Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Revue Extrême-Orient - Extrême-Occident
Nombre de pages : 192
Langue : français
Paru le : 14/03/2023
EAN : 9782379242991
CLIL : 4036 Asie
Illustration(s) : Oui
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
Version papier
EAN : 9782379242991

Version numérique
EAN : 9782379243028

La caricature en Asie orientale : circulations et regards croisés

N°46/2022

Ce numéro vise à mettre au jour l’existence et les modalités d’une satire visuelle en Asie de l’Est, hier et aujourd’hui, à travers les dimensions satirique, comique, parodique, ironique ou encore critique de l’image.

La caricature peut se définir comme une œuvre graphique qui, par l’amplification, le décalage ou encore le détournement, transgresse les codes figuratifs et esthétiques habituels d’une aire culturelle donnée. Ce numéro d’Extrême-Orient, Extrême-Occident vise à mettre au jour l’existence et les modalités d’une satire visuelle en Asie de l’Est, hier et aujourd’hui, à travers les dimensions satirique, comique, parodique, ironique ou encore critique de l’image. Il s’agit d’étudier les emprunts, les réappropriations, les adaptations et circulations au sein d’une approche transculturelle Est/Ouest, mais également intra-asiatique.

 

 

Publié avec le soutien du Centre de recherche sur les civilisations de l’Asie orientale (CRCAO-UMR 8155), de l’Institut d’Asie Orientale (IAO-UMR 5062) et du Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA-UMR 5190)

Introduction : Identifier et interpréter la « caricature » en Asie de l’Est

Marie Laureillard & Laurent Baridon 


 

  1. 1.                  Interpréter l’iconographie satirique dans la peinture classique

Alice BianchiVisions de la cécité dans la peinture chinoise du XVIIIe siècle 

Okyang Chae-DuporgeL’humour dans les peintures coréennes de tigre et pie à la fin du Chosŏn 

 

  1. 2.                  Le graphisme dans la mondialisation 

 

Tino BrunoRire du nucléaire au Japon : le dessin dans la presse quotidienne de Hiroshima à Fukushima 

Norbert DanyszLes caricatures stylisées de Huang Yao et Yancong, ou la quadrature du cercle

Jade ThauDessiner l’ennemi en République Démocratique du Vietnam (1945-1975)

 

  1. 3.                  Modalités satiriques dans la culture de l’imprimé 

 

Marianne Simon-Oikawa, Zashikigei Chūshingura : caricature et parodie chez Santō Kyōden et Kawanabe Kyōsai

Doreen MüllerLes estampes de « jeux d’enfants » et la nature sentimentale de la caricature politique à Edo en 1868

 


Regard extérieur 

La caricature « orientale » désoriente : transferts et dialogues

Philippe Kaenel

 

 


Alice Bianchi

Visions de la cécité dans la peinture chinoise du xviiie siècle

Cet article explore la représentation de la cécité et sa symbolique dans la peinture lettrée de la Chine des Qing (1644-1911), une période marquée par la prolifération de ces images. À partir d’un rouleau de Zhu Yan daté de 1757 et intitulé Groupes d’aveugles qui met en scène cent aveugles dans des situations comiques ou incongrues (examinant des antiquités, se battant ou s’agrippant à une pièce de monnaie géante), l’article s’intéresse à l’utilisation de l’humour et de la satire visuelle comme outils d’une critique morale, s’appuyant en particulier sur l’identification et l’explication de certains des jeux de mots ou dictons sur lesquels reposent ces images. En apportant un éclairage sur cette œuvre et d’autres peintures similaires, ainsi qu’en identifiant d’autres façons de représenter les aveugles aux xviie et xviiie siècles, cet article vise également à ouvrir la voie à d’autres recherches sur le sujet.


Tino Bruno

Rire du nucléaire au Japon : le dessin de presse de Hiroshima à Fukushima 

Plusieurs caricatures françaises se moquant de la catastrophe nucléaire de Fukushima ont provoqué un scandale au Japon. Bien que souvent considérée comme sensible dans l’archipel, la question atomique a pourtant, dès l’après-guerre, était détournée par de nombreux dessinateurs de presse japonais. À travers l’examen des caricatures et mangas en quatre cases des quotidiens AsahiMainichi et Yomiuri à sept dates clefs de l’ère nucléaire, du bombardement atomique sur Hiroshima (1945) jusqu’à l’accident nucléaire de la centrale Fukushima Daiichi (2011), le présent article vise à analyser la manière dont le dessin de presse a su apporter un regard original sur l’actualité nucléaire au Japon.


Okyang Chae-Duporge

L’humour dans les peintures coréennes de Tigre et pie à la fin du Chosŏn

Transmis de la dynastie chinoise des Ming vers la fin du xvie siècle, le thème Tigre et pie a été au départ pratiqué en Corée par les peintres au service du gouvernement avec une représentation réaliste. Au fur à mesure, il s’est coréanisé par l’ajout de certains traits comme la représentation hybride du pelage du tigre et de la panthère, la préférence du pin au bambou, et surtout l’importance donnée au rôle de la pie. Objet de terreur, le tigre était l’un des plus grands dangers de mort et le rôle essentiel de sa représentation était depuis longtemps sa fonction apotropaïque. Mais la présence de cet oiseau auprès du félin a stimulé la personnification de ces animaux. Dans ce processus, la représentation caricaturale du tigre transparaît aussi bien dans une forme de détournement conjuratoire, par un procédé de dérision, qu’à des fins satiriques à l’encontre des nobles (yangban)Mais loin d’être une critique cuisante, il s’agit d’un humour caché avec une double facette, satirique et comique. Cet aspect caricatural et humoristique a joué un rôle essentiel dans la popularité presque nationale du thème Tigre et pie dans la Corée contemporaine.


Norbert Danysz

Les caricatures stylisées de Huang Yao et Yancong, ou la quadrature du cercle 

Les personnages circulaires dessinés par Huang Yao dans les années 1930-1940 et par Yancong dans les années 2000-2010 interrogent la possibilité d’une caricature non plus définie par la charge graphique, comme le laisse entendre d’abord son étymologie, mais au contraire par l’épure, par la stylisation presque géométrique des visages. Depuis le gag jusqu’à l’humour noir et à la satire, le Niubizi de Huang Yao et les personnages de Yancong provoquent différents types de rire, mais la subversion dans laquelle s’inscrivent ces caricatures s’avère avant tout esthétique. Enfin, le minimalisme des figures chez ces deux artistes peut s’expliquer par d’autres stratégies liées à des conditions techniques, des exigences commerciales, des inclinations idéologiques ou encore des considérations auctoriales.


