Presses Universitaires de Vincennes

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Revue Marges. revue d'art contemporain
Nombre de pages : 192
Langue : français
Paru le : 21/10/2021
EAN : 9782379241666
Première
CLIL : 3675 Revues sur l’art
Illustration(s) : Oui
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
Version papier
EAN : 9782379241666

Version numérique
EAN : 9782379241673

Art contemporain et institutions

N°33/2021

Marges aborde dans ce numéro la question des liens parfois difficiles entre la création artistique contemporaine et les institutions.

L’idée d’institution artistique évoque des lieux : musées, théâtres, académies… ainsi que des instances de subvention, de transmission ou de patrimonialisation. L’institution est parfois vue comme un instrument de contrainte, lieu de récupération, voire de répression, qui serait opposé à la liberté, à la spontanéité ou à la subversion de l’art. La doxa ajoute souvent que les artistes s’y opposent avant de les intégrer – signe d’une reconnaissance bien méritée ou de la pire des compromissions. Au-delà de ces images, ce numéro de Marges pose la question de la place des institutions dans le fonctionnement de l’art, de leur nécessité et de leurs limites.

Éditorial – Jérôme Glicenstein

 

Dossier : Art contemporain et institutions

Taous R. Dahmani
De l’espace de résistance au lieu de l’institution : l’histoire d’Autograph ABP de 1988 à 2007

Benjamin Arnault
L’émergence de l’art écologique au sein des institutions françaises

Tobias Ertl
Vers un « nouvel irréalisme ». Une exposition situationniste entre néo-avant-garde et critique institutionnelle

Laura Castro
Le geste institutionnel et commémoratif de l’artiste. Pedro Cabrita Reis au Musée Gulbenkian (Lisbonne) et au Musée de Serralves (Porto)

Vivian Braga dos Santos
L’État brésilien et la valorisation institutionnelle du Noir et de l’art afro-descendant

Matteo Stagnoli
La création de l’institution muséale et l’architecture contemporaine : un regard sociologique

Témoignage

Isabelle Le Pape
L’art contemporain à la Bibliothèque nationale de France : collections, enjeux et visibilités

Garance Poupon-Joyeux
Institution et sédition : la parodie au cœur du Centre d’Art Contemporain d’Angoulême

Varia

Philippe Le Guern
Comment ne pas altérer l’altérité ? Art contemporain et indigénéités

Frederico Lyra
L’actualité de la théorisation et anti-théorisation en musique : système, excès et auto-analyse

Portfolio

Gregory Buchert
Le Musée domestiqué 

 

Notes de lecture et comptes rendus d’expositions

Abstracts français et anglais

Comment ne pas altérer l’altérité ? Art contemporain et indigénéités  
Philippe Le Guern

Observant la curiosité réciproque que semblent partager l’art contemporain et l’anthropologie la plus actuelle, cet article s’efforce de saisir les raisons, la portée et les enjeux de ce tournant ethnographique de l’art et, simultanément, du tournant artistique de l’anthropologie. Il montre que se jouent notamment, dans la constitution de cet espace dialogique singulier, des questions aussi essentielles que celles qui touchent à la formation des conventions esthétiques et à leur nature socialement construite, à la portée sociale et politique du geste créatif, au rapport entre la pratique et la réflexivité. En définitive, n’est-ce pas la tension classique entre relativisme et universalisme qui se rejoue dans cette attraction mutuelle ?

L’actualité de la théorisation et anti-théorisation en musique : système, excès et auto-analyse
Frederico Lyra

Dans cet essai, nous analysons le geste théorique du compositeur François Nicolas à la lumière du diagnostic établi par le musicologue Nicolas Donin au sujet de la tendance croissante à l’anti-théorisation en musique. D’un côté, Nicolas propose une théorie systématique et excessive de la musique. De l’autre, Donin montre que les tendances actuelles sont plutôt tournées vers un type de démarche qu’il qualifie d’auto-analyse. Nous allons examiner le geste anachronique de l’un, face à la contemporanéité de l’autre, dans une situation de crise partagée différemment par les deux auteurs. Nous nous appuyons notamment sur la pensée de Theodor W. Adorno, dans l’objectif non de proposer une synthèse, mais plutôt, en suivant la démarche critique adornienne, consistant à tenter d’articuler la tension entre ces deux pôles.

