Étienne ANHEIM : « Du symbole au signe : remarques sur la parenté entre Ars nova et nominalisme »
Cet article cherche à trouver un fondement à l’hypothèse d’une parenté, dans la première moitié du XIVe siècle, entre un courant musical, l’Ars nova, et les doctrines philosophiques rassemblées sous le nom de nominalisme. L’étude comparée des écrits de Jean de Murs et de Guillaume d’Ockham permet d’aller au-delà de la comparaison formelle. Sur une question essentielle, le statut du signe (le mot pour Ockham, la note pour Jean de Murs), la réflexion semble s’orienter dans la même direction. En effet, contre le pape Jean XXII (1316-1334) défendant une vision du monde augustinienne, la formulation ockhamiste d’un signe délesté de son poids symbolique paraît trouver un écho dans la justification de la nouvelle écriture musicale que donne Jean de Murs.
Olivier CULLIN : « Penser la musique au XIIIe siècle »
Dans les traités musicaux du XIIIe siècle, la proportio voisine entre la prise en compte des innovations techniques suscitées par la musica mensurata et les catégories traditionnelles manipulées depuis saint Augustin et Boèce. En étudiant ces traités – principalement, l’Anonyme IV, l’Anonyme de Saint-Emmeram et le De mensurabili musica de Jean de Garlande – dans le contexte universitaire, le présent article vise à cerner les processus d’analogie selon lesquels la scolastique devient une pensée de la musique à travers trois orientations principales : la langue et le vocabulaire utilisés, les procédés de documentation, les procédés de construction.
Anna Maria BUSSE BERGER : « Notation mensuraliste et autres systèmes de mesure au XIVe siècle »
Au début du XIVe siècle, des compositeurs et des théoriciens élaborèrent un système de notation “mesurée” et la dotèrent de signes appropriés. Cette notation repose sur le système des fractions romaines (en usage pendant tout le Moyen Âge) et sur la méthode médiévale de mesurer le temps. En effet, les deux systèmes renvoient aux mêmes concepts : ils ont en commun une valeur centrale multipliée en valeurs plus grandes et divisée en valeurs plus petites ; un système hiérarchique des valeurs dont chacune est divisée en deux ou en trois parties ; et enfin – et ceci s’applique plus particulièrement à la notation italienne – une valeur centrale divisible en douze unités plus petites. Quant aux signes de mensuration, ils proviennent des symboles associés aux fractions romaines.
Marielle POPIN : « Subtilité est affaire de raison »
Les études de P.-Y. Badel et de J. Cerquiglini ont souligné l’importance au XIVe siècle du concept de “subtilité”. Dans le domaine de la théorie musicale, le terme latin s’est imposé dès le XIIIe siècle, avec la mise en place du système franconien. Mais c’est dans le Speculum musicae de Jacques de Liège qu’il est le plus fréquemment utilisé, pour stigmatiser les techniques de composition généralisées avec l’ars nova, qui opposent la musica speculativa à la musica practica. On a tenté ici un relevé des occurrences latines dans les traités et françaises dans la chanson polyphonique, un relevé qui permette d’apprécier le champ sémantique de la subtilité.
Nicoletta GUIDOBALDI : « La musique du prince : figures et thèmes musicaux dans l’imaginaire de cour au XVe siècle »
Au XVe siècle, la représentation de la musique – qui avait toujours joué un rôle considérable dans l’imaginaire courtois – prend une place de plus en plus importante dans la décoration des palais seigneuriaux italiens. L’article propose un excursus sur ces décorations, qui reflètent les pratiques musicales ainsi que les changements marquants touchant à la fois l’organisation institutionnelle et les conceptions musicales de l’époque. On passe donc des fresques du début du siècle, où les thèmes musicaux se mêlent aux images de la vie de la cour, aux décorations des palais humanistes, où la musique est présentée comme la marque visible du bon gouvernement du prince. C’est notamment dans le Studiolo d’Urbino que le thème du “prince musicien” est transposé en images, dans le cadre d’un complexe programme iconographique ; le modèle d’Urbino reste bien reconnaissable dans les successives interprétations de Gubbio et de Mantoue.
Jacques DALARUN : « François et Claire. Masculin/Féminin dans l’Assise du XIIIe siècle »
François et Claire n’ont nullement constitué un couple symétri que. Le Poverello n’a jamais formulé un projet spécifique pour les moniales de Saint-Damien. En fidélité à l’Évangile, il cherche un projet destiné à l’humanité dans son ensemble. Sa culture courtoise le pousse en revanche à s’adresser à des allégories féminines (Marie, l’Église, la Pauvreté, la Terre) qui résument l’essentiel de ses valeurs de prédilection ; et s’il lui arrive de “faire la femme”, c’est pour indiquer quel doit être un gouvernement qui se situe aux antipodes du pouvoir. Claire, de son côté, ne se réfère pas de manière intempestive à François, mais uniquement lorsque l’essence de ses choix religieux est remise en cause par la papauté. Pour le reste, toute relation passe par son rapport au Christ. Pour François, il n’y a que des êtres humains, classés dans des catégories sexuelles, sociales, culturelles qu’il s’agit de subvertir. Pour Claire, il n’y a que des Christs, tous uns et tous uniques.
André PEYRONIE : « Le mythe de Thésée pendant le Moyen Âge Latin (500-1150) »
Cet article propose d’étudier le mythe de Thésée à la haute époque médiévale et de le mettre en perspective par rapport à la suite de son histoire. Il en décrit la présence dans les scolies aux poètes latins, analyse les mentions qui en sont faites dans diverses compilations et étudie les illustrations qu’on en trouve dans les manuscrits et les pavements (ou les murs) des églises. Si la connaissance du mythe est indubitable, il n’apparaît sous forme de récit qu’avec les Mythographi Vaticani. Les illustrations renforcent la prééminence de l’épisode central du labyrinthe. Au respect pour l’ancienneté des auteurs se superpose une grande liberté dans l’adaptation du mythe, liberté spécifique de l’état d’esprit de cette époque.
Jean-Claude FAUCON : « La représentation de l’animal par Marco Polo »
Si Marco Polo a omis d’évoquer le thé ou les petits pieds des Chinoises, il ne pouvait éviter de parler à ses contemporains des animaux d’Extrême-Orient. Les Européens, si amateurs de bestiaires, s’attendaient à trouver dans un pareil récit l’animal exotique et merveilleux qu’ils croyaient connaître. Marco Polo en introduit donc un grand nombre, mais prend ses lecteurs à contre-pied. Loin du bestiaire chrétien et de son symbolisme moral, il leur présente des scènes de chasse vécues et démythifie les habituels monstres, tout en parant de merveille des animaux bien connus. L’imaginaire animalier cède du terrain à un réel étrange et multiple.