Doreen Müller

Les estampes de « jeux d’enfants » et la nature sentimentale de la caricature politique à Edo en 1868

Cet article réexamine l’expression de la satire politique dans les estampes de jeux d’enfants publiées à Edo au printemps et à l’été 1868. Ces estampes décrivent les événements clés de la guerre de Boshin à travers le prisme de la culture populaire d’Edo. Cet article soutient que les significations satiriques de ces estampes n’étaient pas principalement fondées sur une position antagoniste envers le gouvernement, mais sur le souhait d’affirmer les valeurs de la culture des citadins à une époque d’instabilité politique. Cet objectif a été atteint en projetant un regard affectif sur les enfants d’Edo, leurs jeux et les pratiques culturelles populaires auxquelles ils se rattachent.


Marianne Simon-Oikawa

 Zashikigei Chūshingura : caricature et parodie chez Santō Kyōden et Kawanabe Kyōsai

L’article s’intéresse à la caricature dans deux ouvrages comiques associant l’histoire des quarante-sept vassaux fidèles (Chūshingura) aux arts de banquet (zashikigei), qui consistaient notamment à imiter un objet ou un personnage : Zashikigei Chūshingura de Santō Kyōden illustré par Utagawa Toyokuni (1810) et Zashikigei dōke Chūshingura illustré par Kawanabe Kyōsai (1878). Il met en évidence la continuité formelle dans les motifs choisis par les artistes, ainsi que les transformations observées d’une œuvre à l’autre. Il met également au jour l’importance de la relation entre la caricature et la parodie littéraire, qui conjuguent leurs effets au service d’une même fin : faire rire.


Jade Thau

Dessiner l’ennemi en République Démocratique du Vietnam (1945-1975) 

Au Vietnam, c’est au moment de la période coloniale que la veine humoristique prend son essor. Ainsi, lors de l’émergence du mouvement d’indépendance vietnamien envers le régime colonial français en 1945, les peintres formés à l’école des Beaux-Arts de l’Indochine produisent des images aux codes iconographiques et stylistiques connus de tous, notamment la caricature, afin de convaincre les populations rurales. Dans cet article nous tenterons d’analyser l’évolution de ce genre sur les affiches de propagande jusqu’en 1975.

Alice Bianchi

Visions of Blindness in Eighteenth-Century Chinese Painting

This essay explores the representation of blindness and its metaphorical dimension in scholar painting of Qing China (1644-1911), a period marked by a major increase of these images. Focusing on a 1757 Zhu Yan’s handscroll titled Groups of Blind People, where one hundred blind characters are engaged in comic or incongruous situations such as appreciating antiquities, fighting or grabbing a giant copper coin, it examines the use of humor and visual satire to express moral criticism, with emphasis on identifying and explaining some of the puns or familiar sayings on which these images rely. By casting some light on this and similar works, as well as sorting out other modes in which the blind were depicted in seventeenth- and eighteenth-century China, the article also aims to open the way to further studies of this topic.


清代中期繪畫的盲人形象 

本文探討清代藝術中的盲人圖像,以一卷朱炎1757年所繪的《群盲圖》為出發點,探究盲人形象成為該時期一種繪畫主題的原因與意義。朱炎的長卷描繪了一百個盲人處在滑稽或不合情理的情境中,諸如檢查古董、打架、搶奪巨大的銅錢。本文研究此類繪畫如何借用幽默和視覺諷刺作為道德批判的工具,重點解讀與分析其對一些雙關語和熟語的運用。通過解析十七和十八世紀其他同類型的盲人繪畫,本文亦旨在為這一主題的進一步研究開闢道路。

 

Tino Bruno

Laughing at Nuclear Power in Japan: Drawing in the Daily Press from Hiroshima to Fukushima 

Several French cartoons making fun of the Fukushima nuclear disaster have caused public outrage in Japan. While nuclear energy is often considered a sensitive issue in the country, Japanese press cartoonists have nevertheless played with it in various ways since the post-war period. Through the analysis of cartoons and comic strips (four cell mangas) published in the daily newspapers AsahiMainichi, and Yomiuri at seven key dates of the nuclear era – from the atomic bombing of Hiroshima (1945) to the nuclear accident of the Fukushima Daiichi plant (2011) – this paper analyzes how press cartoons were able to provide an original perspective on nuclear news in Japan.

 

原子力を風刺する––広島から福島までの新聞漫画 

福島第一原発事故を笑うフランスの風刺画が日本でスキャンダルとなった。原子力問題は日本でタブーだと考えられがちであるが、実は戦後から原子力が多くの日本の新聞漫画家によって題材として取り上げられ、描かれていた。本稿では、広島への原爆投下(1945年)から福島第一原子力発電所の事故(2011年)まで、原子力時代の7つのキーデートにおける朝日、毎日、読売の全国紙の一コマ漫画と四コマ漫画の分析を通じて、新聞漫画がどのように日本の原子力関連のニュースに独自の視点をもたらしたかを検証する。

 

Okyang Chae-Duporge

Humour in Tiger and Magpie Korean Paintings in Late Chosŏn

Transmitted from the Chinese Ming dynasty at the end of the sixteenth century, the Tiger and Magpie theme was first adopted in Chosŏn Korea by government painters with a realistic representation. It was then progressively koreanized through specific additional features such as the hybrid representation of a semi-tiger and semi-panther animal, the preference of pine tree over bamboo, and the important role conferred to the magpie. A cause of terror, the tiger was one of the most important life-threatening dangers during the Chosŏn period, and its pictural representation was mainly used to chase evil spirits. But the introduction of the magpie also resulted in the personification of these animals. In this process, the caricatured representation of the tiger can be seen both in a form of conjurative diversion, through a process of derision, and for satirical purposes against the nobles (yangban). But far from being a bitter criticism, it is a hidden humour with a double facet, both satirical and comic. This caricatured and humorous aspect has played an essential role in the national popularity of the Tiger and Magpie theme in modern Korea.

 

조선후기 까치호랑이 그림의 전개와 희화양상 연구

16세기말에 중국 명나라에서 한국에 전래되어 궁중의 화원에서 제작된 그림 까치호랑이는 초기에는 사실적인 재현을 한 아카데믹한 양식으로 그려졌다. 이후 이 주제는 호랑이와 표범의 털을 한 동물에 혼합해서 그린다든지 대나무보다는 소나무를 선호한다든지 하면서 조금씩 한국화되는데 그 무엇보다도 까치를 중요인물로 부각한 점이 가장 중요한 특색이다. 조선시대에 호랑이는 공포의 대상으로 죽음에 에 이르게하는 주된 요인이었고 오래전부터 호랑이그림의 본질적 역할은 벽사였다. 그런데 까치가 호랑이 옆에 주된 인물로 등장하면서 하나의 이야기를 만들어내고 이 동물들을 의인화하기에 이른다. 이 과정에서 그것이 재액을 쫓기위해서든 양반사회를 풍자하기위해서든 호랑이를 희화한 그림이 나타난다. 그러나 그것이 풍자라면 신랄한 비난이 아니라 유머아래 숨겨진 풍자이다. 해학이라는 표현이 잘 드러내듯이 풍자와 유머의 양면이 공존하는 것이다. 바로 이러한 유머스럽고 희화된 양상이 오늘날에도 호랑이 그림이 크게 인기를 얻게 된 결정적인 요인이라고 볼 수 있다.

