Presses Universitaires de Vincennes

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Revue Extrême-Orient - Extrême-Occident
Nombre de pages : 303
Paru le : 10/05/2013
EAN : 9782842923679
Première édition
CLIL : 4036 Asie
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
Version papier
EAN : 9782842923679

Version numérique
EAN : 9782842924645

Les astres et le destin

Astrologie et divination en Asie orientale. N°35/2013

Les civilisations de l’Inde et de l’Asie Orientale terrain de réflexion et d’investigation autour des deux facettes de la transmission des techniques divinatoires : tradition et innovation.

Alors que l’on ne tient compte d’ordinaire, en matière d’astrologie et d’arts divinatoires que d’une seule aire culturelle, ce numéro aborde à la fois la Chine et les cultures sinisées que sont la Corée, le Japon et le Viêtnam, l’Inde et le Cambodge indianisé, le Tibet, héritier de l’Inde, et la Mongolie, largement dépendante du Tibet culturellement. Cette diversification des angles permet de mettre en évidence de multiples transferts culturels : le Cambodge indianisé reprend des traditions calendériques chinoises, tout comme le Tibet, tandis que la Mongolie se forge une identité à partir des éléments qu’il reçoit du Tibet et de la Chine, sur la base de concepts propres plus anciens. On découvre l’usage politique de la divination, notamment par la fondation d’institutions officielles, ainsi que les surprenantes stratégies d’adaptation des arts divinatoires à l’époque moderne, que ce soit par le déguisement scientifique ou par le retour à l’identité nationale.

Introduction
Jean-Noël ROBERT

 

La relation de maître à disciple en question : transmissions orales et écrites des savoirs divinatoires en Chine et à Taiwan
Stéphanie HOMOLA

 

Astrologues et devins du Koryŏ (918-1392) : réseaux humains et transmission des savoirs
Yannick BRUNETON

 

Les manuels de divination japonais au début de l’époque d’Edo (xviie siècle) : décloisonnement, compilation, et vulgarisation
Matthias HAYEK

 

Astrology and hemerology in traditional Vietnam
Alexei VOLKOV

 

Faculté de prévoir : l’astrologie dans les universités indiennes
Caterina GUENZI 

 

L’horoscope perdu des devins du Cambodge
François BIZOT

 

The Assimilation of astrology in the Tibetan Bon religion
Charles RAMBLE

 

By the Power of Eternal Heaven : The Primacy of Astral Allegory to the Government of the Pre-Buddhist Mongols
Brian BAUMANN

 

REGARD EXTÉRIEUR

Les traditions astrologiques et divinatoires en Asie de l’Est (et du Sud) vues de l’Ouest
Charles BURNETT

Stéphanie HOMOLA
La relation de maître à disciple en question : transmissions orales et écrites des savoirs divinatoires en Chine et à Taiwan

Cet article explore deux modes contrastés de transmission des savoirs divinatoires à Taïwan et en Chine populaire à l’époque contemporaine, l’un forgé sur le modèle universitaire et qui privilégie la transmission écrite, l’autre forgé sur le modèle de la relation de maître à disciple et qui privilégie la transmission orale. A Taïwan, en réaction à la dégradation de la qualité de la transmission et à la multiplication des écoles de pensée, des spécialistes des arts divinatoires ont entrepris de réformer les savoirs mantiques et leurs modes de transmission pour les adapter aux exigences scientifiques de la société contemporaine. Ils poursuivent en cela une entreprise de rationalisation qui a été initiée en Chine continentale à l’époque républicaine et qui se traduit, à Taïwan, par un essor des manuels de vulgarisation et une relative standardisation de la formation. Je propose ensuite de nuancer cette évolution par une étude de cas menée en Chine continentale qui met au contraire en évidence l’importance de la relation personnelle et de l’oralité dans la transmission des savoirs divinatoires. L’enseignement des techniques s’accomplit alors sur le mode de l’« affinité prédestinée », du voyage initiatique et de la transmission orale des légendes et des savoir-faire.

