptic community, to introduce the Franks in the balance between Ayyubids, Nubians, and Ethiopians, deeply modified at the beginning of the thirteenth century. – Keywords : Arabic Apocalypse of Peter, Copts, Damietta, Ethiopia, Fifth Crusade, Jacques of Vitry, Nubia, Oliver of Paderborn, Prophecy of Hannan.

Bertrand Hirsch – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Orient & Méditerranée (UMR 8167) The Story of ʿAmda Ṣeyon’s Wars Against the Islamic Sultanates, a Fifteenth-Century Epic Fiction

The story of King ʿAmda Ṣeyon’s wars against the Islamic sultanates, which recounts the conflicts between the Christian king (r. 1314–1344) and the Islamic states of Ethiopia in the year 1332–1333, is considered one of the first stories of a historical nature to have been composed in Geʿez. In analyzing the profoundly epic nature of this story and comparing it with endogenous Arab sources, it appears that it is not the testimony of a contemporary of the events but an epic fiction, probably written in the first half of the fifteenth century, at a time permeated by jihadist ideology and the holy war, perhaps during the reign of King Zarʾa Yāʿeqob (r. 1434–1468). – Keywords : Amda Ṣeyon, jihad, epic literature, Ethiopia, holy war, Ifāt, Ṣabr al-Dīn, Zarʾa Yāʿeqob.

Amélie Chekroun – CNRS, IREMAM (Aix-en-Provence) Between Arabia and Christian Ethiopia: The Walasmaʿ Sultan Saʿd al-Dīn and his Sons (Early Fifteenth Century)

In the early fifteenth century, the Walasmaʿ sultan Saʿd al-Dīn was murdered, at Zaylaʿ, by the army of the Christian king of Ethiopia. This turning point in the history of the Walasmaʿ dynasty marked the end of the Ifāt sultanate, over which the Walasmaʿ had ruled since the end of the thirteenth century. This paper deals with this murder and its consequences, in particular Saʿd al-Dīn’s sons’ refuge at the court of the Rasūlid sultan of Yemen, then their return to Ethiopia to found a new sultanate, the Barr Saʿd al-Dīn, and to continue the opposition against the Christian power. This paper is based on the two Arabic texts generally used for this question, al-Maqrīzī’s Kitāb al-Ilmām and Taʾrīḫ ʿUmar Walasmaʿ, as well as new sources, such as fifteenth-century Yemeni annals and Egyptian and Yemeni biographical dictionaries. This renewed documentation makes it possible to establish the date of Saʿd al-Dīn’s death in 811 H./1408–1409, and to better understand the context, which explains the role of the Yemeni power in this affair, as well as the Christian powers that confronted Saʿd al-Dīn and then his sons. – Keywords : Arabic sources, Ethiopia, Walasmaʿ, Yemen, Zaylaʿ.

Robin Seignobos – Université Lumière Lyon 2 Emir in Aswan, Ruler in Dongola. Struggles for Power and Family Dynamics Surrounding the Nubian Reign of Kanz al-Dawla, Abū ʿAbd Allāh Muḥammad

Upon acceding to the throne of Dongola in 1317, the Kanz al-Dawla Abū ʿAbd Allāh Muḥammad, emir of the Banū al-Kanz tribe of Aswan, became the first officially recognized Muslim ruler of the Nubian kingdom of Dotawo. This article proposes to return to this little-known reign in the light of recent developments in historiography and on the basis of a partly renewed documentation. These advances now make it possible to gain a better understanding of the family dynamics at play in the ascension of this emir who became king, in a context of internal rivalries and interference by the sultans of Cairo in Nubian dynastic quarrels. The limited evidence relating to this reign also gives us a glimpse of the way in which this newly established Muslim power exerted its authority and provides information on the evolution of its relations with the Mamluk sultanate. Although the reign of the Kanz al-Dawla was long perceived as a pivotal event marking the end of the Christian monarchy in Nubia, this rupture should finally be put into perspective: Abū ʿAbd Allāh Muḥammad was not, as was once claimed, the founder of a “kanzī dynasty,” nor did his ascension lead to the irremediable Islamization of the Christian monarchy, which was reestablished in 1331 at the latest. – Keywords : Aswan, Banū al-Kanz, Dongola, dynastic conflicts, Islamization, Mamluk sultanate, Nubia.