Institution et sédition : la parodie au cœur du Centre d’Art Contemporain d’Angoulême
Garance Poupon-Joyeux 

Les centres d’art contemporain émergent en France dans les années 1970 et se présentent, par leur ouverture aux expérimentations artistiques, comme une alternative aux lieux d’art traditionnels. Cependant, près de cinquante ans plus tard, ce modèle semble lui aussi s’être institutionnalisé. Cet article vise à questionner cette institutionnalisation en prenant l’exemple du Centre d’Art Contemporain d’Angoulême, un white cube gonflable qui parodie, à tous les niveaux, ces “nouvelles” institutions.

L’art contemporain à la Bibliothèque nationale de France : collections, enjeux et visibilités
Isabelle Le Pape

La Bibliothèque nationale de France existe depuis sa fondation par Charles V au Louvre en 1368, avant l’ouverture des premiers musées au public au cours du XVIIIe siècle. Ayant pour fonction de constituer des collections, de les conserver et de les diffuser  à travers des actions de médiation, de numérisation et des expositions, la BnF dispose-t-elle pour autant d’une organisation lui permettant d’assurer de telles actions à l’instar d’autres institutions artistiques, qui paraissent mieux désignés pour ce type d’actions ?

Le geste institutionnel et commémoratif de l’artiste. Pedro Cabrita Reis au Musée Gulbenkian (Lisbonne) et au Musée de Serralves (Porto)
Laura Castro

Cet article cherche à analyser et à problématiser l’invitation et la complicité entre Pedro Cabrita Reis (Lisbonne, 1956), un des artistes portugais les plus reconus de la contemporanéité, et deux musées portugais, le Centre d’Art Moderne de la Fondation Calouste Gulbenkian, à Lisbonne, et le Musée National d’Art Contemporain de la Fondation de Serralves, à Porto. Les invitations, qui ont eu lieu dans le cadre du 50ème anniversaire et du 20ème anniversaire des deux institutions, révèlent les utilisations institutionnelles et commémoratives de l’art contemporain.

La création de l’institution muséale et l’architecture contemporaine : un regard sociologique
Matteo Stagnoli

L’article esquisse une analyse de l’évolution du rôle de l’architecture contemporaine dans la création d’institutions artistiques au cours des dernières années en Europe, à travers la lecture architecturale et sociologique de trois cas principaux, le Centre Pompidou de 1977, le MAXXI de 2010 et le projet du Museum des 20. Jahrhunderts à Berlin. La notion de Landmark sera présentée dans ce cadre comme le rôle que la création d’institution joue dans l’espace urbain.

L’État brésilien et la valorisation institutionnelle du Noir et de l’art afro-descendant
Vivian Braga dos Santos

Au 21e siècle, le gouvernement brésilien participe à des actions de valorisation du Noir et de l’art afro-descendant dans les institutions nationales, en finançant l’organisation d’expositions et la production d’œuvres sur ces thématiques. Pour ce faire, l’alliance entre public et privé s’avère essentielle. Elle remonte à l’histoire de l’art et aux tensions du XXe siècle entre une apparente démocratisation institutionnelle et la régulation de la présence noire dans l’art. Néanmoins, dans les investissements culturels plus récents, l’État semblerait collaborer à un mouvement social, artistique et politique de réappropriation des identités noires distinct des expériences passées.

