Capucine Nemo-Pekelman – Université Paris-Ouest – EA CHAD
Le statut du judaïsme dans le droit romain à la lumière du contentieux des conflits de lois (IVe-Ve siècles)
Aux IVe et Ve siècles, les populations juives réparties en foyers de peuplement dans de nombreuses provinces orientales et occidentales de l’Empire romain fournissent un exemple type d’entités diasporiques ne fonctionnant pas selon un modèle civique. Ceci n’empêcha pas le pouvoir romain de qualifier leurs règles, construites autour des prescriptions de la Torah, de leges ou de consuetudines, ce qui prouve qu’il leur reconnut la qualité de véritables sources du droit. Néanmoins, les lois impériales qui conservent la trace de litiges relatifs à des conflits de lois ou de juridictions suggèrent que, du point de vue romain, les lois juives étaient revêtues d’une auctoritas que l’empereur, souverain en matière législative, pouvait admettre ou rejeter. En outre, quand elles étaient formellement autorisées, c’était en qualité de simples privilèges. Les tribunaux juifs quant à eux (principalement les cours communautaires des synagogues et des villages) ne reçurent pas d’autonomie juridictionnelle mais furent assimilés, par fiction juridique, à des cours d’arbitrage romaines. L’étude entend aussi débrouiller les différents raisonnements qui présidèrent aux choix, en apparence anarchiques, des divers vocables – us, mos, consuetudo, lex, religio, superstitio – utilisés dans les lois impériales pour désigner le judaïsme.
Droit romain – droit juif – conflit de lois – conflit de juridictions – Empire romain tardif
Elsa Marmursztejn – Université de Reims – CERHIC EA 2616
Conflits de normes dans le débat scolastique sur le baptême forcé des enfants juifs (XIIIe-XIVe siècle)
Successivement traitée, entre 1269 et 1340, par Thomas d’Aquin, Richard de Mediavilla, Jean Duns Scot, Durand de Saint-Pourçain, Pierre de la Palud et Guido Terreni, la question du baptême forcé des enfants juifs révèle la pertinence et la productivité des conflits de normes dans le champ du débat théologique. La discussion ne s’est pas portée sur le terrain « légal » de l’opposition entre christianisme et judaïsme, mais sur le terrain politique et juridique du conflit entre droits du prince chrétien et droits des juifs comme parents, comme sujets et comme esclaves, dans un contexte où les politiques de conversion contribuent à la définition des monarchies occidentales comme monarchies chrétiennes et où la revendication royale d’une juridiction exclusive sur les juifs participe de l’affirmation générale de la souveraineté. Les liens de filiation naturelle sont ainsi mis à l’épreuve dans le cadre d’une réflexion plus large sur l’étendue et les limites de la domination chrétienne.
Scolastique – baptême forcé – enfants juifs – sujétion – servitude des juifs
Youna Masset – Université de Nantes – CRHIA
Juger les juifs catalans au début du XIVe siècle, une compétence disputée
La juridiction sur les juifs catalans fut l’objet de nombreux conflits de compétence qui opposèrent le roi aux seigneurs laïcs et ecclésiastiques, ainsi qu’aux autorités juives, au début du xive siècle. La délimitation et la répartition de ces compétences donnèrent lieu à une législation abondante, dont l’enjeu était important, car l’exercice de cette prérogative assurait un prestige et une source de revenus confortables. Le souverain Jacques II, dans sa politique d’affermissement du pouvoir royal, fit une priorité de la maîtrise de la compétence judiciaire sur ses terres.
Compétence – juridiction – Catalogne – juifs – Jacques II
Carole Avignon – Université d’Angers – CERHIO UMR 6258
Les mariages clandestins : impasse disciplinaire, scandale ou moteur de la réflexion doctrinale ?
L’histoire de la formalisation du droit du mariage dans l’Occident médiéval latin s’apparente à une succession de tensions normatives. Quoique les conflits de normes ne s’y limitent pas, les controverses théologiques et juridiques présentent l’intérêt d’avoir suscité l’expression de normes parfois contradictoires, suivant le for considéré. C’est spécialement le cas lorsqu’il s’agit de résoudre les difficultés judiciaires et morales liées à la hiérarchisation entre un mariage clandestin et un mariage public ou entre un mariage « présumé » dans l’« accouplement charnel suivi de paroles de futur » et un mariage par « paroles de présent ». Lequel de ces processus fait-il le « vrai » mariage ? Et selon quel référent normatif ? La diversité des solutions formulées par la doctrine canonique, la théologie, les manuels à l’usage des desservants de paroisse ou des confesseurs, ou encore les statuts synodaux, permet d’apprécier les différences d’objectifs des clercs concernés par la matière matrimoniale. L’enjeu importe, car il y va du salut des laïcs et de l’équilibre de la société tout entière. Ces tensions normatives ont parfois débouché sur des évolutions conceptuelles et lexicales, mais elles ont aussi donné lieu à des formes de concurrences susceptibles de déstabiliser les modes de régulation sociale, ce dont les acteurs du jeu matrimonial ont parfois su tirer profit.