Mots-clés : transmission orale, transmission écrite, divination, relation maître-disciple.

 

Yannick BRUNETON
Astrologues et devins du Koryŏ (918-1392) : réseaux humains et transmission des savoirs

L’analyse de l’histoire officielle du Koryŏ (918-1392), principale source d’informations sur les matières divinatoires, permet de caractériser la culture divinatoire de la Corée médiévale. En s’appuyant d’abord sur la description du cadre institutionnel (formation, recrutement, carrières, bureaux spécialisés) ainsi que sur le recensement des traités de référence, sont mises en évidence l’influence prépondérante des théories et des institutions des Tang et des Song, mais aussi l’existence d’une école autochtone (l’école du moine Tosŏn). Ensuite, l’étude catégorise les acteurs de la divination en fonction de leur lien à l’État (statut administratif et enjeux politiques). Au Koryŏ, la divination était placée au cœur du système politique et ritualiste de la cour, impliquant la participation des moines bouddhistes, et expliquant la prégnance de la géomancie pour la gestion du territoire (capitales et monastères).

 

Matthias HAYEK
Les manuels de divination japonais au début de l’époque d’Edo (xviie siècle) : décloisonnement, compilation, et vulgarisation

Dans cet article, nous nous proposons d’étudier l’évolution des modes de diffusion des techniques divinatoires durant la première partie de l’époque d’Edo (1603-1868). Plus précisément,  nous observerons comment, entre la fin du xvie et le début du xviiie siècle, les connaissances mantiques, jusque là transmises « secrètement » au sein de groupes restreints, en sont venues à être diffusées dans des manuels imprimés destinés à un public plus large.

Nous verrons ainsi comment les premiers livres de divination sont apparus au début du xviie siècle en tant que substituts améliorés d’outils jusqu’alors manuscrits. Puis, nous tenterons de mettre en lumière le développement de commentaires, c’est-à-dire de véritables guides destinés à être utilisés conjointement avec lesdits outils. Enfin, nous observerons les transformations subies par les manuels à partir de la fin du xviie siècle, et comment ces changements ont été rendus possibles par l’émergence progressive d’auteurs/compilateurs s’affirmant comme diffuseurs et correcteurs du savoir.

En retraçant l’évolution des manuels de divination, il s’agit avant tout pour nous de replacer les art mantiques au sein d’une dynamique plus globale, d’ « exotérisation », compilation, et ré-ordonnancement critique des savoirs qui caractérise ce que l’on pourrait qualifier d’humanisme japonais.

 

Alexei VOLKOV
Astrology and hemerology in traditional Vietnam

L’article se concentre sur l’astrologie (c’est-à-dire, sur les prédictions faites a partir des observations des positions des corps célestes, et, en particulier, celles qui résultent en éclipses solaires) ainsi que l’hémérologie (c’est-à-dire, les prédictions basées sur le calendrier) au Viêt-Nam traditionnel. L’auteur offre un historique des organismes concernes avec les observations astronomiques, leurs interprétations astrologiques, et présente brièvement les traites astrologiques vietnamiens.

Mots-clés: astrologie, hémérologie, astronomie, divination, calendriers, Viêt-Nam, Chine

 

Caterina GUENZI
Faculté de prévoir : l’astrologie dans les universités indiennes

Le jyotia – savoir comprenant à la fois l’astronomie, l’astrologie et la divination – est une discipline enseignée aujourd’hui dans plusieurs universités indiennes. En conjuguant l’analyse de sources textuelles, de documents coloniaux et de matériaux ethnographiques, cette contribution interroge le processus de transmission de ce savoir à partir du cas des universités de Bénarès. Elle examine les modalités d’adaptations d’un savoir brahmanique qui pendant des siècles avait été transmis dans le cadre de la relation personnelle entre maître (guru) et disciple (śiya) aux institutions académiques, ainsi que les politiques gouvernementales et les enjeux idéologiques liés à la transmission de l’astrologie dans l’Inde contemporaine. Tout en examinant le rapport entre innovation et tradition dans la pratique et la transmission du jyotia, cette étude s’attache à montrer que la science astrale sanskrite, par son statut épistémologique, par son rôle social et par son rapport à l’orthodoxie brahmanique, a fait l’objet de processus de transmission originaux, qui la distinguent fortement d’autres savoirs de la tradition sanskrite.