L’émergence de l’art écologique au sein des institutions françaises
Benjamin Arnault

L’art écologique se développe aux États-Unis depuis plusieurs décennies. Ces dernières années, les œuvres des pionniers nord-américains sont plus exposées par les institutions françaises. Quelques expositions collectives consacrées à l’art écologique voient le jour. Ce phénomène nous interroge quant à la relation de l’art écologique avec les institutions françaises. Quelles sont les limites à l’institutionnalisation de cet art en France ?

De l’espace de résistance au lieu de l’institution : l’histoire d’Autograph ABP de 1988 à 2007
Taous R. Dahmani

Le récit proposé dans cet article est celui de la nécessaire, mais paradoxale, institutionnalisation d’un engagement photographique et politique. Autograph ABP s’évertue depuis sa création à la fin des années 1980, à porter les noms des auteurs-photographes issus des diasporas caribéenne, africaine et indienne en Angleterre. Au fil des années il permettra de reconnaître, légitimer et diffuser les pratiques individuelles de photographes dits Black British. Idée utopiste, puis projet politique et enfin institution hybride, Autograph ABP se présente tour à tour comme un collectif, une association, une agence, une archive, une bibliothèque, un centre de recherches, une maison d’édition et un lieu d’expositions. Faire le récit d’Autograph ABP c’est raconter son évolution, celle d’un espace militant devenu institution culturelle, après avoir été un artist-run space.

Vers un « nouvel irréalisme ». Une exposition situationniste entre néo-avant-garde et critique institutionnelle  
Tobias Ertl

Lorsque, au début des années 1960, les Nouveaux Réalistes ont introduit des pratiques participatives et ludiques dans l’institution de l’art, l’Internationale Situationniste (I.S.) – estimant qu’il s’agissait d’une exploitation de leurs propres idées révolutionnaires au profit de l’industrie culturelle et du spectacle capitaliste – a réagi en propageant un « nouvel irréalisme ». L’article examine comment une exposition organisée en 1963 par l’I.S. à Odense, au Danemark, répond de manière critique aux Nouveaux Réalistes. En situant l’exposition dans l’histoire conflictuelle du groupe entre l’art et la politique, il sera soutenu qu’en identifiant les apories des tentatives néo-avant-gardistes de surmonter l’institution de l’art bourgeoise, l’I.S. se tourne vers des stratégies artistiques qui anticipent le conceptualisme de la critique institutionnelle.

How not to modify alterity? Contemporary art and indigenous status  
Philippe Le Guern

Observing the reciprocal curiosity that contemporary art and the most current anthropology seem to share, this paper attempts to analyse the reasons, the scope and the stakes of this ethnographic turning point in art and, simultaneously, of the artistic turning point in anthropology. It shows that, in the constitution of this singular dialogical space, questions as essential as those concerning the formation of aesthetic conventions and their socially constructed nature, the social and political scope of the creative gesture, and the relationship between practice and reflexivity are raised. Ultimately, is it not the classic tension between relativism and universalism that is played out in this mutual attraction?

About theorization and anti-theorization in music: system, excess and self-analysis
Frederico Lyra

In this essay we will analyse the theoretical gesture of the composer François Nicolas in the light of the diagnosis made by the musicologist Nicolas Donin about the growing tendency towards anti-theorisation in music. On the one hand, Nicolas proposes a systematic and excessive theory of music. On the other hand, Donin shows that current trends are more towards what he calls self-analysis. We will examine the anachronistic gesture of the one, in the face of the contemporaneity of the other, in a situation of crisis shared differently by the two authors. In the end, we will rely on Theodor W. Adorno’s thought, not in order to propose a synthesis, but rather, following the Adornian critical approach, to try to articulate the tension between these two poles

Institution and sédition: parody at the heart of the Centre d’Art Contemporain of Angoulême
Garance Poupon-Joyeux 

The contemporary arts centers emerge in France in the 1970’s and promote themselves as  an alternative to the institutions due to their openness to artistic experiments. However, nearly fifty years later, this model seems to be institutionalized as well. This article aims to question this institutionalization by taking the example of the Centre d’Art Contemporain d’Angoulême, an inflatable white cube which parodies, at all levels, these “new” institutions.