Mariages clandestins – for de la confession – for judiciaire – affectus conjugalis – mariage présumé
Véronique Beaulande-Barraud – Université de Reims – CERHIC EA 2616
Le traitement des « cas réservés », entre cura animarum, juridiction épiscopale et plenitudo potestatis pontificale
Les cas réservés naissent, dans la doctrine canonique et dans la pratique pénitentielle, dans la deuxième moitié du xiie siècle. Causes d’excommunication dont l’absolution est réservée au pape ou péchés graves dont l’absolution est réservée aux évêques, ces cas semblent traduire et affirmer la hiérarchisation de la juridiction dans l’Église. La construction de normes de l’absolution, de la censure ou du péché, a cependant eu lieu de manière complexe, parfois tendue, entre des principes contradictoires à concilier. Les cas réservés ont paru atteindre les prérogatives tant des évêques (qui ne peuvent plus « délier » tous leurs diocésains) que des prêtres de paroisse (plus maîtres de toute la « cure des âmes » qui caractérise leur office). De plus, ce principe de la réserve est plus ou moins fragilisé par la nécessité constamment rappelée d’offrir à chaque pécheur la possibilité d’obtenir son pardon auprès d’un détenteur du « pouvoir des clefs ». Norme juridictionnelle et norme pastorale se heurtent alors.
Pénitence – excommunication – pape – évêque – curé
Julie Grenon-Morin – Département des études littéraires – Université du Québec à Montréal
Le Roman d’Aubéron. Une lecture texte/images
Le manuscrit du Roman d’Aubéron, écrit entre 1260 et 1311 (et connu comme étant le prologue au cycle de Huon de Bordeaux), contient trois miniatures et des enluminures qui nourrissent son texte. Il est conservé dans un imposant volume, à Turin, qui a partiellement brûlé en 1904. Néanmoins, les images demeurent visibles et signifiantes. La première est une composition en trois volets où se mêlent des faits militaires, la nature et un certain côté mystique. La deuxième est une scène de bataille esthétiquement très bien réussie et conservée où Jules César connaît le triomphe. La troisième représente la scène de la naissance des jumeaux Aubéron et Georges, alors que trois fées sont occupées à leur octroyer des vœux. Nous rendons ici compte de l’état des miniatures et des particularités des illustrations en lien avec le texte, afin de les décoder et de parfaire la compréhension de ce roman dont l’édition critique a été réalisée par Jean Subrenat en 1973.
Aubéron – féerie – manuscrit – marges – miniatures
Maxence Bidu – Université Paris-Ouest Nanterre La Défense – UMR 7041, ED 395
Alcuin, Charlemagne et le droit d’asile
Entre 801 et 802, une profonde querelle vient opposer Charlemagne et Alcuin au sujet d’un clerc d’Orléans réfugié dans l’abbaye Saint-Martin de Tours. L’empereur réclame que le fugitif soit livré à l’évêque Théodulfe, mais Alcuin s’y refuse, invoquant le droit d’asile. La dispute est l’occasion d’un intense échange épistolaire au cours duquel les deux parties exposent longuement leurs argumentaires, fondés chacun sur une recension détaillée des normes canoniques et séculières applicables. Le dossier juridique constitué par Alcuin revêt une importance particulière pour l’histoire du droit d’asile à l’époque carolingienne, car il permet d’identifier les sources disponibles au début du ixe siècle pour résoudre cette question, et illustre le processus de sélection des textes mis en œuvre par l’abbé. Cet article se propose d’analyser, dans le détail, les positions des deux principaux protagonistes et, ce faisant, de mettre en lumière le rapport ambivalent qui les lie. Malgré la relation privilégiée que partagent Charlemagne et Alcuin, il s’instaure à cette occasion un rapport de force et la question du droit d’asile, savamment défendu par l’abbé, disparaît alors derrière la démonstration d’autorité de l’empereur.
Alcuin – Charlemagne – droit canonique – droit d’asile – Saint-Martin de Tours
Hélène Leuwers – Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense – EA 1587
Construire la norme des métiers de santé au Parlement de Paris (XIVe-début du XVIe siècle)
Comment les procès engagés à la fin du Moyen Âge par les médecins, les chirurgiens et les barbiers parisiens contre des thérapeutes sans reconnaissance officielle transforment-ils l’ordre social des mondes de santé et renforcent-ils les métiers en formation ? Croiser l’étude des sources de la pratique judiciaire du Parlement de Paris et celle des sources normatives permet de dégager quelques pistes d’analyse. À l’occasion des procédures engagées devant le Parlement, les praticiens réguliers sont mis à l’épreuve par les avocats de leurs adversaires qui développent un discours alternatif sur les normes sociales de santé, et défendent une interprétation du droit qui leur est favorable. Confrontés aux irréguliers et à leurs revendications, les praticiens réguliers profitent de l’arène judiciaire pour renforcer leur autorité par un travail de communication sur la discipline des pratiques de santé et sur la loi du roi ; ils contribuent aussi au renforcement de leur contrôle des pratiques en mobilisant les potentialités réglementaires du Parlement. Le processus de dispute est dès lors un moment crucial d’élaboration des normes de comportement et d’ajustement de la norme juridique aux demandes sociales des communautés « professionnelles » en formation.
Praticien illicite – santé – médecine – métiers – Parlement – norme