Presses Universitaires de Vincennes

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Revue Extrême-Orient - Extrême-Occident
Nombre de pages : 266
Paru le : 17/01/2019
EAN : 9782842929886
Première édition
CLIL : 4036 Asie
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
Version papier
EAN : 9782842929886

Version numérique
EAN : 9782842929893

Récits de rêves en Asie orientale

N°42/2018

Quel rôle joue l’image onirique, le récit de rêve, au sein d’un poème, d’une pièce de théâtre, d’un roman ? Quelle langue parle les rêves ? En Asie orientale, les rêves font beaucoup de choses à l’écriture.

Le rêve fut raconté pour sa seule beauté, pour son fantastique, pour son mélancolique, voire pour son comique extravagant. Il le fut aussi parce qu’il fut, de plus en plus, soupçonné de porter les désirs du rêveur (ou de la rêveuse), plutôt qu’un message ou une signification venue des dieux, des morts, de tout un monde lointain. A mesure qu’il devient plus familier, il semble devenir aussi, paradoxalement, plus étrange. Il pourrait bien n’exister que pour lui-même.
Pour évoquer ces traits, les auteurs des cultures d’Asie orientale ont multiplié les moyens de décrire le rêve, d’évoquer ses impressions, de traduire ses émotions les plus intimes, bref de mettre le rêve par écrit.

Publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) – Laboratoire Centre de recherche sur les civilisations de l’Asie Orientale (CRCAO), UMR 8155 et de l’équipe ASIEs (EA 4512) de l’Inalco.


Le récit de rêve en Asie orientale : langues et genres
Vincent Durand-Dastès et Rainier Lanselle

 

I. Le récit de rêve entre vision et divination – Dream Narratives, Between Vision and Divination

Divining Political Legitimacy in a Late Ming Dream Encyclopedia
Dire la légitimité politique selon une encyclopédie oniromantique de la fin des Ming
Brigid E.Vance

Dreaming about the Dead in Premodern Korea (17th – 19th ct.)
Rêver des morts dans la Corée prémoderne (XVIIe-XIXe siècles)
Marion Eggert

Rêve et vision dans la littérature japonaise classique : notes pour la lecture du Dit du Genji
Dreams and Visions in Classical Japanese Literature: A Reading of the Tale of Genji
Araki
Hiroshi (traduit et adapté par Arthur Mitteau)

 II. Poétique du rêveur lettré – Poetics of the Dreaming Literati

Composé en rêve…Émergence et valeurs d’un motif poétique du début de la dynastie des Song à la pratique de Su Shi (1037-1101)
Written while Dreaming: an Inquiry into the Appearance and Meaning of a Poetic Motif, from the Beginning of Song Dynasty to its Use by Su Shi (1037-1101)
Stéphane Feuillas

The Dream of the “Talented Man”: Dream Allusions in Qing Poet Li E’s (1692–1752) Youxian Poetry
Le rêve de l’ « Homme de talent » : les allusions oniriques dans les poèmes Youxian de Li E (1692-1752)
Wang Yanning

 

 III. Rêve et fiction chinoises : une « autre scène » de la subjectivité – Dreams and Chinese fiction : an « other stage » of subjectivity

Sommeil du juste et du scélérat: les usages narratifs du rêve dans un roman fleuve chinois du XVIIe siècle.
Sleep of Heroes and Villains: Narrative Functions of Dreams in a 17th Century Full-length Novel
Vincent Durand-Dastès

Disguised Subjectivity in Two Chinese Fictional Dream Narratives of the Qing
Subjectivité voilée dans deux récits oniriques de fiction des Qing
Aude Lucas

This Fearful Object of Desire: About the Interpretation of a Bad Dream in Wang Shifu’s Story of the Western Wing
Ce terrifiant objet du désir: à propos de l’interprétation d’un mauvais rêve dans Le Pavillon de l’Ouest de Wang Shifu
Rainier Lanselle

IV. Regard extérieur

Christianisme, interprétation et écriture. Quelques réflexions sur l’histoire occidentale des rêves.
Christianity, Interpretation and Writing: Reflections on the Western History of Dreams
Jacqueline Carroy
 

 

 

