Pinuccia Franca SIMBULA : « Îles, corsaires et pirates dans la Méditerranée médiévale »
Les îles méditerranéennes ont souvent joué un rôle important dans l’organisation de la course et de la piraterie. Plus qu’une vocation, il s’agit d’un rôle imposé aux îles par leur condition de frontière maritime, par les conflits et la forme spécifique des guerres maritimes qui en font des lieux stratégiques de défense et de contrôle des routes commerciales et militaires. L’étude de quelques exemples permet de montrer comment la course et la piraterie se développent, dans les îles occidentales comme dans celles du Levant, dans un contexte de rivalités diffuses et de guerres ouvertes entre puissances chrétiennes et entre chrétiens et musulmans, qui les utilisent et les instrumentalisent. Consensus politiques ou incapacité des pouvoirs centraux à imposer des contrôles stricts des armements sont des facteurs déterminants dans la construction des espaces et des communautés insulaires qui se projettent avec agressivité sur la mer.
Îles – Course – Piraterie – Méditerranée – Moyen Âge
Guillaume SAINT-GUILLAIN : « Seigneuries insulaires : les Cyclades au temps de la domination latine (XIIIe-XVe siècle) »
Du XIIIe au XVe siècle, l’archipel des Cyclades, de peuplement grec et de culture byzantine, passa sous le contrôle d’une élite seigneuriale d’origine italienne qui maintint son identité latine et en fit un des signes de sa domination sociale. Contraintes géographiques et historiques ont donné dans cette région à la colonisation médiévale une forme originale, celle de la seigneurie insulaire. Celle-ci a d’abord pour effet de maintenir autant qu’il est possible une population que l’insularité expose plus qu’une autre aux pirates avides d’esclaves. C’est la seigneurie qui définit les formes de propriété, ordonne ces petites communautés en répartissant les populations entre libres et serfs dépendants et génère ainsi d’une part des revenus, d’autre part un encadrement de la force de travail. Elle se révèle donc un instrument efficace de mise en valeur des espaces insulaires, dont elle oriente les productions, en particulier agricoles, pour les insérer dans les circuits d’échange méditerranéens, tirant ainsi l’île de l’isolement. Peut-être en partie grâce à elle, les sociétés insulaires du sud-ouest de l’Égée, fragiles et fragmentées, n’en sont pas moins pratiquement les seules parmi celles nées du démembrement de l’Empire byzantin au début du XIIIe siècle à préserver leur forme d’organisation jusqu’au début de l’époque moderne.
Cyclades (Grèce) – Insularité – Seigneurie – Colonisation médiévale – Contrôle social
Nathalie BOULOUX : « Les îles dans les descriptions géographiques et les cartes au Moyen Âge »
Espace essentiellement discontinu, les îles trouvent difficilement place dans les descriptions du monde, fondées depuis Orose sur la localisation des régions par leur contiguïté. Elles sont donc le plus souvent rassemblées sous la forme de catalogue à la fin des descriptions. Au XIIe siècle, leur caractère mouvant explique leur rôle dans l’essor du merveilleux et dans les réflexions conduites par les clercs sur le monde naturel. Nombreuses dans l’océan qui entoure le monde connu, elles accompagnent à partir du XIVe siècle l’inventaire du monde. Quant à leur représentation cartographique, elle suit les grandes lignes de l’évolution de la cartographie médiévale.
Îles – Espace – Représentation cartographique – Merveilleux – Découvertes
Antoine FRANZINI : « Un peuple libre, sauvage et vertueux : nature et politique dans la Corse du Quattrocento »
Dans la seconde moitié du Quattrocento, les discours tenus sur la Corse et les Corses se transforment. Un discours sur la nature des peuples apparaît, tandis que s’effacent progressivement les discours sur les origines mythiques et l’évocation du merveilleux. Appuyées l’une et l’autre sur l’idée fondamentale que ces peuples n’ont pas encore reçu l’empreinte de la civilisation, deux opinions dominantes semblent alors s’opposer dans quelques textes humanistes. Certes, elles s’opposent parfois sur la nature de ces peuples &endash; leur sauvagerie, leur perversité, ou au contraire leur vertu. Mais elles s’opposent surtout sur la façon dont il convient de penser leur gouvernement. Le présent article s’attache à la première de ces thèses, qui suggère que les Corses, soumis à la loi naturelle et d’une merveilleuse simplicité, témoignent certes de l’innocence de l’humanité primitive, mais surtout manquent de la sagesse que le philosophe ou le lettré pourrait seul leur apporter.