Contemporary art at the Bibliothèque nationale de France: collections, goals and visibilities 
Isabelle Le Pape

The origins of the  Bibliothèque nationale de France, French national Library, can be traced back to the royal library, founded at the Louvre by Charles V in 1368, before the majority of significant museums in the world were opened during the 18th century. The National Library of France is a public institution whose missions include constituting collections, the conservation of these collections, and making them available to the public through mediation, digitization and exhibitions. But does the BnF have the adequate organization in place to do so, compared to other artistic institutions, who seem more appropriate for such purposes?

The artist’s institutional and commemorative gesture. Pedro Cabrita Reis at the Gulbenkian Museum (Lisbonne) and at the Serralves Museum (Porto)
Laura Castro

This paper seeks to analyze and problematize the invitation and the complicity between Pedro Cabrita Reis (Lisbon, 1956), one of the most recognized Portuguese artists of contemporary times, and two Portuguese museums, the Modern Art Center of the Calouste Foundation Gulbenkian, in Lisbon, and the National Museum of Contemporary Art of the Serralves Foundation, in Porto. The invitations, which took place within the framework of the 50th anniversary and the 20th anniversary of the two institutions, reveal the institutional and commemorative uses of contemporary art.

Museum’s creation and contemporary architecture: a sociological point of view
Matteo Stagnoli

The paper draws an analysis of the evolution of the role of contemporary architecture in the creation of artistic institutions in recent years in Europe, through the architectural and sociological reading of three main cases, the Pompidou Center of 1977, the MAXXI of 2010 and the Museum des 20. Jahrhunderts in Berlin. In this frame, the notion of Landmark will be presented as the role that the creation of an institution must play in the urban space.

The Brazilian state in the institutional valorization of Black and Afro-descendant art
Vivian Braga dos Santos

In the 21st century, the Brazilian government participates in actions to promote Black and Afro-descendant art in national institutions, financing the organization of exhibitions and the production of artworks about these themes. In order to do so, the alliance between the public and the private sector is essential. It goes back to the history of art and the tensions of the 20th century between an apparent institutional democratization and the regulation of the black presence in art. Nevertheless, in more recent cultural investments, the State would appear to be collaborating in a social, artistic and political movement to reclaim black identities distinct from past experiences.

The emergence of ecological art in french institutions
Benjamin Arnault

Ecological art has been developing in the United States for several decades. In recent years, the works of the north american pioneers tend to be more exhibited by french institutions. A few collective exhibitions dedicated to ecological art are emerging. This phenomenon raises questions about the relationship between ecological art and french institutions. What is limiting the institutionalization of this art in France ?

From a space of resistance, to the institution’s place: the history of Autograph ABP, between 1988 and 2007
Taous R. Dahmani

The story proposed in this article is that of the necessary, but paradoxical, institutionalization of a photographic and political commitment. Autograph ABP has strived since its creation in the late 1980s to put forward the names of photographers from the Caribbean, African and Indian diasporas in England. Over the years, it was to recognize, legitimize and disseminate the individual practices of so-called Black British photographers. Utopian idea, then political project and finally hybrid institution, Autograph ABP could be seen, successively, as a collective, an association, an agency, an archive, a library, a research center, a publishing house and a place of exhibitions. To tell the story of Autograph ABP is to explain its evolution, that of an activist space that became a cultural institution, after having been an artist-run space.

Towards a “New Unrealism”; A Situationist Exhibition Between Neo-Avant-Garde and Institutional Critique
Tobias Ertl

When in the early 1960s the Nouveaux Réalistes successfully introduced participatory and ludic practices into the art institution, the Situationist International (S.I.)—believing this to be an exploitation of their own revolutionary ideas for the sake of the culture industry and capitalist spectacle—responded by propagating a “new unrealism”. This article examines a 1963 exhibition by the S.I. in Odense, Denmark as a critical reaction to the Nouveaux Réalistes. Situating the exhibition in the conflict-laden history of the group between art and politics, it will be argued that in identifying the aporias of neo-avant-garde attempts to overcome the bourgeois art institution, the S.I. turns to artistic strategies that anticipate the conceptualism of institutional critique.