Lucien Dabadie – École normale supérieure (Paris) Did the Beguins of Languedoc Believe in the Third Age of the Holy Spirit ?

While the Beguins of Southern France and the history of their persecution have been studied in detail by a substantial and competent historiographical tradition, the actual content of their beliefs has not received such systematic treatment. Moreover, in considering the inquisitorial depositions as more or less directly reflecting the positions of the accused, the analysis of their beliefs has followed a trend that diverges from the constructivist and hypercritical stance that dominates the study of inquisitorial sources. Combining both approaches, the present contribution relies on eighty-two depositions—edited or transcribed from inquisitorial sermons (1322–1333)—to elucidate the particular problem of adherence to the tertius status Spiritus Sancti, an idea that stemmed from Joachim of Fiore but was fully integrated into the eschatological thinking of the spiritual master of the Beguins, Peter John Olivi (1248–1298). While the statistical frequency of the phrase throughout the depositions reflects a significant, although irregular, awareness of the concept on the part of the inquisitors, authenticity of belief among the Beguins can only be argued through the analysis of certain remarkable linguistic features present in a small subset of these texts. – Keywords : Beguins, Inquisition, Joachimism, Languedoc, Peter John Olivi, third age of the Holy Spirit.

Marie Dejoux – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (UMR 8589), Membre de l’Institut universitaire de France The Making of a Law. Revisiting the Grande Ordonnance

Famous and celebrated by historiography, the “great” ordinance of 1254, a set of prescriptions enacted by Louis IX in order to moralize his local administration and indeed the entire kingdom, is a normative monument whose construction is not well known, similar to normative production as a whole in thirteenth-century France. Following the works conducted since 2010 on the writing of the law in the Middle Ages, this article, entirely devoted to the famous ordinance, intends to propose a microhistory of the legislative production at a time when the Parliament and the Chambre des Comptes, the main registration chambers of the law in the following centuries, barely dissociated themselves from the curia regis. This article explores the writing of this famous law, its spread, its registration, its conservation, its sources, its authors, and the mechanisms that led to its promulgation and monumentalization. – Keywords : registration, inquest, lawmaking, Louis IX, reform.

Introduction

Robin Seignobos Pouvoirs chrétiens et musulmans, de la Corne de l’Afrique à la vallée du Nil (XIe-XVe siècle)

« Éthiopie, Nubie, Égypte… » Le titre de ce dossier doit d’abord se lire comme une invitation à embrasser l’histoire de ces trois espaces à une autre échelle, celle de la vallée du Nil et de la Corne de l’Afrique, et à favoriser le décloisonnement des recherches conduites dans ces domaines d’études pourtant voisins. L’inversion de l’ordre attendu de l’énumération, qui aurait voulu que l’Égypte soit mentionnée la première, appelle toutefois à déplacer notre regard vers ces terrains méridionaux trop souvent relégués au rang de périphéries lointaines du monde méditerranéen 1.