État de nature – Humanisme – Âge d’or – Corse – Utopie
Mireille SÉGUY : « Récits d’îles. Espace insulaire et poétique du récit dans l’Estoire del saint Graal »
L’Estoire del saint Graal constitue le premier volet du cycle romanesque du Lancelot-Graal. En tant que tel, ce récit doit fixer les débuts de la trajectoire du Graal, ménager des liens entre l’Antiquité païenne et les temps arthuriens, mais aussi assurer autant que faire se peut la cohésion d’un immense ensemble constitué de massifs narratifs hétérogènes. Ce difficile ” cahier des charges ” est compliqué du fait que l’Estoire a certainement été composée après l’ensemble du cycle dont elle doit écrire les origines et inventer la cohérence. L’article teste l’hypothèse selon laquelle l’espace insulaire, espace largement privilégié par le roman, offre un certain nombre de solutions narratives permettant de réussir cette entreprise ambitieuse et paradoxale. Dans cette perspective, l’espace insulaire apparaît moins comme un espace référentiel ou symbolique que comme un espace poétique, c’est-à-dire comme un lieu d’expérimentation littéraire où le récit trouve à se construire selon les contraintes particulières qui lui sont imposées par sa situation et sa fonction au sein du cycle.
Estoire del saint Graal - Espace insulaire - Poétique du récit - Roman en prose - Cycle
Sébastien DOUCHET : « Les Ysles d’Ynde ou le temps des hommes (Marco Polo &endash; Ibn Battûta) »
L’île médiévale, telle qu’elle est présentée dans La Description du monde de Marco Polo et la Rihla d’Ibn Battûta, ne se caractérise pas par sa situation géographique, mais par sa valeur herméneutique. Elle offre au récit un cadre coupé du temps du monde où l’imaginaire, sous la forme de la merveille et du monstrueux, questionne l’origine et les fondements de la nature humaine. Cet article analyse par quels procédés narratifs et quelles figures le récit fait des îles de l’Océan Indien un espace privilégié pour explorer les limites vacillantes de l’humanité. En ce sens l’île n’est pas un lieu de l’insularité, mais en est une figure, un signe au second degré.
Marco Polo – Ibn Battûta – Insularité – Nature humaine – Temps
Frank LESTRINGANT : « La voie des îles »
Du Moyen Âge à la Renaissance, les îles présentent quatre propriétés principales : le dynamisme, l’aptitude à l’encyclopédie, l’ouverture verticale et la miniaturisation. En premier lieu, le monde clos du Moyen Âge s’est ouvert par ses îles périphériques, des Canaries aux Moluques et aux Antilles. Réserves de savoir et magasins de singularités, les îles sont aussi des sas ouvrant sur d’autres mondes, sur l’au-delà et les espaces mouvants de la légende ou du mythe. Les îles, enfin, introduisent des trous dans le récit, favorisant la mise en abyme, la réflexivité et l’ironie. L’Utopie de Thomas More est la meilleure illustration de cette voie ironique des îles.
Isolari – Archipel – Atlas – Ekphrasis – Monde ouvert – Moyen Âge et Renaissance – Purgatoire – Utopie
Fabrizio NEVOLA : « Le patronage architectural du Pape Pie II Piccolomini à Sienne »
Cet article traite du patronage architectural de Pie II Piccolomini à Sienne, sa ville natale. Le goût sophistiqué du Piccolomini en matière d’architecture est bien connu et est illustré en particulier par les interventions monumentales qu’il commanda hors de Sienne. Nous connaissons déjà beaucoup des commandes architecturales du pape pour le Vatican, telles que la « Loggia » de la Bénédiction attribuée à Francesco dal Borgo. De même, le complexe monumental de bâtiments par lequel Bernardo Rossellino remodela le petit village de Corsignano au sud de la Toscane, le transformant en la ville de Pie-Pienza, a été maintes fois étudié. À l’opposé nous savons peu des projets du Piccolomini pour la ville de Sienne, ce qui peut paraître surprenant, d’autant que par une sorte d’ironie, l’essentiel de la documentation qui étaye cet exposé est maintenant conservé au second étage (« piano nobile ») du palais Piccolomini, un bâtiment originellement conçu par le pape lui-même.
Architecture – Renaissance – Sienne – Pie II – Patronage