 

Norbert Danysz

The Stylized Caricatures of Huang Yao and Yancong, or Squaring the Circle 

Round characters drawn by Huang Yao in the 1930s and 1940s and by Yancong in the 2000s and 2010s question the possibility of a caricature no longer defined by the graphic charge, as its western etymology originally intended, but rather by refined traits and by almost geometrically stylized faces. From gags to black humour and satire, Huang Yao’s Niubizi and Yancong’s characters provoke different types of laughter, although the subversion conveyed by these caricatures is above all aesthetic. Finally, the minimalism of the figures by the two artists can be explained by other strategies, dealing with technical conditions, commercial requirements, ideological inclinations or authorial considerations.

 

黃堯和煙囪的非寫實漫畫—化圓為方

黃堯在1930年代和1940年代,以及煙囪在2000年代和2010年代所畫的圓形人物,對漫畫的定義提出了質疑:漫畫是否可以不再像它的詞源所暗示的那樣,以圖像的誇張性來定義,而以簡單的線條和近似於幾何圖案的臉部來定義?黃堯的「牛鼻子」和煙囪作品中的種種人物,從插科打諢到黑色幽默再到諷刺,引發了不同類型的笑聲,但這些漫畫所蘊含的顛覆性首先是美學意義上的。最後,這兩位藝術家的人像極簡主義也可以用其他理由去解釋,比如技術條件、商業要求、政治傾向或作者的個人考慮。

 

 

Doreen Müller

Children-at-play Prints and the Affective Nature of Political Caricature in Edo in 1868

This article re-examines the expression of political satire in children-at-play prints issued in Edo in the spring and summer of 1868. The prints envisioned key events of the Boshin War through the lens of Edo’s popular culture. This article argues that the satirical meanings of these prints were not primarily grounded in an adversarial position towards the government but in the wish to affirm the values of townspeople’s culture at a time of political instability. This was achieved by projecting an affective gaze onto Edo children, their games, and the popular cultural practices these pertained to.

 

子供遊び絵と1868年の江戸における風刺画の感情性について 

本稿では1868年の春と夏に江戸で刊行された政治風刺画の一種である「子供遊び絵」で扱われている表現を再考する。これらの版画は、江戸の大衆文化というレンズを通して戊辰戦争を重要な出来事として描いた。本稿では、これらの版画で表現された政治的風刺は、政府への敵対意識の表れというよりも、むしろ政情不安の中、町人文化の価値を再確認するものであったと考えられる。こういった目的は大衆文化の一部である子供達の遊びに感情的な視線を投影することにより達成されたのである

 

Marianne Simon-Oikawa

Revenge at the banquet: caricature and parody in Santō Kyōden and Kawanabe Kyōsai’s zashikigei works

The paper discusses caricature in two humourous books combining the story of the forty-seven faithful retainers (Chūshingura) with the banqueting arts (zashikigei), which consisted of imitating an object or a human being: Zashikigei Chūshingura by Santō Kyōden illustrated by Utagawa Toyokuni (1810) and Zashikigei dōke Chūshingura illustrated by Kawanabe Kyōsai (1878). It highlights the formal continuity in the motifs chosen by the artists, but also the transformations observed from one work to another. It also underlines the importance of the relationship between caricature and literary parody, which combine their effects to serve the same purpose: to make people laugh.

 

座敷芸忠臣蔵―山東京伝と河鍋暁斎における絵とパロディー 

本稿では『仮名手本忠臣蔵』を元とする、山東京伝作・歌川豊国画の『座敷藝忠臣蔵』(1810年)と河鍋暁斎画の『座敷芸道化忠臣蔵』(1878年)において、人物や道具などの形態を模倣する「座敷芸」の系譜について考察し、二人の絵師が選んだモチーフの形式的な類似性と変化を明らかにする。そして「人を笑わせる」という目的で制作された作品において、風刺画と文学的なパロディーの組み合わせの機能と効果を分析する。

 

Jade Thau

Drawing the Enemy in the Democratic Republic of Vietnam (1945-1975)

In Vietnam, it was during the colonial period that the humorous vein took off. Thus, during the emergence of the Vietnamese independence movement against the French colonial regime in 1945, painters trained at the Indochina School of Fine Arts produced images with iconographic and stylistic codes known to all, particularly caricature, to convince the rural population. In this article we will attempt to analyze the evolution of this genre on propaganda posters until 1975.

 

Vẽ kẻ thù ở Việt Nam Dân chủ Cộng hòa (1945-1975)

Ở Việt Nam, thì mãi đến thời kỳ thuộc địa, trào lưu về tranh biếm họa mới phát triển mạnh mẽ. Khi phong trào đấu tranh giành độc lập của người Việt chống lại chế độ thực dân Pháp nổi lên vào năm 1945, nghệ sĩ được đào tạo trong Trường Mỹ thuật Đông Dương tạo ra nhiều tranh vẽ với mã biểu tượng và phong cách tất cả mọi người đều hiểu, đặc biệt là tranh biếm hoạ, để thuyết phục người dân ở nông thôn. Bài viết này nhằm cho thấy quá trình phát triển của loại tranh này đến năm 1975.

Introduction

 

Identifier et interpréter la « caricature » en Asie de l’Est

Marie Laureillard et Laurent Baridon

 

Quiconque s’intéresse à l’histoire de la caricature affronte d’emblée des problèmes de définition. Il est particulièrement ardu de s’entendre sur ce mot, pourtant fort usité, mais la difficulté de l’entreprise s’accroît encore lorsqu’il s’agit de l’appliquer à des territoires où il n’a été employé que récemment, l’Asie en l’occurrence. Pourtant, le mot « caricature » s’est défini au gré de sa diffusion, circulant en Europe, puis au-delà de ce continent, rencontrant et parfois fusionnant avec d’autres formes d’expression graphique. S’il est encore communément employé aujourd’hui, il ne correspond plus seulement à ce qu’il désignait lors de son apparition, en Italie, au début du xviie siècle. Une évocation de quelques aspects de cette histoire peut servir d’introduction à un propos sur la caricature en Asie de l’Est et aux problèmes définitionnels que pose une telle entreprise[1].