Ces régions abritaient au Moyen Âge de puissants royaumes chrétiens, héritiers d’anciennes formations politiques (Méroé en Nubie et Aksum en Éthiopie) dont les souverains sont convertis au christianisme entre le ive (pour l’Éthiopie) et le vie siècle (pour la Nubie). Outre leur adhésion à une même doctrine christologique (le miaphysisme 2), ils ont en commun d’avoir échappé à la déferlante des conquêtes arabes des viie-viiie siècles. Les royaumes nubiens de Makouria et d’Alodia, successeurs du royaume de Méroé, résistèrent en effet aux tentatives d’invasion conduites dans le sillage de la conquête de l’Égypte, tandis que le royaume éthiopien d’Aksum demeura largement à l’écart de ce mouvement d’expansion, malgré l’ancienneté de ses liens avec l’Arabie voisine. À la différence de leurs coreligionnaires coptes, contraints d’accepter la domination politique de souverains musulmans, les chrétientés nubiennes et éthiopiennes ont donc pu continuer d’exister sous la houlette de monarques chrétiens. L’autonomie politique dont bénéficient la Nubie et l’Éthiopie, souvent enviée des chrétiens égyptiens, est toutefois contrebalancée par le rapport de dépendance ecclésiastique qui lie les royaumes africains au patriarcat copte d’Alexandrie, seul habilité à consacrer évêques et métropolites dans ces provinces éloignées. Cette situation paradoxale est incontestablement l’un des enjeux majeurs des relations entre Éthiopie, Nubie et Égypte et l’on ne s’étonnera donc pas qu’elle se trouve au cœur de plusieurs contributions de ce dossier. Mais la Nubie et l’Éthiopie ont aussi en commun d’avoir été confrontées, dès les ixe-xe siècles, à l’émergence en leur sein ou à leur périphérie de communautés musulmanes. Certaines d’entres elles se sont même érigées en entités politiques autonomes ou semi-autonomes qui finissent par entrer en rivalité avec les pouvoirs chrétiens de la moyenne vallée du Nil (émirat des Banū al-Kanz à la frontière égypto-nubienne) et des hauts plateaux (sultanats du Šawah, de l’Ifāt puis du Barr Saʿd al-Dīn).

L’historiographie éthiopienne a longtemps été influencée par une vision privilégiant la centralité du royaume chrétien, réduisant ainsi la présence de l’islam dans la Corne de l’Afrique à un phénomène tardif et marginal. Depuis une vingtaine d’années, les investigations historiques et archéologiques initiées par Bertrand Hirsch et François-Xavier Fauvelle sont venues battre en brèche cette « fiction historiographique » en mettant en évidence la présence ancienne de communautés islamiques structurées, organisées autour de villes établies le long d’axes conduisant des zones portuaires de la mer Rouge – Massawa et les îles Dahlak au nord, Zaylaʿ au sud – jusqu’au cœur des hauts plateaux 3. Ces travaux sont aujourd’hui poursuivis par plusieurs programmes de recherche témoignant du dynamisme actuel des études portant sur l’islam éthiopien 4.

Quant à la Nubie voisine, l’historiographie moderne n’y est pas embarrassée, comme en Éthiopie, par le grand récit d’une continuité pluriséculaire de la monarchie chrétienne depuis Aksum jusqu’à nos jours. Puisque le christianisme s’est définitivement éteint entre les dernières décennies du xve et le début du xvie siècle, c’est un autre récit, tout aussi téléologique, qui fait ici écran à notre compréhension : celui d’une islamisation et d’une arabisation perçues comme des processus conjoints, continus et inéluctables dont le Soudan contemporain serait l’héritier 5. Force est de constater néanmoins que le renouveau des études portant sur la diffusion et l’enracinement de l’islam en Nubie à l’époque médiévale a démarré plus tardivement que pour l’Éthiopie et ne bénéficie pas encore de la même visibilité. L’émergence récente d’un programme de recherche consacré à la ville de Dongola et au processus de transition qui a transormé cette capitale chrétienne en centre urbain musulman régional (entre le xive et le xviiie siècle) constitue néanmoins le signe de la vitalité retrouvée des études sur l’islam nubien et soudanais 6.

En réunissant les contributions formant ce dossier, notre intention était de faire converger deux historiographies évoluant en parallèle autour d’une problématique commune à ces deux espaces : comment l’islam s’est peu à peu imposé, dans la moyenne vallée du Nil et dans la Corne de l’Afrique, comme une force politique avec laquelle les États chrétiens ont été amenés à interagir voire à entrer en compétition ? Il s’agit donc ici de repenser l’histoire de la présence de l’islam en Nubie et en Éthiopie à travers les rivalités de pouvoirs que cette situation de coexistence a générées, à différentes échelles (locale, régionale et interrégionale).