 

François BIZOT
L’horoscope perdu des devins du Cambodge

Au Cambodge, le royaume est perçu comme un lieu sacré où le mont Meru se dresse au centre du zodiaque. Le monde n’est jamais qu’un vaste amphithéâtre; le combat des forces du bien et du mal s’y exerce par le biais des planètes avec lesquelles ces forces se trouvent en relation. Dans ce scénario, les devins ont colporté jusqu’à nous les restes d’un horoscope qui se fonde sur des épisodes archétypes du Ræmæya◊a indien, parce que les héros de la célèbre épopée, à la suite d’un transfert entre leurs exploits et les choses, sont sensés influer sur le destin des hommes. Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, je montre que le système des signes et des aphorismes utilisés ne restitue pas la version adaptée aux traditions du bouddhisme local, connue sous le nom de Rāmaker, mais qu’il se réfère au poème indien en partant de sa composition primitive, d’origine perdue, préservé en tant que système divinatoire.

 

Charles RAMBLE
The Assimilation of astrology in the Tibetan Bon religion

Les sciences englobées dans la catégorie tibétaine tsi (rtsis), ‘le calcul’, comprennent la lecture du calendrier et l’astrologie et, de façon secondaire, la divination. La première est essentiellement basée sur le Kālacakra, un tantra tardif qui venant de l’Inde fut introduit au 12ème siècle, et la seconde repose sur des précédents chinois. Bien que la littérature savante concernant l’assimilation par les Tibétains de ces sciences se soit beaucoup développée, il n’y a pas encore eu d’étude sur la façon dont elles ont été intégrées à la religion bon. En utilisant l’exemple du curriculum en usage dans un monastère bonpo en Inde, cet article explore le contexte pédagogique dans lequel l’astrologie et (dans une moindre mesure) des la divination selon les éléments sont enseignés aux jeunes moines. Un certain nombre de travaux didactiques sont examinés dans la perspective d’identifier leurs caractéristiques clairement bonpo.

 

Brian BAUMANN
By the Power of Eternal Heaven : The Primacy of Astral Allegory to the Government of the Pre-Buddhist Mongols

Cet essai porte sur la signification du ciel (tenggeri) pour le gouvernement de l’Empire Mongol avant la conversion de Qubilai au bouddhisme en 1264. Ce n’est pas le premier article à traiter ce sujet. Cependant, à la différence des travaux précédents,  qui traitent le tenggeri mongol comme un concept religieux ou politique, cet essai envisage la question à partir de la réalité empirique comme elle est donnée par la science du moment. L’essai se compose de deux parties. La première traite des premiers principes de l’orientation céleste et de l’histoire du rôle du ciel dans le gouvernement. La seconde, applique ces principes au cas des Mongols. La réflexion décrit la nature fondamentale du ciel pour le gouvernement des Mongols et démontre cette nature par un bon nombre d’exemples. Cette étude ne se veut pas exhaustive. L’essai montre que le fait d’invoquer la voûte céleste pour gouverner la terre engendre une symétrie entre le ciel et la terre qui doit être exprimée par un langage figuré, l’allégorie. Cette symétrie entre le ciel et la terre donne à l’allégorie céleste une place centrale dans le gouvernement mongol et lui fait imprégner tous les aspects de leur culture.

Stéphanie HOMOLA
La relation de maître à disciple en question : transmissions orales et écrites des savoirs divinatoires en Chine et à Taiwan

This paper explores two contrasting modes of transmission of divinatory knowledge in contemporary Taiwan and Mainland China. One is built on the academic model which emphasizes written communication and the other one on the teacher to student relationship which favors oral transmission. In Taiwan, faced with the declining quality of teaching and the multiplication of schools of thought, divinatory arts specialists tried to reform their knowledge and teaching methods to make them fit with the scientific requirements of contemporary society. This endeavor which had already been launched in Mainland China in the Republican era, resulted in Taiwan in a boom of popular handbooks and a standardization of training. Then, I qualify this evolution through a case study conducted in Mainland China which, on the contrary, highlights the importance of personal relationship and orality in the transfer of mantic techniques. In this context, methods and know-how are taught through predestined affinities, initiatory journeys and legends.