Le mot caricature apparaît dans l’entourage des frères Carrache à Bologne pour désigner un aspect spécifique de leur pratique : la recherche d’une perfetta difformità au moyen de ritrattini carichi (petits portraits chargés). Il s’agit de charges graphiques caractérisées par une déformation expressive du corps et notamment du visage. À l’origine, ce procédé graphique est pratiqué par des artistes comme un activité marginale ou un divertissement destiné aux initiés. Les feuilles des Carrache ou du Bernin en témoignent. Il faut signaler qu’il s’agit de dessins sur des feuilles volantes qui ne font pas à l’époque l’objet d’un grand intérêt de la part des publics et des amateurs. En 1665, le sculpteur et architecte italien Gian Lorenzo Bernini (dit Le Bernin) étonne les Français en leur faisant découvrir ce genre lors de son voyage en France, mais il est peu imité. Ces dessins ne sont d’ailleurs pas destinés à être diffusés au moyen d’une reproduction par la gravure. Ce n’est plus le cas au xviiie siècle. Les dessins de Pier Leone Ghezzi, qui s’est fait une spécialité de la caricature des artistes et des voyageurs, sont très recherchés. En Angleterre, William Hogarth reprend le mot « caricaturas » dans une gravure de 1743 qui montre une accumulation de visages chargés et quelques reprises de caricatures italiennes. Désormais gravés, les portraits chargés rencontrent alors une autre tradition, plus ancienne : celle de l’image satirique de propagande qui avait connu un fort développement dans le contexte de la Réforme et des guerres de religion au xvie siècle et une forte diffusion au moyen de la gravure. Portraits chargés et images satiriques fusionnent pour brocarder la société, les mœurs, les faits et les hommes de pouvoir. Une économie de la gravure à l’eau forte se met en place, avec d’étroites collaborations entre éditeurs et dessinateurs. L’estampe satirique et caricaturale conquiert un large public au-delà même des Îles britanniques[2]. Les codes visuels inventés en Angleterre par Hogarth, James Gillray ou Thomas Rowlandson sont repris par des dessinateurs continentaux et l’on en trouve la trace chez Jean-Jacques (J. J.) Grandville ou Honoré Daumier qui comptent parmi les premiers à fournir des compositions pour une nouvelle forme de diffusion : la presse illustrée. Le mot « caricature », qui sert de titre au journal satirique illustré le plus important du xixe siècle[3], s’impose dès lors durablement dans toute l’Europe, pour englober bientôt toutes les formes d’estampe satirique.

Les mots « caricature » et « caricaturiste » sont très employés en France jusqu’au début du xxiesiècle, mais ils tendent aujourd’hui à être remplacés par d’autres. Après les attentats contre Charlie Hebdo puis l’assassinat de Samuel Paty, la décision de créer une « Maison européenne (ou internationale) du dessin de presse et du dessin satirique » traduit par son intitulé le problème généré par le mot « caricature », alors que dans les années 2000 les « caricatures de Mahomet » étaient connues dans le monde entier sous ce terme. Les dessinateurs de presse étaient alors couramment nommés des caricaturistes. L’expression « dessinateurs de presse » devient elle-même caduque de nos jours, tant les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont diversifié les médias et les formes d’expression. Il faudrait en réalité parler d’« editorial cartoon », car il s’agit avant tout de dessins de presse, caricaturaux ou non. Cette appellation très générique, quoique moins fautive que celle de caricature, reste imprécise. Il faudrait sans doute utiliser des cadres encore plus larges pour espérer saisir l’ensemble du phénomène : satire graphique, ou même satire visuelle, pour prendre en compte toutes les pratiques qui se déploient sur internet. Le Prix Pulitzer a d’ailleurs créé une nouvelle catégorie, Illustrated Reporting and Commentary, distincte de celle qui existe depuis 1922 pour Editorial Cartooning.

En passant les limites de l’Europe, le risque est grand d’identifier les formes visuelles satiriques en plaquant les critères définitionnels de la caricature, de l’image satirique ou du dessin de presse[4]. Reconnaître l’existence même de la satire dans une image nécessite une grande culture de l’époque de création, une fine connaissance de son contexte, des formes de diffusion, des conditions de réception, des multiples niveaux de lecture, des contraintes de la censure, etc. Il ne suffit pas de comparer le trait et d’inférer d’une ressemblance formelle entre deux dessins produits en Europe et en Asie, un même processus de création, une même intentionnalité et une même agentivité. De surcroît, il existe dans les lexiques des langues d’Asie des termes qui posent des problèmes définitionnels comparables à ceux qui viennent d’être évoqués pour l’Europe, avec les mêmes caractéristiques de passage d’une langue à l’autre, d’une culture à une autre. C’est notamment le cas du terme japonais manga que l’on retrouve en chinois (manhua), en coréen (manhwa) et en vietnamien (biếm hoạ), tout en présentant des spécificités propres à chaque langue. Enfin, ultime difficulté, les études théoriques anciennes sont moins nombreuses qu’en Europe, ce qui rend difficile à ce stade l’écriture d’une historiographie sur le temps long.

 

Aperçu terminologique de la caricature en Asie de l’Est

Ce n’est que depuis un siècle et demi que les pays asiatiques ont pleinement pris conscience, sous l’influence occidentale, de la notion de caricature. Auparavant, en Chine, au Japon ou en Corée et au Vietnam, on peut repérer une forme de production qui pourrait s’apparenter de diverses manières à cette catégorie. On sait que la satire graphique repose sur certaines références culturelles ancrées dans un espace et une époque donnés. Ce qui paraît évident à certains peut échapper ou être mal interprété par d’autres faute d’en connaître les codes. Comment se caractérise-t-elle en Asie orientale ? Devons-nous retenir le critère d’une déformation expressive ? Ou plutôt celui d’une intention satirique ? En Chine, les histoires de la caricaturesemblent plutôt s’attacher à la seconde en l’identifiant dans des temps reculés, par exemple à l’époque des Han dans certains bas-reliefs funéraires du iie siècle où sont représentés des rois de l’Antiquité d’un point de vue manifestement critique. L’exagération du trait ne semble pas pouvoir constituer un critère pertinent à elle seule dans la mesure où la mimèsis ou souci de ressemblance n’a guère préoccupé les artistes chinois. On peut repérer plusieurs exemples à travers les siècles, notamment celui, dans une veine grotesque, d’une curieuse figure tricéphale sous les Ming (1368-1644) intitulée Yituan heqi  (Unité et concorde, 1465), qui exprime l’espoir de l’auteur, l’empereur Xuanzong, de parvenir à l’harmonie et à la paix après la tyrannie de son père. Sous la dynastie mandchoue des Qing (1644-1911), la satire politique par le biais d’allusions ou de symboles se développe, comme avec les paons du peintre Zhu Da (1625-1705), critique voilée de la conduite immorale des fonctionnaires (dont la coiffe s’ornait de plumes de paon), ou encore les fantômes de Luo Liangfeng (1733-1799), qui singent le comportement peu recommandable des fonctionnaires avec une ironie que semble autoriser leur appartenance à l’au-delà[5].