Diplomaties croisées, tensions inter-communautaires et attentes eschatologiques

L’article de Marie-Laure Derat, avec lequel s’ouvre ce dossier, analyse avec finesse les linéaments d’un épisode de la fin du xie siècle narré dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, vaste compilation rassemblant les biographies des patriarches qui se sont succédé sur le trône de Saint Marc. Loin d’être anecdotique, ce qu’elle a choisi d’appeler « l’affaire des mosquées » souligne la complexité des relations entre les différents représentants du pouvoir, religieux ou politique, à l’échelle régionale. Si le puissant vizir fatimide Badr al-Ǧamālī, alors maître incontesté de l’Égypte, choisit de s’immiscer dans une querelle concernant la nomination du métropolite éthiopien, c’est qu’il y voit l’occasion de servir sa propre politique impériale visant à étendre l’influence de l’imamat fatimide et de la propagande ismaélienne dans la Corne de l’Afrique. En promettant à Badr al-Ǧamālī de faire édifier des mosquées en Éthiopie et de faire payer un tribut au souverain chrétien, l’un des candidats au métropolitat se fait volontairement le relais des aspirations impériales du vizir afin d’obtenir son soutien et satisfaire ainsi ses ambitions personnelles. Bien que ces promesses ne soient pas tenues – du moins pas à la hauteur des attentes du vizir – ce dernier entend par là se poser en protecteur de la communauté musulmane d’Éthiopie qui se structure alors dans le Nord du royaume – ce dont témoignent les nombreuses stèles funéraires arabes récemment découvertes sur le site de Bilet et dans ses environs 7. On entrevoit ainsi l’un des leitmotivs du discours diplomatique entre Égypte et Éthiopie des périodes plus tardives, celui de la protection des musulmans par les maîtres de l’Égypte, auquel répond, comme en miroir, celui de la défense des chrétiens égyptiens par le roi d’Éthiopie.

C’est précisément à ce thème récurrent que s’intéresse Julien Loiseau pour l’époque mamelouke, période durant laquelle les relations diplomatiques entre Le Caire et la Corne de l’Afrique deviennent non seulement plus régulières, mais aussi mieux documentées. L’équilibre des rapports de force entre communautés a néanmoins évolué depuis l’époque fatimide, tant en Égypte, où les coptes sont devenus minoritaires, qu’en Éthiopie, où les musulmans forment désormais des entités politiques autonomes ou aspirant à le devenir. Dans un cas comme dans l’autre, ces changements se sont traduits par un regain de tensions prenant notamment la forme, dans la vallée du Nil, de flambées de violence contre les chrétiens et, dans la Corne, par la recrudescence des conflits armés entre le royaume chrétien et les communautés musulmanes établies en son sein ou à ses marges. On comprend mieux, à la lumière de ce contexte, la mobilisation à intervalle régulier du motif de la protection de leurs coreligionnaires respectifs dans les correspondances échangées entre le roi chrétien et le sultan. L’analyse serrée de ce dossier épistolaire montre que cette menace est d’abord brandie par les souverains de la dynastie dite « salomonienne » en réaction aux persécutions anti-chrétiennes des années 1321 et 1354 en Égypte. Ce n’est qu’au siècle suivant que les sultans mamelouks s’emparent à leur tour de ce motif en prenant violemment à partie, en 1419, le patriarche copte, jugé responsable des guerres conduites par le souverain éthiopien contre les principautés musulmanes voisines. Médiateur privilégié des relations avec ces confins chrétiens, la figure du patriarche se trouve à nouveau, plus de trois siècles après l’« affaire des mosquées », pris au piège d’une relation triangulaire qui lui échappe.