Éditorial

Le mot institution désigne, selon l’une des définitions les plus courantes, un « organisme public ou privé, régime légal ou social, établi pour répondre à quelque besoin déterminé d’une société donnée ». Cette définition suscite des images stéréotypées : bâtiments officiels, bureaux, fonctionnaires, textes réglementaires… Ces images s’étendent aux institutions artistiques, couramment associées à des lieux emblématiques – musées, théâtres, académies… –, ainsi qu’à des instances de subvention, de transmission ou de patrimonialisation de l’art. L’institution est parfois vue comme un pur instrument de contrainte normative, lieu de « récupération » voire de répression, opposée caricaturalement à la liberté, à la spontanéité ou à la subversion de l’art. La doxa ajoute parfois que les artistes se battent contre elles avant de les intégrer : signe d’une reconnaissance bien méritée ou de la pire des compromissions.

Au-delà de ces images, il faut bien pourtant poser la question de la place des institutions dans le fonctionnement de l’art. Est-il d’ailleurs possible d’envisager un monde de l’art qui n’en connaîtrait pas ? La sociologie et l’histoire sociale de l’art ont pourtant bien montré à quel point les artistes et leurs œuvres s’inscrivaient toujours dans des réseaux d’institutions variés et changeants (y compris les avant-gardes et les mouvements a priori les plus hostiles à l’idée même d’institution). De fait, alors qu’elles étaient encore relativement rares il y a un demi-siècle, les institutions de l’art contemporain se sont démultipliées au cours des dernières décennies : des centres d’art aux biennales en passant par les programmes de résidence, de bourses, les écoles, les fondations, les lieux associatifs etc. (phénomène accentué par la mondialisation de l’art contemporain, au-delà de ses centres traditionnels).

Puisqu’il s’agit de répondre à un besoin déterminé d’une société donnée, les institutions sont amenées à évoluer en permanence et celles des années 2010 ne sont pas celles des années 1960 ou 1980… L’essor des salons ou des galeries commerciales a correspondu à des évolutions dans les pratiques sociales ; la création de musées, de théâtres ou de festivals a parfois reflété une volonté de développer le tourisme dans telle ou telle région ; la création de nouvelles modalités d’enseignement est souvent venue d’une demande des artistes eux-mêmes… Des individus cherchent ainsi en permanence, en s’appuyant sur le monde politique, les acteurs économiques ou le secteur associatif, à créer de nouvelles institutions, au moment même où d’autres, faute de moyens, de volonté ou de participants, sont conduites à se transformer ou à disparaître.

Cette situation évoque un aspect central de la définition des institutions : le fait qu’elles relèvent de l’« action d’instituer ou d’établir ». Les gestes instituants peuvent ainsi avoir une dimension performative forte. Si tel musée ou centre d’art est inauguré, afin de promouvoir des formes extra-occidentales, la bande-dessinée ou des installations interactives, il est difficile de ne pas prendre en compte l’influence qui s’exerce alors sur l’espace social. Les objets présentés sont, de fait, transformés par leur présence au sein du dispositif institutionnel, de même que le regard que leur portent les critiques, les historiens de l’art ou le public.

Le but de ce numéro est d’explorer les relations entre la création artistique et les institutions. Comment celles-ci s’organisent-elles et à quoi servent-elles ? Quel rôle y jouent les artistes, les élus, le monde économique, le public ? Dans quelle mesure soutiennent-elles ou entravent-elles la production artistique, sa reconnaissance ou sa diffusion ? Toutes sont-elles comparables : entre les pays et au sein de chaque pays ?