 

Les animaux permettent aisément de parodier les attitudes humaines, comme on le voit sur une série d’estampes polychromes produites à Wuqiang (Hebei) à la fin du xixe siècle : des singes habillés en fonctionnaires brandissent des textes de lois qu’ils ne respectent pas eux-mêmes. Sur l’une d’elles, un singe habillé en haut fonctionnaire de la dynastie des Qing, pourvu d’une coiffe et d’un collier imposants, agitant un éventail, est transporté sur une perche de bambou en guise de chaise à porteur. Un singe lui ouvre la voie en jouant du gong et en tenant un étendard où on peut lire l’inscription « Interdit de fumer ». Un peu plus loin, dans la procession, on découvre un singe tenant une pipe à opium d’un air innocent et un autre un baldaquin évoquant un lit de fumeur d’opium : l’image moque ainsi le comportement laxiste et corrompu de l’administration mandchoue qui ne se soucie aucunement des règles qu’elle édicte en matière de consommation d’opium Ces bruyantes campagnes anti-opium des Qing ne sont rien d’autre qu’un spectacle de singes : la satire, audacieuse, vive et directe, peut être considérée comme une proto-caricature (fig. 1 et 2).

À partir de 1875 se développe le dessin de presse sous l’influence occidentale, avec la publication de journaux bénéficiant des nouvelles techniques d’impression lithographique. Si les caricatures ressemblent alors de plus en plus à leurs modèles européens, certaines d’entre elles revêtent un caractère local marqué, en particulier lorsque la figure est constituée de caractères chinois d’une manière qui pourrait évoquer les « images en écriture » (moji-e) japonais[6] (fig. 3), comme par exemple Protection et partage du pays par Ma Xingchi, caricature parue dans le Shenzhou ribao(1908). À gauche, on reconnaît un étranger, constitué des caractères 保護乎 (baohu hu,« protection »). À droite : un Chinois coiffé d’une calotte de fonctionnaire, avec les caractères 瓜分乎 (guafen hu, « partage du pays »). Il s’agit d’une dénonciation du discours hypocrite des puissances étrangères, qui, sous prétexte de protéger la Chine, cherchent à assurer leurs intérêts en divisant le territoire en diverses zones d’influence, que l’on ne peut comprendre que si on parvient à déchiffrer le message écrit et si l’on connaît le contexte géopolitique de l’époque.

 

La notion de caricature semble alors se préciser avec l’apparition d’une multiplicité de termes pour la désigner : fengci hua (image satirique), yuyi hua (image allégorique), fengyu hua (image allusive), shihua (image d’actualité), xiehua (image facétieuse), xiaohua (image pour rire) ou encore huaji hua (image burlesque). Mais c’est surtout le terme manhua qui est employé couramment à partir de 1925, en premier lieu à propos des dessins de Feng Zikai (1898-1975). Il se caractérise bientôt par une polysémie qui excède la seule notion de caricature en s’étendant à l’esquisse, au dessin de presse, et inclura plus tard celle de bande dessinée[7]. En Chine, le terme manhua serait apparu dès l’époque des Song (960-1279) sous la plume de Hong Mai (1123-1202) dans un sens bien différent, puisqu’il désigne alors un oiseau, la spatule blanche. Sous les Qing, ce mot ne renvoie pas encore à une catégorie de peinture, mais plutôt à une attitude à l’égard de celle-ci : il signifie en effet « peinture faite à sa guise » ou « peinture d’humeur » (on parlera aujourd’hui plutôt de suiyi hua). C’est notamment le cas sous le pinceau de Jin Nong (1687-1764) dont la peinture comporte une dimension satirique[8].Le terme manhua dans son sens actuel serait apparu dès 1904 dans l’expression « manhua d’actualité » (shishi manhua) pour désigner une rubrique de journal. Pourtant, du fait de la rareté de ce genre de dessins, cette appellation serait passée inaperçue et ne se serait répandue qu’avec les débuts de Feng Zikai : le trait minimaliste de ce dernier est parfois au service d’une intentionnalité satirique, même si la plupart de ses manhua en sont dépourvus et transmettent plutôt un état d’esprit ou une philosophie de vie. Dans le cas de ses créations plus orientées vers une critique sociale, il sera aisé d’interpréter la représentation d’un professeur dont la tête a été remplacée par un phonographe comme une pique contre le caractère répétitif de son enseignement. Un enfant encastré de force dans un moule suggèrera la contrainte et l’uniformité d’un enseignement de tradition confucéenne étouffant[9].

Dans son acception moderne, ce serait un néologisme emprunté au japonais au début du xxesiècle (les mêmes caractères se prononçant manga) : « L’appellation manhua est apparue pour la première fois au Japon. Elle a tout d’abord été utilisée à l’époque des Tokugawa (correspondant au début de la dynastie des Qing en Chine) par les huit grands maîtres de mangas, à commencer par Hokusai, qui lui auraient donné le sens de “peinture faite à sa guise”. Depuis lors, l’usage de ce mot s’est perpétué au Japon. On peut affirmer que son emploi s’est répandu en Chine sous l’influence japonaise », explique l’historien chinois Bi Keguan[10].

La question des premiers emplois du mot « manga » au Japon, et du sens qu’a progressivement pris ce terme pour en arriver à sa signification actuelle de « cartoon » ou de « bande-dessinée » est pourtant loin d’être simple. La combinaison des caractères « man (incontrôlé, insouciant etc.)» et « kaku/ga (écrit ou dessin)» se voit en effet employé à partir de la fin du xviiie siècle dans des contextes distincts. Suzuki Kankei (1713-1776) utilise ce composé dans la préface de son essai au fil du pinceau paru en 1771, Rōgai ichitoku (Un trésor sauvé des flots), mais il fait référence à un « oiseau qui parcourt les flots en attrapant inlassablement des petits poissons pour s’en nourrir »[11]. On y reconnaît la spatule blanche de Hong Mai, employée ici comme métaphore du savant insatiable, sans lien donc avec les images. À l’inverse, l’écrivain Santō Kyōden (1761-1816), dans son Jiji no yukikai (Croisements des quatre saisons) en 1798, fait usage du même composé pour parler des portraits des passants esquissés par un personnage installé dans boutique devant un carrefour. C’est ce même sens d’ « esquisse », de « dessin libre », voire de « caricature », qui se trouve appliqué comme titre d’un manuel de modèles de dessin de Hokusai à l’usage des apprentis peintres en 1814. La veine satirique du « manga » ne sera ceci dit pleinement exploitée qu’à partir de la fin du xixe siècle, avec l’apparition de la caricature et du dessin de presse en une page, notamment dans le journal Jijishinpō. Quant au manga comme bande-dessinée narrative, ce n’est finalement qu’à l’orée de la seconde guerre mondiale qu’il commencera à émerger, avant de s’imposer comme genre après la guerre.