Résumés
Abstracts
提要
Contributeurs
Bio-bibliographical Notes

Araki Hiroshi (traduit et adapté du japonais par Arthur Mitteau)
Rêve et vision dans la littérature japonaise classique : notes pour la lecture 
du Roman du Genji

Au Japon, le terme mu/yume 夢 recouvre un espace conceptuel large. Il englobe en effet aussi bien les « rêves » que les « visions », notions qui sont nettement distinguées dans nombre d’aires culturelles et linguistiques. Dans l’Antiquité, le rêve, en tant que canal par lequel les dieux ou les bouddhas pouvaient faire connaître leurs volontés, possédait une forme d’extériorité par rapport à l’humain. Le présent article étudie la figure de l’apparition du défunt père du prince Genji dans le Roman du Genji via une analyse comparatiste du Hamlet de Shakespeare. À l’issue de cette comparaison, on peut voir à quel point le Roman du Genji fait un usage très maîtrisé de l’ambiguïté entre rêve, vision et apparition dans la culture ancienne.


Vincent Durand-Dastès
Sommeil du juste et du scélérat : les usages narratifs du rêve dans un roman fleuve chinois du XVIIe siècle

Après avoir recensé tous les épisodes oniriques qui ponctuent le récit de Chan zhen yishi ءI‮/‬u‮٦‬h٪v (années 1620) et montré par quels procédés rhétoriques son auteur insère les rêves dans le roman, l’article s’attache à l’analyse de trois songes qui jouent un rôle particulièrement important dans sa structure narrative. Si ces rêves sont d’abord interprétés par les protagonistes en fonction du savoir mantique de l’époque, ce sont des éléments non immédiatement décryptables par celui-ci qui auront les plus importantes conséquences sur la structure du récit tout entier. Sans renier la vulgate oniromantique de son temps, l’auteur du roman se montre capable de dépasser celle-ci pour ouvrir l’espace onirique à des explorations religieuses et psychologiques inédites.


Marion Eggert
Rêver des morts dans la Corée prémoderne (XVIIe-XIXe siècles)

Les récits de rêves au sujet de défunts aimés que l’on rencontre dans les oraisons funéraires chemun composées entre approximativement 1600 et 1820 sont ici mis à profit pour appréhender la façon dont les lettrés de l’époque Chosŏn faisaient face aux épreuves du deuil. On peut y relever maints points de comparaison avec ce que nous ont appris les études psychologiques occidentales contemporaines sur les rencontres oniriques avec les défunts. Cette comparaison nous montre que les lettrés de Chosŏn concevaient les relations interpersonnelles, et, au delà, la subjectivité, d’une manière qui ne se prête guère à une juxtaposition dichotomique avec la conception occidentale moderne de l’individualité.


Stéphane Feuillas
Composé en rêve… Enquête sur l’émergence et valeurs d’un motif poétique 
du début de la dynastie des Song à la pratique de Su Shi (1037-1101)

Dès le début de la dynastie des Song du Nord (960-1129) apparaissent des poèmes sobrement intitulés « composé en rêve » (meng zhong zuo ‮٩‬غ‮$$’‬@). Le plus souvent, ils se présentent non comme la réécriture d’un rêve mais comme une création poétique dont rarement plus d’un seul vers est directement issu d’une parole surgie lors d’un rêve effectif. La présente enquête entend se consacrer à l’émergence de ce motif poétique depuis la dynastie des Song jusqu’à la pratique plus constante par Su Shi ؤ،‮٨}‬ (1037-1101), dont plus d’une vingtaine de pièces portent ce titre. Sont ainsi étudiés quelques poèmes significatifs, du premier répertorié de Diao Kan ‮$‬Nذ‮+‬ (954-1013) à ceux d’Ouyang Xiu ‮<‬غ‮٦’-‬ط (1007-1072) ou de Mei Yaochen ‮١‬ە‮٣‬پ‮&‬غ (1002-1060), avant d’analyser la reprise de ce motif par Su Shi. Il s’agit de s’interroger essentiellement sur la mise en espace poétique du rêve : la fabrique de ce qu’on pourrait appeler l’« écrin poétique » de la parole onirique, la mise en scène des effets d’étrangeté et du statut du rêveur, aussi bien que des thèmes privilégiés dans les poèmes portant ce titre.