Mais la communauté copte n’a-t-elle pas elle-même cherché, à certains moments de son histoire, à mettre en avant la tutelle ecclésiastique qu’exerçait le patriarcat d’Alexandrie sur ces rois chrétiens du Sud afin de peser davantage dans le rapport de force avec les maîtres musulmans de l’Égypte ? Dans un contexte de domination politique des chrétientés d’Orient, une telle menace ne pouvait guère être invoquée ouvertement sans prendre le risque de défier le pouvoir en place. Elle fit florès en revanche dans la riche littérature apocalyptique orientale, largement diffusée dans les milieux coptes, prenant la forme de l’intervention d’un souverain éthiopien ou nubien dans les épisodes précédant la seconde venue du Christ. C’est à la lumière de ces enjeux eschatologiques que Benjamin Weber propose de relire un épisode relativement bien connu de la cinquième croisade. Lors du siège de Damiette, en 1220, un texte prophétique annonçant la destruction prochaine de la Mecque par un roi nubien ou éthiopien est présenté aux croisés, texte ordinairement interprété à l’aune des projets occidentaux d’alliance avec le déjà célèbre Prêtre Jean. Or, en remontant à la source de ce récit, l’Apocalypse arabe de Pierre, et en replaçant l’évènement dans son contexte géopolitique, B. Weber propose de reconnaître dans cette prophétie une « œuvre de circonstance » remise dans un but précis aux dignitaires croisés par des chrétiens orientaux dont l’identité reste hélas incertaine. En faisant habilement miroiter l’intervention prochaine d’un roi chrétien venu du Sud, ces derniers souhaitaient délivrer aux Francs un message les invitant à poursuivre sans délai la conquête de l’Égypte. Cet appel ne fut toutefois pas entendu, car cette promesse pesait finalement fort peu face à celle de l’arrivée imminente d’un secours providentiel que l’on attendait toujours de l’Orient et non de ces royautés nilotiques dont l’Occident découvrait à peine et confusément l’existence.

Ce premier ensemble de contributions explore les différentes facettes de cette relation « en chiasme » qui lie les maîtres musulmans de l’Égypte, protecteurs et à l’occasion persécuteurs des coptes, aux souverains chrétiens d’Éthiopie et de Nubie, à la fois garants de la sécurité des communautés musulmanes vivant dans leur royaume et adversaires des pouvoirs islamiques de la région. Ces premières contributions traitent essentiellement de discours diplomatiques et de rapports de force. C’est aux confrontations plus directes liées à cette situation de voisinage inter-confessionnel que s’intéressent les auteurs du second volet de ce dossier.

Pouvoirs chrétiens et musulmans en conflit : relire les textes, réviser les chronologies

Dans une démonstration lumineuse, Bertrand Hirsch propose de revenir sur un « classique » de l’historiographie éthiopienne qui se trouve être également l’une des principales sources dont nous dispo- ­­s(i)ons sur l’histoire médiévale de l’islam dans la Corne de l’Afrique. En choisissant d’aborder les Guerres de ‘Amda Ṣeyon, récit en ge‘ez d’une vaste campagne militaire menée en 1331-1332 par le roi chrétien ‘Amda Ṣeyon (1314-1344) contre les sultanats voisins, comme une fiction épique, B. Hirsch s’autorise à lui appliquer la même grille d’analyse qu’aux textes appartenant au même genre produits en Occident ou dans d’autres contextes culturels. Ce traitement décapant met au jour un projet narratif sans équivalent dans le domaine éthiopien et permet surtout d’interroger autrement ce texte fondateur. En mobilisant les sources arabes endogènes, souvent disqualifiées au profit du récit ge‘ez jugé plus fiable car émanant du royaume chrétien, il devient évident que la campagne décrite avec tant de détails ne se rapporte pas à des évènements ayant eu lieu dans le temps ramassé d’une année (1331-1332), mais à toute une série de conflits qui se sont déroulés au xve siècle. Ce renversement, aussi fécond que déroutant pour l’historien, invite à reconsidérer de fond en comble le règne de ‘Amda Ṣeyon dont l’historicité semble se diluer dans la vision rétrospective que propose le récit épicisé de cette campagne. Cette œuvre sans équivalent nous en apprend finalement plus sur le contexte de rédaction qui l’a vu naître – sous l’énergique monarque Zara Ya’eqob (1434-1468) ? –, que sur le règne même de ‘Amda Ṣeyon, dont l’étude, privée de ce témoignage que l’on pensait contemporain des faits, devra désormais emprunter d’autres voies.