On peut se demander si la solennité et la retenue confucéennes n’auraient pas freiné l’expression humoristique des arts graphiques en Chine, en Corée et au Vietnam, contrairement au Japon où elle semble s’être épanouie beaucoup plus librement, comme en témoigne le catalogue de l’exposition Warai : l’humour dans l’art japonais[12]. Il apparaît même que la déformation expressive a suscité un intérêt particulier au Japon. Ainsi, les auteurs des ouvrages Ukiyo-e Caricatures et Ōtsu-e : Imagerie populaire du Japon n’hésitent pas à qualifier les images populaires japonaises de « caricatures », dans la mesure où leur immédiateté et leur efficacité ne le cèdent en rien à celles de leurs homologues modernes [13]. Il est d’usage au Japon de faire remonter l’origine du genre au moins au fameux Rouleau des oiseaux et animaux (Chōjū giga) de Toba Sōjō (1053-1140), sur lequel sont figurés grenouilles, lapins, singes et renards dans ce qui apparaît comme une audacieuse description de la vie dissolue des religieux. Si les représentations animalières occupent une place importante au Japon, celles des êtres surnaturels et des figures religieuses permettent également de renverser les hiérarchies, de remettre en cause les conventions et de dénoncer le ridicule des comportements humains en contournant la censure. Parmi ses modèles japonais, Feng Zikai, bien informé de la situation artistique à l’étranger, cite notamment Sengai Gibon (1750-1837), séduit par les œuvres vives et dynamiques, le trait souple et spontané, la liberté créative de ce peintre à l’esprit facétieux qui prétendait ne suivre aucune règle. À travers l’excès et l’exubérance, Sengai cherchait en réalité à diffuser l’anticonformisme du zen : la combinaison d’un trait d’une concision presque désinvolte et du rire malicieux qu’il suscite font de cette peinture une caricature avant la lettre. La fascination de Feng Zikai pour les modèles japonais n’est guère étonnante lorsque l’on considère la profusion, la dérision et la virtuosité extraordinaire qui les caractérisent, dont un Kawanabe Kyōsai (1831-1889) est emblématique par son goût pour le carnavalesque et le grotesque[14]. Feng Zikai est également intrigué par les mangas composites (dits kakushi-e ou « double image ») d’Utagawa Kuniyoshi (v. 1797-1861), où les visages sont formés de plusieurs corps humains enchevêtrés à la Arcimboldo. Sa perspicacité le conduit même à s’intéresser à l’Ōtsue, estampe au dessin sommaire pourvue de couleurs simples à l’humour naïf qui connut une immense faveur au xixesiècle. Notons que les termes japonais désignant la caricature semblent pour quelques-uns d’entre eux plus anciens que celui de manga, ce qui est révélateur de la valeur qu’on accorde à cette notion au Japon : giga (« image drolatique », terme employé par exemple au sujet du Rouleau des oiseaux et des animaux), Toba-e (« image à la Toba [Sōjō]»), illustration comique comportant souvent des animaux anthropomorphisés), fūshi-ga (« image satirique », terme désignant généralement les estampes produites durant la deuxième moitié du xixe siècle), ou encore kyōga 狂画 (image fantasque).

La caricature à l’occidentale se répand en Asie de l’Est à partir de la fin du xixe siècle, notamment grâce aux avatars asiatiques de la revue britannique Punch. Loin de se réduire à une simple traduction, ces derniersqui virent le jour vers 1860 et dont l’existence fut intrinsèquement liée à l’âge du colonialisme et de l’impérialisme, procèdent à une recontextualisation fondamentale de la forme graphique qu’elles empruntent à leur modèle européen. La satire met en lumière certaines asymétries, comme celle qui caractérise les relations entre colons et populations colonisées ou semi-colonisées. Ces versions asiatiques de Punch savent aussi bien railler la prétention des premiers que la veulerie des secondes, révélant le mélange de fascination et de répulsion que suscite en elles la culture des puissances dominantes. La satire offre également un espace d’expression face aux injustices ou aux aberrations qui affectent la société. C’est ainsi que tous ces périodiques intègrent les lecteurs d’un pays donné à une communauté internationale dont l’imaginaire est façonné par des codes journalistiques et des messages visuels homogènes d’un bout à l’autre de la planète. La culture de l’imprimé crée dès lors les conditions d’une « communauté imaginée », au sens où l’entend Benedict Anderson, ainsi que d’un imaginaire global, permettant un « cosmopolitanisme virtuel » et une « libre circulation des idées » entre centre et périphérie tout en transcendant les différences locales et régionales[15]. Pour prendre l’exemple de la Chine, le China Punch, publié en anglais à Hong Kong dès 1867, se voit complété à partir de 1918 par le Shanghai Puck à Shanghai, première revue satirique de langue chinoise. Si ce dernier connaît une existence éphémère et s’inspire en fait davantage de Punch que de la revue Puck, il contribue néanmoins à diffuser un vocabulaire visuel international tout en exprimant la frustration de la Chine et son rêve de revanche sur le plan géopolitique[16].

Toujours dans le contexte chinois, deux célèbres revues de caricatures des années 1930, Shanghai Sketch et Modern Sketch, témoignent d’une certaine évolution ou appropriation locale de la notion de caricature, désormais couramment désignée par le terme manhua, qui inclut ici satire sociale et politique. Les manhuas qui se déploient au fil des pages témoignent d’une étonnante créativité, empruntant leur vocabulaire visuel à des sources diverses, tout en recourant à une pluralité de médias : dessin, montage photographique, papier découpé, sculpture, combinaison de dessins et de photos, etc. Déformation graphique et satire apparaissent çà et là sans qu’il soit bien aisé de déterminer les frontières exactes de ce que nous nommerions « caricature » d’un point de vue occidental. Avec des procédés variés tels que l’exagération, le symbolisme, le comique de situation, au moyen d’une esthétique parfois inspirée du décadentisme européen, du cubisme, de l’Art déco et très marquée par l’influence de la presse anglo-saxonne, toutes ces caricatures tendent un miroir légèrement déformant à la classe moyenne urbaine, qui constitue le lectorat de ces revues. Épinglant un mode de vie tourné vers le plaisir et l’argent, elles brossent un portrait sans complaisance de la « modern girl », cette nouvelle jeune femme émancipée et séductrice qui apparaît comme une métaphore de la métropole, et du « modern boy », dandy lancé dans une quête éperdue d’amusements et de distractions. Non dépourvues d’humour, toutes ces caricatures moquent les habitudes nouvelles des Shanghaiens. Notons que cette caricature de mœurs connaît des équivalents en Corée, au Japon et au Vietnam à l’époque moderne et contemporaine[17].