Key words : oral transmission, written transmission, divination, teacher-student relationship.

 

Yannick BRUNETON
Astrologues et devins du Koryŏ (918-1392) : réseaux humains et transmission des savoirs

The article analyzes the Koryŏsa, the History of Koryŏ Dynasty (918-1392), the main source of information on divination matters. It allows us to characterize the culture of medieval Korea divination, firstly by a description of the institutional framework (training, recruitment, careers, specialized offices) and the inventory of treaties used by specialists. It highlights the preponderant influence of the Tang and Song’s theories and institutions, but also the existence of a native school (the School of Tosŏn). Secondly, the study categorizes actors of divination based on their relationship to the state (administrative status and political issues). The Koryŏ Dynasty divination was at the heart of the political and ritualistic system of the court involving a necessary collaboration of Buddhist monks, explaining also the significance of geomancy for land management under the influence of the Tosŏn’s School.

 

Matthias HAYEK
Les manuels de divination japonais au début de l’époque d’Edo (xviie siècle) : décloisonnement, compilation, et vulgarisation

In this paper, I attempt to study how the diffusion of divination techniques evolved during the first part of the Edo period (1603-1868). More specifically, I will focus on the critical changes met by the ways such techniques were transmitted: from a « secret » transmission among selected circles to the production of printed manuals targeted at a broader audience.
Thus, we will see how divination books first appeared at the beginning of the 17th century as a replacement or upgrade of already existing tools, which until then used to circulate in manuscript form. Then, I will try to shed light on the development of commentaries and guides to be used along with said tools. Finally, we will observe what kind of transformations manuals went through from the end of the 17th century, and how they relate to the apparition of a new literati class presenting itself willing to provide a “corrected” knowledge to readers.
Through this study, my goal is to replace mantic arts within a broader dynamic of unveiling, compiling and reordering knowledge, which appears as a characteristic feature of what we may call “Japanese humanism”.

 

Alexei VOLKOV
Astrology and hemerology in traditional Vietnam

The paper is focused on astrology (that is, observations and mantic interpretations of positions of celestial bodies, in particular, those resulting in solar eclipses) and hemerology (predictions made on the basis of calendar) in traditional Vietnam. The author provides a short description of the history of institutions dealing with astronomical observations and with their astrological interpretations, and discusses the extant Vietnamese materials relevant to the topic.

Keywords: astrology, hemerology, astronomy, divination, calendars, Vietnam, China

 

Caterina GUENZI
Faculté de prévoir : l’astrologie dans les universités indiennes

Several contemporary universities in India teach jyotia, a Sanskrit knowledge system that includes astronomy, astrology and divination. Drawing on case studies from universities in Banaras and combining analyses of astrological literature, colonial documents and ethnographic materials, this contribution interrogates the processes through which jyotia has been transmitted. It examines the modalities used to adapt Brahmanical knowledge, which for centuries was conveyed through the intimate relationship of a guru and pupil, to the academic institution. Furthermore, it probes the role of governmental policies and the ideological stakes involved in the transmission of jyotia in contemporary India. By exploring the relationship between innovation and tradition in the practice and transmission of jyotia, this study attempts to show that due to its epistemological status, social function, and relation to Brahmanical orthodoxy, Sanskrit astral science has undergone distinct processes of transmission that differentiate it from other Sanskrit learned traditions.