C’est justement vers ce xve siècle où tout semble basculer que nous emmène Amélie Chekroun par l’analyse d’un « évènement charnière » : la mort du dernier sultan d’Ifāt, Saʿd al-Dīn, et la fuite de ses fils partis trouver refuge à la cour rasūlide du Yémen, prélude à la fondation d’un second sultanat en Éthiopie, que ses héritiers nommeront d’ailleurs, en l’honneur de leur père, le Barr Saʿd al-Dīn (« Terre de Saʿd al-Dīn »). La relecture des sources arabes relatives aux derniers soubresauts de la dynastie walasmaʿ, éclairée par le riche corpus des sources yéménites jusqu’alors peu exploitées, invite à fixer le décès de Saʿd al-Dīn à l’année 1408-1409. La mise en évidence de ce décalage temporel dépasse cependant la simple mise au point chronologique et rend toute sa cohérence à l’épisode. Elle permet notamment d’expliquer l’association, dans les rares traditions historiques chrétiennes faisant écho à ces évènements, de la figure du roi éthiopien Dawit (1380-1412) – et non de son successeur Yesḥaq (1413-1430) – au dernier dynaste walasmaʿ. La mobilisation des sources yéménites offre par ailleurs un précieux contrepoint aux documents produits dans la Corne ou dans l’Égypte mamelouke et souligne encore l’étroitesse des liens diplomatiques, commerciaux et religieux qui unissaient les pouvoirs musulmans établis de part et d’autre de la mer Rouge. Il n’y a rien d’étonnant dès lors à ce que les héritiers de Saʿd al-Dīn aient fait du Yémen la base arrière de leur entreprise de refondation du sultanat, entreprise à laquelle le sultan rasūlide ne manque d’ailleurs pas d’apporter son soutien.

Le dernier article de ce dossier, par l’auteur de ces lignes, revient sur un autre moment de rupture d’équilibre entre pouvoirs chrétiens et musulmans, mais nous transporte cette fois en Nubie, dans le royaume chrétien de Dotawo, sous le règne du premier souverain musulman légitime de son histoire. Ce dernier n’est autre que le Kanz al-Dawla Abū ʿAbd Allāh Muḥammad, émir de la puissante tribu arabe des Banū al-Kanz établie depuis le ixe siècle dans la ville frontalière d’Assouan, au voisinage immédiat de la Nubie. En se fondant sur une documentation en partie renouvelée et sur les progrès récemment accomplis dans l’établissement de la chronologie royale nubienne, il s’agit ici de revenir sur le règne méconnu de l’émir d’Assouan en se penchant, en premier lieu, sur les circonstances confuses qui ont présidé à son ascension, au trône du Dotawo, en 1317. L’évènement intervient en effet au terme de plusieurs décennies de conflits dynastiques internes dans lesquels les sultans mamelouks se sont invités manu militari en prenant parti pour l’un ou l’autre prétendant, voire en proposant leurs propres candidats choisis parmi les princes nubiens gardés en otage à la cour du Caire. Le croisement des chroniques mameloukes et des textes documentaires produits localement (en vieux nubien ou en arabe) permet de clarifier la nature des liens familiaux unissant les différents prétendants au trône et de préciser ainsi l’identité du Kanz al-Dawla – dont nous ignorions jusqu’au nom – et la position que ce dernier occupait au sein de la famille royale nubienne. Ces avancées offrent un nouvel éclairage sur le règne de cet émir bédouin devenu, en vertu de son ascendance maternelle nubienne, souverain légitime d’un royaume chrétien. Ce sont donc les dynamiques locales, à travers les liens familiaux qui unissent les élites chrétiennes et musulmanes établies de part et d’autre de la frontière, qui finissent par l’emporter sur la pression brutale exercée par l’implacable appareil militaire mamelouke. La clarification chronologique qui découle naturellement de ce travail conduit toutefois à relativiser la rupture qu’a représenté ce règne dans le processus d’islamisation du royaume de Dotawo, puisque la monarchie chrétienne est rétablie au plus tôt en 1331, ouvrant ainsi une longue et obscure période d’alternance entre rois chrétiens et musulmans, qui se prolonge jusqu’à la fin du xve siècle.