Pendant la guerre sino-japonaise (1937-1945), les caricaturistes chinois fustigent pour la plupart l’ennemi à travers une caricature désormais politisée témoignant d’une pleine maîtrise des codes occidentaux[18]. Mais à partir de la fondation de la République populaire de Chine en 1949, l’espace de liberté conquis à l’époque républicaine laisse la place à une expression beaucoup plus contrainte.

Le présent numéro cherche à prolonger ces quelques lignes de réflexion en offrant des clés de lecture indispensables à la compréhension d’images satiriques nées dans des contextes et des époques spécifiques. À partir d’un ensemble de sept articles sur la Chine, la Corée, le Japon et le Viet Nam, et abordant tant les périodes classique que moderne, il met en lumière les échanges qui ont pu avoir lieu au sein de l’Asie de l’Est ou à travers le monde, devenus de plus en plus évidents à partir du xixe siècle. Nous avons articulé l’ensemble en trois grands thématiques que sont l’iconographie satirique dans la peinture classique, puis le graphisme dans la mondialisation à l’œuvre depuis le xxe siècle, et enfin les modalités satiriques dans la culture de l’imprimé.

 

Interpréter l’iconographie satirique dans la peinture classique

 

Les représentations des aveugles produites en Chine pendant la dynastie des Qing, étudiées par Alice Bianchi, posent des problèmes d’identification du contenu satirique. Ces scènes de genre (fengsu hua) sont en principe rarement satiriques. Elles procurent d’ailleurs un évident plaisir esthétique lié à l’habileté de l’artiste à représenter visuellement la cécité par le traitement des yeux des personnages certes, mais surtout par les situations et les attitudes. Les aveugles sont traditionnellement considérés comme doués de facultés de perception supérieure. Les représenter dans des activités qui leur sont en principe interdites pourrait relever d’un discours valorisant. Mais la lecture satirique semble devoir être privilégiée : ces aveugles sont des métonymies visuelles parce qu’ils servent à moquer des personnes voyantes qui croient voir et savoir, mais qui n’en ont pas les capacités. La critique morale et sociale est corroborée par des références à des dictons, des jeux de mots ou des expressions transmises par des textes. Même si la clientèle de ce genre d’images n’est pas précisément connue, il est probable qu’elle appartenait à plusieurs catégories qui devaient trouver des interprétations différentes en fonction de leurs références culturelles et de leur culture visuelle.

L’étude du motif Tigre et pie dans la Corée de l’époque Chosŏn (1392-1897) par Okyang Chae-Duporge vérifie la difficulté de caractériser le contenu satirique, par nature instable et synthétique










[19]I. Elle permet également de saisir la complexité des transferts culturels, puisque ce motif trouve son origine en Chine, mais acquiert des significations complexes en Corée où il rencontre un grand succès au xviiie et xixe siècles. Culture savante et populaire se mêlent en effet dans la représentation du tigre, un des sujets de la peinture lettrée provenant de la Chine des Ming. Dans les représentations populaires coréennes, il se charge de vertus apotropaïques qui tiennent précisément au danger que cet animal représentait dans les campagnes. Mais associé à la pie, que le grand fauve n’est pas en mesure d’attraper, il acquiert une nouvelle signification, plus sociale. Le tigre devient probablement une représentation ironique de la classe dominante, impuissante et oisive, alors que la pie, oiseau inoffensif mais rusé, incarne les dominés. Comme dans la représentation des aveugles d’Alice Bianchi, les références littéraires sont nécessaires pour exhumer les significations attachées à ces animaux. En Corée, ce sont les contes qui évoquent un tigre, certes terrifiant intrinsèquement, mais rendu crédule et vaguement ridicule. L’aspect humoristique introduit vers la fin du Chosŏn a contribué à populariser ce thème au point de faire du tigre, domestiqué par la satire, un animal emblématique de la Corée.

 

Graphisme dans la mondialisation

 

À partir de l’incident diplomatique créé par des caricatures du Canard enchaîné sur l’attribution des Jeux olympiques au Japon, Tino Bruno met en évidence la récurrence du traitement du thème du nucléaire dans les grands quotidiens japonais depuis les années 1950. Contrairement à ce que les réactions aux dessins français pourraient laisser supposer, le sujet du nucléaire n’a pas été moins présent dans la presse au Japon qu’en France. Le traitement est également comparable, les événements servant de métaphores pour véhiculer des propos satiriques de nature politique. Le ton et la forme diffèrent cependant, ce qui est dû à la structuration particulière de la presse quotidienne japonaise et aux modes d’expression graphiques. Entre également en jeu une culture de l’humour qui porte moins atteinte au corps que dans la presse satirique européenne, ce qui est probablement dû, pour partie, au traumatisme des malformations génétiques liées à l’atome. Si la forme et le trait du dessin de presse sont comparables de manière générale, des différences culturelles se font ainsi sentir dans le traitement du sujet, qui devient dès lors un enjeu diplomatique.

En étudiant les personnages créés par Huang Yao et Yancong à un demi-siècle de distance, au milieu du xxe siècle et au début du xxie, Norbert Danysz interroge quant à lui un mode de figuration épuré, réduit à un cercle et quelques éléments au trait. Là encore, le rapport à la narration est essentiel, mais il s’inscrit cette fois davantage dans un processus de sémantisation du trait dû à la bande dessinée qu’à une relation aux sinogrammes. Le lien à la culture littéraire ancienne chinoise reste néanmoins prégnant chez Huang Yao dans les années 1930, même si le graphisme est renouvelé par l’apport d’une forme d’abstraction savante venue d’Europe, tout autant que par les comics américains. Produits culturels hybrides, les personnages simplifiés de Huang Yao et Yancong témoignent, avec des références différentes et de plus en plus mondialisées, de la complexité des circulations des références comme de leur capacité à ouvrir la voie à des formes satiriques et humoristiques novatrices et originales.

La production d’images de propagande au Viêt Nam relève d’autres circulations. Entre 1945 et la fin des années 1950, des affiches réalisées par les artistes de « l’Association Culturelle pour le Salut National » recourent à un mode caricatural pour représenter l’ennemi français. Les techniques graphiques et d’impression rappellent des traditions vernaculaires, mais le traitement caricatural renvoie lui à la presse satirique illustrée qui s’était développée dans l’entre-deux-guerres. Moqués et ridiculisés dans un premier temps, puis rendus diaboliques par leur monstruosité physique et morale, les colonisateurs voient ainsi retournée contre eux la caricature qu’ils avaient introduite. Elle disparaît peu à peu au profit d’une iconographie héroïque sous l’influence du réalisme socialiste, tant soviétique que chinois, à la fin des années 1950 dans le contexte de la guerre du Viêt Nam, reflétant la globalisation du conflit dans le contexte de la Guerre froide.