 

François BIZOT
L’horoscope perdu des devins du Cambodge

In Cambodia, the kingdom is conceptualized as a sacred space where Mount Meru rises from the centre of the Zodiac. The world is but an enormous stage for the battle between the forces of good and evil, through the intermediary of the planets with which they are aligned. In this scenario, astrologers have handed down the vestiges of a horoscope based on the archetypical episodes of the Indian Ræmæya◊a. This is because the heroes of that celebrated epic, owing to the imprint of their exploits on the material world, are thought to influence the destiny of men. The present article shows that, unexpectedly, the system of signs and aphorism employed here does not derive from the adaptation of the epic by the local Buddhist tradition, known as Raemaker; rather, the original Indian poem, whose composition is lost in the mists of time, provided the frame of reference for this system of divination.

 

Charles RAMBLE
The Assimilation of astrology in the Tibetan Bon religion

The sciences subsumed within the Tibetan category tsi (rtsis), “calculation,” include calendrical reckoning and astrology (kartsi; dkar rtsis) and, secondly, elemental divination (naktsi; nag rtsis). The former is essentially based on the Kālacakra, a late tantra that was introduced from India in the twelfth century, and the latter on Chinese precedents. Although scholarly literature concerning the Tibetans’ assimilation of these sciences is steadily growing, there has so far been almost no discussion of the way in which they have been adopted into the Bon religion. Using the example of the educational curriculum of a Bonpo monastery in India, this article explores the pedagogical context within which astrology and (to a lesser extent) elemental divination are taught to young monks. A number of didactic works are then examined with a view to discerning their distinctively Bonpo features. 

 

Brian BAUMANN
By the Power of Eternal Heaven : The Primacy of Astral Allegory to the Government of the Pre-Buddhist Mongols

This essay discusses the meaning of heaven (tenggeri) to the government of the Mongol Empire prior to Qubilai khan’s conversion to Buddhism in 1264. It is not the first to do so. However, unlike previous works, which treat Mongolian tenggeri as an abstract religious or political concept, this essay approaches the question from the empirical reality of heaven as given by the science of the day.  The essay falls into two parts. The first part discusses first principles of celestial orientation and the history of heaven’s role in government. The second part applies these principles to the case of the Mongols. The discussion describes the fundamental nature of heaven to the government of the Mongols and demonstrates this nature through a number of examples. It is not intended to be a comprehensive study. The essay shows that reliance on the vault of heaven to govern earth begets symmetry between heaven and earth that needs be expressed through figurative language, allegory. This symmetry between heaven and earth makes heavenly allegory central to the Mongols’ government and pervasive in all aspects of their culture.

Introduction

Jean-Noël Robert

Au tout début, il avait été envisagé de consacrer ce recueil à une question plus générale : les méthodes de transmission du savoir traditionnel en Extrême-Orient considérées dans leur aspect transculturel. Les « trois doctrines » semblaient constituer en l’espèce une excellente matière ; le bouddhisme aurait permis de montrer comment un ensemble de pensée, de croyances et de pratiques passant de la Chine au Japon, extérieurement dans une même langue – le chinois classique – s’était trouvé engagé, en raison même de cette identité de surface, en un remaniement en profondeur qui lui assura une implantation peut-être plus solide dans l’ensemble de la société et de la culture japonaises qu’en Chine même ; comment le maintien d’une ferme distinction des traditions d’enseignement en écoles séparées, lesquelles finirent par fusionner entre elles en Chine, obligeait l’historien des doctrines bouddhiques à chercher dans l’archipel la suite de l’histoire doctrinale qui avait pris son essor sur le continent ; comment s’est maintenu, voire élaboré, au Japon, à partir de précédents chinois qui échappent à l’historien dans le détail, le procédé de la dispute scolastique, distinguée de la controverse entre sectes, écoles ou religions, selon des formes dont on ne trouve guère qu’au Tibet de frappantes analogies. De la même façon, la diffusion du confucianisme à travers le système des examens au Viêtnam et, pendant une période relativement brève, dans le Japon médiéval, ou encore à travers son intégration dans l’enseignement monastique bouddhique, puis dans le réseau des « académies » (juku) d’Edo, avant de faire partie du curriculum universitaire occidentalisé, aurait constitué un excellent sujet comparatif. Le taoïsme, enfin, aurait apporté le contraste très intéressant, si nous nous en tenons toujours à l’exemple japonais, d’une diffusion moins manifeste dans ses cheminements mais d’autant plus remarquable puisque, ne pouvant jouir dans la même mesure que le bouddhisme et le confucianisme des soutiens monastiques et académiques, il semble s’être propagé avant tout à la faveur du shintô, dont nombre de pratiques y feraient écho, mais aussi dans les traditions médicales. On aurait très certainement trouvé dans les autres pays sinisés des faits parallèles qui auraient permis l’élaboration d’un panorama général où l’on aurait aussi insisté sur les questions de l’enseignement de la langue chinoise classique et de son incorporation dans les différentes langues « locales ».

