Stephen OWEN : « La difficulté du plaisir »
La tradition chinoise a résolu le problème de la représentation littéraire du désir (conceptualisé comme un processus allant de l’absence à l’excès) par un double mouvement de stimulation suivie d’une retenue. Les textes les plus anciens examinés ici traitent de divertissements royaux dans lesquels une trajectoire vers l’excès est interrompue par un arrêt brusque du divertissement ou par le retour de la résolution morale. Les textes plus tardifs, à partir du milieu du IXe siècle, transforment ce double mouvement d’excitation et d’obstruction en une absorption tendue, dans laquelle le locuteur poète a l’attention figée sur une image du désir, mais ne peut ni aller de l’avant pour l’atteindre, ni se retirer.
Paul MAGNIN : « Le divertissement dans le bouddhisme chinois, entre ascèse et “moyens appropriés” »
Une contradiction apparente existe dans les textes bouddhiques chinois relatifs au divertissement. Les uns soulignent l’interdiction faite à tout bouddhiste de s’y adonner, les autres semblent prôner toute forme de loisir. En réalité la valeur morale attachée au divertissement est indissociable de l’utilité que lui donne un être conscient, réfléchi et volontaire. Elle doit être appréciée en fonction de règles qui entrent soit dans le champ de la “moralité en général”, soit dans celui de la “moralité d’engagement”. En outre dans la perspective du bodhisattva, le divertissement devient un “moyen approprié” pour attirer les êtres vers le bien et vers l’illumination. L’exemple du “jeu de l’agrafe cachée” à l’honneur lors des fêtes du nouvel an au sein de la communauté bouddhique, et notamment des associations, permet de mieux comprendre l’esprit et la fonction du divertissement en général. Toutefois il existe une forme supérieure de divertissement au coeur du samadhi par lequel s’affirme la parfaite maîtrise de soi et la faculté d’agir à sa guise parce qu’on a dépassé toute dualité et toute recherche des particularités et des différenciations.
Jacqueline PIGEOT : « Des jeux d’enfants aux concerts célestes : les représentations du divertissement dans le Japon ancien »
Si la notion d’asobi dans le Japon ancien semble recouvrir celle de “jeu” en Occident, on observe cependant que le divertissement musical, accompagné de chansons et de danses, y occupe une place prépondérante. Or ces divertissements musicaux, puis, à leur suite, le jeu en général, ont été valorisés au cours des XIIe et XIIIe siècles dans une perspective bouddhique, les “femmes de divertissement” assumant dans ce processus un rôle essentiel. Les principales sources utilisées sont un recueil de chansons courtisanes, le Ryôjin hishô (XIIe siècle), ainsi que plusieurs recueils d’anecdotes édifiantes (XIIIe siècle).
François MARTIN : « Les joutes poétiques dans la Chine médiévale »
Les jeux poétiques, entendus comme compositions en commun, sont une des institutions pérennes de la culture chinoise. Le présent article vise d’abord à faire revivre la vogue dont ils furent l’objet aux Ve et VI e siècles, puis à tenter d’en rechercher la genèse dans les échanges de citations de l’Antiquité, avant de proposer d’y voir les ancêtres directs de l’épreuve poétique aux examens officiels, en soulignant que le talent de l’improvisation poétique comme marque du bon ministre sous-tend toute cette évolution.
Marianne SIMON : « Un cas particulier d’estampes ludiques : les images en écriture de l’époque d’Edo »
Les moji. e (images en écriture) de l’époque d’Edo (1603-1867) sont des images ludiques particulièrement ingénieuses, dans lesquelles des caractères d’écriture se trouvent combinés de manière à former de véritables figures. À partir de quelques exemples empruntés à des genres différents (une image faste de Fujiyoshi, une estampe poétique et un manuel de dessin de Hokusai, un recueil humoristique de Hanasanjin), l’article tente de montrer en quoi les procédés employés introduisent un écart, un jeu donc, entre l’apparence immédiate de l’image, et les structures qui en sous-tendent la construction.
Annick HORIUCHI : « Les mathématiques peuvent-elles n’être que pur divertissement ? Une analyse des tablettes votives de mathématiques à l’époque d’Edo »
Les mathématiques au Japon se seraient, dit-on, développées à l’époque d’Edo “comme un magnifique art et un divertissement”. Les nombreuses tablettes de mathématiques (sangaku) présentées dans les sanctuaires et les temples en constitueraient la meilleure preuve. On se penchera ici sur le rôle joué par ces dernières dans le système de communication et de publicité mis en place par les spécialistes de l’époque. Nous montrerons que nombre de caractéristiques de ces tablettes, telles que l’accent mis sur l’esthétique, s’expliquent par des facteurs socioéconomiques, tels la rivalité des écoles situées pour l’essentiel dans la capitale et la professionnalisation du métier d’enseignant.
Gérard COLAS : « Jeux humains, jeux divins. Vues indiennes »
La littérature sanskrite, comme celle de l’Extrême-Orient, plaide en faveur d’un hédonisme mesuré. Elle nous décrit des dandys cultivés, de classes aisées, qui pratiquent des jeux de toutes sortes, physiques et intellectuels, des monarques et notables, amateurs éclairés, qui entretiennent des poètes, choisis au terme de compétitions littéraires. Mais les belles-lettres n’ouvraient pas en Inde de carrière administrative comme elles le faisaient en Chine. Les jeux poétiques portent sur le sens et sur la forme des énoncés, ils sont multiples. La notion de sens suggéré (dhvani) y est fondamentale. L’Inde, comme l’Extrême-Orient, associe le divertissement à l’enseignement profane et religieux. Mais elle donne aussi de la notion de jeu une interprétation métaphysique et transcendante. Dépassant une compréhension purement négative de la maya (“illusion”), les textes religieux hindous présentent un dieu lui-même créateur de maya et le monde comme un jeu divin. L’intérêt indien pour le théâtre reflète en partie cette conception.
François LISSARAGUE : « Mathématiques, poésie, jeux de banquets : quelques divertissements grecs »
Il n’y a pas en grec de terme unique pour désigner la catégorie du jeu et du divertissement. On est renvoyé soit à l’enfance (paizô), soit à la compétition (agôn). Les performances poétiques correspondent à ces deux plans : concours de récitation et jeux au banquet, dont l’article analyse divers aspects.