 

Modalités satiriques dans la culture de l’imprimé 

 

Marianne Simon-Oikawa étudie deux albums illustrés parus en 1809 et 1878. Il s’agit de parodies d’une pièce de théâtre célèbre – Kanadehon Chūshingura (Le Trésor des vassaux fidèles) – dont le sujet est basé sur des faits réels remontant au début du xviiie siècle. La pièce, qui acquiert sa forme canonique dans les décennies suivantes, connaît rapidement un grand succès et est adaptée de nombreuses fois pour le kabuki et le théâtre de marionnettes. Mais elle fait également l’objet d’un grand nombre de parodies destinées à être jouées lors de banquets, par des comédiens ou par les convives eux-mêmes. En 1809, Santō Kyōden fait paraître un livre comique destiné à ces divertissements privés, avec des illustrations de Utagawa Toyokuni. La déformation des attitudes et l’outrance des expressions se conjuguent à des procédés destinés à animaliser les personnages au moyen d’accessoires ou par des jeux de mots visuels. Le traitement caricatural soutient l’esprit du texte, dont les images sont indissociables. Quand Kawanabe Kyōsai reprend ce sujet en 1869, sur un texte de Shinoda Senka, c’est pour réaliser des peintures puis un album comique très librement inspirés de celui de 1809. Mais surtout, il produit une œuvre qui atteste sa connaissance de la caricature occidentale avec laquelle il cherche visiblement à rivaliser au sein même de la tradition de la parodie et de la saynète humoristique jouée dans les banquets.

La représentation des enfants jouant, étudiée par Doreen Müller, est une autre tradition japonaise liée à l’estampe nishiki-e (« image de brocart »), c’est-à-dire la gravure polychrome faisant son apparition au milieu du xviiie siècle. Ce type de sujet devient un genre à part entière et jouit d’un grand succès populaire, par son caractère plaisant et attendrissant. Mais en 1868, la dernière année du shogunat des Tokugawa, ce type de scènes résonne de la situation politique à Edo (l’actuelle Tokyo) par un jeu de transposition et de remodelage (mitate). Même si la censure s’exerce alors avec moins de dureté, il faut de toute évidence beaucoup de patience et de sagacité pour identifier les personnages et les clans politiques au travers de la représentation des enfants, malgré certains indices de nature symbolique comme les motifs de kimono ou les jouets. Cela tient au fait que la physionomie des personnages politiques n’était pas connue des habitants, ce qui montre bien tout ce qui sépare la caricature politique occidentale de ce moment de la satire à Edo. Mais cela tient aussi au fait que ces estampes véhiculent une forme de proclamation d’une culture propre à Edo, attachée à des valeurs de paix et de prospérité inhérentes à ce type de scène. La connaissance de la caricature occidentale et sa diffusion par le Japan Punch notamment, a probablement imposé un type de satire qui nous est plus familier.

 

*

 

Pour clore ce volume, le « regard extérieur » de Philippe Kaenel ouvre un horizon de comparaison en montrant comment la caricature asiatique peut facilement désorienter le chercheur occidental. Il invite à réfléchir aux transferts ayant pu s’opérer depuis deux siècles entre nos deux mondes et aux dialogues qu’il serait fructueux de poursuivre afin de ne pas conclure, de manière caricaturale, à un simple modèle de la satire occidentale en Chine, en Corée, au Japon et au Viêt Nam.

 

 

Bibliographie 

 

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 Glossaire 

 

Chōjū giga 鳥獣戯画

Chosŏn 朝鮮

Edo 江戸

Feng Zikai 豐子愷n










 

fengci hua 諷刺畫

fengsu hua 風俗畫
fengyu hua 諷喻畫

fūshi-ga 諷刺画

giga 戯画

Han 漢

Hong Mai 洪邁

huaji hua 滑稽畫

Huang Yao 黃堯

Jin Nong 金農

Jiji no yukikai 四時交加

Jiji shinpō 時事新報

Katsushika Hokusai 葛飾北斎

Kawanabe Kyōsai 河鍋暁斎

kyōga 狂画

Luo Liangfeng 羅兩峰

Ma Xingchi 馬星馳

manga 漫画

Mankaku zuihitsu 漫画隨筆

manhua 漫畫

Ming 明

Mitate 見立 

Moji-e 文字絵 

nishiki-e 錦絵  

Qing 清

Rōgai ichitoku 撈海一得

Santō Kyōden 山東京伝

Sengai Gibon 仙厓義梵

shihua 時畫 

shishi manhua 時事漫畫

Song 宋

suiyi hua 隨意畫 

Suzuki Kankei 鈴木煥鄉

toba-e 鳥羽絵

Toba Sōjō 鳥羽僧正

Utagawa Toyokuni 歌川豊国

Wuqiang 武強

xiaohua 笑畫

xiehua 諧畫

Xuanzong 宣宗

Yancong 煙囪

Yituan heqi 一團和氣

yuyi hua 寓意畫 

Zhu Da 朱耷

 


[1] Pour une approche générale de l’histoire de la caricature, voir Baridon & Guédron 2021.


[2] Porterfield 2016.


[3] La Caricature morale, religieuse, littéraire et scénique, entre 1830 et septembre 1832, devient La Caricature politique, morale, littéraire et scénique à partir du 4 octobre 1832.


[4] Voir le « Regard extérieur » de Philippe Kaenel à la fin de ce numéro.


[5] Bi & Huang 1986 : 1-7.


[6] Simon-Oikawa 2007 : 75-96.


[7] Sur le concept moderne de manhua, voir Crespi 2020.


[8] Liu-Lengyel 1993 : 56-58.


[9] Laureillard 2017 : 318-319.


[10] Bi 1982 : 44.


[11] Cette expression a finalement été utilisée comme titre de l’ouvrage dans des rééditions ultérieures, et c’est sous le titre Mankaku zuihitsu (Notes insatiables au fil du pinceau) qu’il est aujourd’hui plus connu.


[12] Yamashita et al. 2012. Voir aussi Expressions of Humor in Chinese Painting and Calligraphy2017.


[13] Brandl & Linhart 2013 et Marquet 2015.


[14] Oikawa 2021.


[15] Harder & Mittler 2013 : 424.


[16] Yamashita et al. 2012 : 381-382.


[17] Schaal 2020.


[18] Celle-là même que remarque un certain A.L. Bader en 1941, mentionné par Philippe Kaenel dans son « Regard extérieur ».


[19] Renner 2006 : 13-15.

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Revue Extrême-Orient - Extrême-Occident
Nombre de pages : 192
Langue : français
Paru le : 14/03/2023
EAN : 9782379242991
CLIL : 4036 Asie
Illustration(s) : Oui
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
Version papier
EAN : 9782379242991

Version numérique
EAN : 9782379243028

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