Les premiers textes du numéro partent de situations concrètes d’instauration institutionnelle liées à l’évolution de la création artistique. Taous R. Dahmani raconte ainsi les transformations successives d’Autograph ABP, collectif visant à promouvoir les pratiques de photographes noirs britanniques. Il est ainsi tour à tour association, agence, archive, bibliothèque, centre de recherche, maison d’édition et lieu d’exposition. Son histoire témoigne ainsi du passage de l’espace militant, précaire, à l’institution culturelle au sens le plus classique qui soit, ce qui implique certaines réorientations et ne se fait pas forcément sans douleur. Le texte de Benjamin Arnault traite d’une situation semblable, mais qui est peut-être antérieure d’un point de vue logique : celle des artistes et groupes engagés dans la promotion d’un art écologique. Jusqu’à présent, ce genre de mouvance est encore en marge des institutions, tout en étant en passe de les intégrer, ce qui là aussi implique des transformations structurelles qui occasionneront sans doute quelques conflits.

La thématique de l’intégration institutionnelle est également au cœur du texte de Tobias Ertl, mais à travers la question de ses limites. La résistance vis-à-vis de toute compromission est en effet ce qui explique le refus de l’Internationale Situationniste d’intégrer la programmation du Stedelijk Museum d’Amsterdam et sa volonté de proposer à la place sa propre exposition : « Destruction of the RSG-6 » (1963). Tous les artistes n’ont pas eu la même position et quelques décennies plus tard la question se pose dans des termes différents, ainsi que le montre Laura Castro, à partir de l’exemple de la mise à profit de l’œuvre de Pedro Cabrita Reis par deux des principales institutions d’art contemporain au Portugal : le Centre d’Art Moderne de la Fondation Calouste Gulbenkian, à Lisbonne, et le Musée National d’Art Contemporain de la Fondation de Serralves, à Porto.

Les deux textes suivants inversent la perspective en essayant de se placer du point de vue d’institutions, confrontées à la nécessité de se transformer pour mieux prendre en compte l’évolution de la création artistique. L’article de Vivian Braga dos Santos s’interroge ainsi sur les actions de valorisation du Noir et de l’art afro-descendant dans les institutions brésiliennes, lesquelles financent l’organisation d’expositions et la production d’œuvres sur ces thématiques. Le texte de Matteo Stagnoli esquisse, quant à lui, une analyse de l’évolution du rôle assigné à l’architecture contemporaine dans l’adaptation des institutions artistiques aux transformations de la création, au cours des dernières années en Europe, à travers trois exemples : le Centre Pompidou, le MAXXI et le projet du Museum des 20. Jahrhunderts à Berlin.

Nous complétons ce dossier par deux témoignages emblématiques des liens concrets entre art contemporain et institutions. Le premier, dû à Isabelle Le Pape, cheffe du service Art à la Bibliothèque nationale de France, livre le point de vue de cette institution, alors que le second, de Garance Poupon-Joyeux, livre celui des artistes. D’un côté, il y a la volonté clairement affichée d’ouvrir un lieu patrimonial à la création contemporaine et de l’autre l’ambition artistique de créer sa propre institution et donc de résister malgré tout à l’emprise des structures déjà instituées.

Deux textes figurent en varia dans ce numéro. Le premier constitue la deuxième partie de l’article que Philippe Le Guern avait proposé dans le numéro 32 de Marges ; le second, de Frederico Lyra, traite de la question de la théorisation dans le champ de la musique savante.

Un portfolio dû à Gregory Buchert, ainsi que quelques comptes rendus, complètent le numéro.

 

Jérôme Glicenstein  
Octobre 2021

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Revue Marges. revue d'art contemporain
Nombre de pages : 192
Langue : français
Paru le : 21/10/2021
EAN : 9782379241666
Première
CLIL : 3675 Revues sur l’art
Illustration(s) : Oui
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
Version papier
EAN : 9782379241666

Version numérique
EAN : 9782379241673

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