Certaines circonstances ont cependant amené à changer assez rapidement l’orientation de départ. Bien qu’il ne fût pas question, à l’origine, d’accorder une attention particulière à l’astrologie ou à la divination, il est cependant vite apparu, lorsque l’on commença à passer en revue les possibles contributeurs à un recueil sur les méthodes d’enseignement traditionnel, qu’un assez grand nombre de chercheurs se consacraient à ces domaines dans une perspective voisine des thèmes qui étaient envisagés dans le contexte décrit plus haut. Bien mieux, de telles recherches étaient menées non seulement dans le monde sinisé, mais plus généralement dans l’ensemble du domaine asiatique qui s’étend de la Haute-Asie à l’Asie du Sud-Est, de la Mongolie au Cambodge, en passant par les aires culturelles indienne et tibétaine. Il apparut donc souhaitable de restreindre le thème tout en élargissant le périmètre concerné. Il faut bien évidemment prendre avec un grain de sel l’idée de « restreindre » le thème à l’astrologie et à la divination (avec en plus la science calendérique, inévitable compagne des deux arts), mais on comprendra aisément que le sujet ainsi redéfini paraisse plus abordable que la transmission des enseignements dans les trois doctrines. Un projet fut donc élaboré sous le titre provisoire virgilo-manilien Conscia fati sidera (« Les étoiles, qui connaissent le destin » ou « complices du destin »), et les points suivants proposés aux éventuels collaborateurs :

– L’existence de centres distincts pour l’étude de l’astrologie, du calendrier ou de la divination.

– L’inclusion de ces centres au sein d’institutions politiques ou religieuses plus vastes, ou leur indépendance de telles institutions.

– Le statut de l’enseignement de ces arts : spécialisé ou inséré dans un curriculum plus large.

– La langue de l’enseignement : existe-t-il une rivalité entre les langues d’enseignement (par exemple tibétain/mongol ou chinois/japonais), ou bien une gradation selon le niveau d’enseignement ?

– L’existence de corpus écrits ou oraux et leur transmission.

– La coexistence ou la concurrence de traditions différentes (tibétaine ou chinoise en Mongolie par exemple, ou bouddhiste et taoïste).

– La diffusion de ces arts hors des institutions spécialisées : est-elle orale ou écrite, existe-t-il des corpus populaires ? Rôle des moines errants et des devins professionnels.

– Les stratégies de survie et de transmission de ces savoirs traditionnels dans les sociétés modernes.

Alors qu’il était prévu d’accepter un maximum de six articles, pas moins de huit spécialistes acceptèrent de contribuer au recueil selon les thèmes proposés, et lorsque les articles arrivèrent, ce fut sans doute cette même joie qui avait jadis envahi Porphyre à la découverte de la structure parfaite des six fois neuf traités de son maître Plotin qui ravit cette fois les rédacteurs en découvrant que ces huit textes non seulement couvraient la plupart des grandes aires culturelles de l’Inde et de l’Asie Orientale, mais tissaient entre eux, pour la plupart, un réseau d’analogies qui devraient stimuler d’autres recherches. Partant du monde chinois, continental et insulaire, l’enquête se poursuit en effet dans la péninsule coréenne, au Japon et au Viêtnam, avant d’aborder l’autre foyer primordial, l’Inde, et l’un des plus anciens royaumes « hindouisés » de l’Asie du Sud-Est, le Cambodge, puis un dernier centre de rayonnement culturel, le Tibet, en finissant par le domaine mongol, qui a reçu du Tibet le bouddhisme et les arts indiens de l’astrologie et de la divination.