Arrivé au terme de cette présentation, le lecteur aura sans doute l’impression que les rapports entre les sociétés chrétiennes et musulmanes des espaces considérés se résument à une suite de conflits, larvés ou ouverts, laissant peu de place à d’autres formes de relation, plus apaisées. Cette image est néanmoins déformée par l’angle sous lequel nous avons choisi de les aborder, en nous plaçant délibérément à la hauteur des détenteurs du pouvoir et non des sociétés que ces derniers dirigeaient et encadraient. Les sources mobilisées, émanant bien souvent des milieux proches desdits pouvoirs, tendent d’ailleurs à renforcer cette perception biaisée, surtout lorsque, comme la geste de ‘Amda Ṣeyon, elles sont imprégnées d’une rhétorique de la guerre sainte ou du djihād. Les investigations historiques et archéologiques conduites ces dernières années sur les sociétés chrétiennes et musulmanes de la moyenne vallée du Nil et de la Corne de l’Afrique commencent déjà à nuancer ce tableau en mettant en évidence la complémentarité économique et la continuité culturelle de ces deux mondes.

Robin Seignobos – Université Lumière Lyon 2

Bibliographie sélective

Cette bibliographie vise à présenter quelques ouvrages relatifs à la région de la moyenne vallée du Nil et de la Corne d’Afrique, avec un accent mis sur les ouvrages en français.

Ouvrages généraux

Fauvelle-Aymar Fr.-X., Le Rhinocéros d’or. Histoire du Moyen Âge africain, Paris, 2013.

Uhlig S. éd. (avec A. Bausi pour les vol. 4 et 5), Encyclopaedia Aethiopica, Wiesbaden, 2003-2014 (vol. 1 : A-C, 2003 ; vol. 2 : D-Ha, 2005 ; vol. 3 : He-N, 2007 ; vol. 4 : O-X, 2010 ; vol. 5 : Y-Z, Supplementa, Addenda et Corrigenda, Maps, Index, 2014).

Ouvrages spécialisés

Fauvelle-Aymar Fr.-X. éd., L’Afrique ancienne. De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre ère-xviie siècle, Paris, 2018.

Éthiopie

Braukämper U., Islamic History and Culture in Southern Ethiopia, Berlin/Münster, 2002.

Cuoq J., L’Islam en Éthiopie des origines au xvie siècle, Paris, 1981.

Derat M.-L., Le Domaine des rois éthiopiens, 1270-1527. Espace, pouvoir et monarchisme, Paris, 2003.

Derat M.-L., L’Énigme d’une dynastie sainte et usurpatrice dans le royaume chrétien d’Éthiopie du xie au xiiie siècle, Turnhout, 2018.

Derat M.-L., « Before the Solomonids : Crisis, Renaissance and the Emergence of the Zagwe Dynasty (Seventh-Thirteenth Centuries) », dans S.

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Revue Médiévales. Langue Textes Histoire
Nombre de pages : 224
Langue : français
Paru le : 28/01/2021
EAN : 9782379241468
CLIL : 3386 Moyen Age
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 240×160 mm
Version papier
EAN : 9782379241468

Version numérique
EAN : 9782379241475

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