Presque tous les auteurs ont accepté de traiter un certain nombre des thèmes proposés dans la présentation d’origine et donnent ainsi au lecteur quelques repères qui pourront être utiles dans le foisonnement de faits nouveaux qu’il trouvera ici, en même temps que des perspectives tout aussi innovantes. On devrait s’apercevoir aussi que, malgré sa diversité, ce recueil trouve une cohérence qui devrait en faire un livre de référence en plusieurs domaines encore peu explorés. L’une des impressions d’ensemble qui ressort de sa lecture est le caractère singulièrement bigarré de la plupart des traditions abordées, même celles qui se réclament de la plus grande antiquité et de la plus stricte orthodoxie de lignage. Que ce soit en Chine, en Inde, au Japon, au Tibet, l’éclectisme est de mise ; les spécialistes de ces arts n’hésitent pas à incorporer dans leurs pratiques et leurs enseignements des éléments extérieurs, étrangers, ou tout simplement inventés par eux-mêmes, leur conférant une unité de surface, un lissé que leur prête une tradition réinventée. Ici plus qu’ailleurs, il serait justifié de parler de « bricolage ». En même temps, ces arts traditionnels font preuve d’une étonnante faculté d’adaptation et de facilité à changer de registre, passant d’une transmission présentée comme immémoriale et exécutée sous le sceau de l’ésotérisme à la diffusion par l’enseignement universitaire moderne. Présentées comme matières scientifiques ou historiques et philologiques, l’astrologie et la divination regagnent ainsi le prestige qu’elles risquaient de perdre dans des milieux valorisant l’éducation moderne, tout en maintenant leur statut dans les croyances populaires. Ces arts ont donc su habilement user de la modernité pour déjouer les obstacles qu’elle devait leur poser. Le résultat est manifeste : en Inde comme en Chine, les arts divinatoires en général comptent sans doute plus de pratiquants professionnels et de clients fidèles que jamais auparavant dans l’histoire. L’Internet a de plus, comme chacun sait, donné à ces pratiques une diffusion et une audience inimaginables il y a une génération, mais c’est une question qu’il est peut-être encore prématuré d’aborder de façon globale. Il ne s’agit pas cependant d’une simple question de nombre ; nous voyons aussi changer et s’adapter le discours de ces arts, accentuant soit leur scientificité, soit leur antiquité.

Le premier article de ce recueil, celui de Stéphanie Homola, consacré comme de juste à l’exemple chinois, illustre au mieux la complexité des négociations qui s’opèrent au sein d’une même culture, stimulées par une influence extérieure que les acteurs les plus engagés s’efforceront d’oublier. Le cas de Taïwan, considéré dans la première partie, est très révélateur des détours que peut prendre la reconstitution d’une tradition : alors que le Guomindang avait combattu les « superstitions » sur le continent et que les autorités coloniales japonaises avaient fait de même sur l’île, après 1949 se constitua peu à peu et se répandit une technique divinatoire fortement inspirée des modèles japonais, qui avaient eux-mêmes évolué à partir d’anciennes transmissions chinoises. Alors que la transmission privée de type ésotérique a connu un essor important, les efforts pour transformer l’horoscopie en discipline universitaire à l’instar de la médecine traditionnelle chinoise révèlent la recherche d’une légitimité conforme au monde moderne. En contraste, l’enquête de terrain menée par l’auteur en Chine continentale montre la créativité qui peut se déployer pour former une pseudo-tradition fondée sur le secret de la transmission.

Yannick Bruneton présente un tableau d’ensemble de la divination en Corée à l’époque de Koryŏ (xexive s.), malgré la difficulté d’en recueillir les éléments dispersés dans les sources. On voit se constituer l’« école de Tosŏn », dont l’influence se fera sentir jusqu’à l’époque contemporaine. Les japonisants seront très intéressés d’apprendre l’apparition, au xiiie siècle, d’idées sur la Corée comme lieu de séjour des bouddhas et bodhisattvas, et singulièrement de Mahâvairocana, phénomène qui doit inciter à rechercher de possibles connexions avec les idées voisines développées au Japon.

Matthias Hayek donne une description détaillée de l’essor des sciences divinatoires dans le Japon d’Edo, époque de la généralisation commerciale du livre, et montre ici aussi la constitution d’un nouveau savoir à partir du « recyclage » de procédés plus anciens, chinois et japonisés, l’innovation étant légitimée en soulignant l’accord avec les sources chinoises anciennes tout en s’appuyant sur la diffusion en langue japonaise.

On doit à Alexei Volkov ce qui est sans doute la première présentation systématique des sources vietnamiennes sur l’astrologie et l’hémérologie ; elles sont constituées de textes chinois ou rédigés en chinois, mais aussi en vietnamien « démotique » (nôm), ce qui montre leur propagation au-delà des cercles lettrés officiels.

Caterina Guenzi brosse un panorama particulièrement éloquent de la fortune indienne de l’astrologie et montre comment cette science aux origines fort diverses, reconstruite à partir de traditions grecques et arabo-persanes, se trouva enchâssée dans une tradition censée remonter aux Védas. Cette nouvelle tradition, convenablement indianisée, fait à présent l’objet d’un enseignement universitaire qui entend se plier à la méthode scientifique.

François Bizot illustre par le cas cambodgien un autre exemple singulier de synthèse culturelle, où les douze animaux du « zodiaque » chinois sont mis en relation avec un système de divination fondé sur la version khmère, bouddhisée, du Râmâyana. On a ici un nouvel exemple de divination par le livre, analogue aux sortes virgilianae, aux poèmes de Hâfiz, au Kim Van Kieu, qui appelle d’urgence une étude d’ensemble de ce phénomène.

Charles Ramble apporte une autre illustration de l’importance de l’astrologie comme marqueur d’élaboration identitaire avec l’incorporation du système d’astrologie bouddhique Kâlacakra dans la religion bon, elle-même extraordinaire mosaïque d’éléments provenant des aires circum-tibétaines, y compris la chinoise.

Brian Baumann, enfin, dont l’important ouvrage Divine Knowledge sur l’astrologie mongole avait contribué à suggérer le thème de ce recueil, a choisi ici de se propulser hors des limites de la sphère des étoiles fixes pour aborder directement la vision allégorique du Ciel dans les conceptions politiques mongoles.

À la lecture de ces riches études, on découvrira que les arts divinatoires, que les pratiquants sont toujours soucieux de présenter comme remontant en toute pureté de tradition à d’immémoriales origines, sont l’un des lieux intellectuels les plus propices à l’emprunt, au recyclage, au démarquage, et que les étudier revient à reconstituer le cheminement de l’appropriation d’enseignements divers et de l’élaboration plus ou moins stable de ces derniers en systèmes se voulant à la fois traditionnels et originaux, mis en œuvre par des adeptes aspirant au statut de maître.

Il reste le plaisant devoir de remercier tout d’abord les contributeurs, qui ont eu le courage de relever le défi, les anonymes relecteurs qui n’ont ménagé ni leur peine ni leur temps, et, pour avoir bien voulu apporter à ce recueil l’éclairage enrichissant d’un « regard extérieur », le professeur Charles Burnett. Enfin, la plus élémentaire justice exige que soit pleinement reconnu ici le rôle fondamental de Pierre Marsone, à qui est due la totalité du travail rédactionnel proprement dit, c’est-à-dire celui qui commença aussitôt après qu’une première idée, toute virtuelle, eut été lancée. C’est à lui que revient l’entier mérite de la réalisation de ce numéro.

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Revue Extrême-Orient - Extrême-Occident
Nombre de pages : 303
Paru le : 10/05/2013
EAN : 9782842923679
Première édition
CLIL : 4036 Asie
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
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EAN : 9782842923679

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