Rainier Lanselle
Ce terrifiant objet du désir : à propos de l’interprétation d’un mauvais rêve 
dans Le Pavillon de l’Ouest de Wang Shifu

Le rêve de Zhang Sheng, à la fin du quatrième livre du zaju des Yuan Le Pavillon de l’ouest (Xixiang ji), de Wang Shifu, est rarement étudié. Il concentre pourtant des informations essentielles sur le rapport du héros et de l’héroïne et ses contradictions, dans ce qui constitue la référence cardinale de l’imaginaire amoureux à l’époque prémoderne, dans les derniers siècles de l’empire. Cette scène de rêve est le fruit de toute une histoire textuelle, et exercera une influence durable sur d’autres textes. L’interprétation qu’en fait Jin Shengtan, qui peut se déceler à travers son édition de la pièce, au xviie siècle, est parfaitement compatible avec une lecture moderne telle qu’on peut la faire à partir de Jacques Lacan, avec sa théorie du désir, du sujet et de l’Autre.


Aude Lucas
Subjectivité voilée dans deux récits oniriques chinois de fiction des Qing

Cet article tente d’explorer l’expression de la subjectivité émergente dans deux récits courts des Qing : tandis qu’ils usent de schémas classiques, ils révèlent aussi des éléments de l’intériorité des rêveurs. L’analyse montre que, loin d’être nettement délimitée, l’émergence de la subjectivité s’est révélée être – selon un processus non linéaire – une écriture « pré-moderne ». Cette expression déguisée de la subjectivité témoigne d’un réinvestissement créatif dans la littérature classique, alors que celle-ci approchait des premiers temps de la modernité.



Brigid E. Vance
Dire la légitimité politique selon une encyclopédie oniromantique de la fin des Ming

L’article explore la relation entre les rêves et la légitimité politique à travers le prisme de l’encyclopédie des rêves Ming, Meng zhan yi zhi. Il montre comment un des modes d’affirmation de leur légitimité par les dirigeants fut la constitution d’archives écrites de rêves interprétés dans le sens désiré. Les interprètes de ces rêves utilisaient des techniques variées d’interprétation – le symbolisme, les résonances homophoniques et la glyphomancie – pour accorder la légitimité ou, à l’inverse, dénoncer la déloyauté. Les interprétations de rêves étaient au cœur d’une compréhension partagée du passé, d’un présent encore en train de se dérouler, et du futur. L’interprète de rêve, en aidant à lier la réalité symbolique à la réalité politique, exerçait de ce fait un pouvoir politique considérable.


Wang Yanning
Le rêve de l’« Homme de talent » : les allusions oniriques dans les poèmes Youxian 
de Li E (1692-1752)

Le genre poétique chinois youxian (« en errant comme un immortel ») permettait aux auteurs de donner libre cours à leurs fantaisies sur l’autre monde. Ils y faisaient montre de toute leur érudition en recomposant à leur gré le riche matériau issu des textes littéraires et religieux du passé. En prenant l’exemple de Li E (1692-1752), une des figures majeures de la poésie des Qing qui n’écrivit pas moins de trois cents poèmes youxian, cet article montre comment les allusions aux rêves aidèrent le poète à donner un tour plus personnel à son expression au sein de ce genre aux conventions strictement définies. On montre que l’étude des allusions oniriques contenues dans la poésie youxian de Li E, en dépit du ton souvent obscur et chantourné qui la caractérise, peut nous permettre de mieux la comprendre, et tout particulièrement comment le poète s’emploie à s’y définir littérairement en tant qu’homme au talent exceptionnel.

Araki Hiroshi (traduit et adapté du japonais par Arthur Mitteau)
Dreams and Visions in Classical Japanese Literature: A Reading of the Tale of Genji

In Japan, the word mu/yume 夢 covers a broad conceptual space. It encompasses notions such as “dream” or “vision,” which are rather distinct in many cultural and linguistic areas. For instance, in ancient Japan, dreams were perceived as a path the gods or the buddhas could take in order to make their wills known to humans, and as such they had a form of exteriority. The present article analyzes the apparitions of the deceased Emperor, father of the Prince Genji, in the Tale of Genji. By comparing them to those of Hamlet’s father’s spirit in Shakespeare’s tragedy, we can highlight how the narrative structure of the Tale of Genji makes expert use of the potentialities of ancient Japan’s conception of dreams.


Vincent Durand-Dastès
The Sleep of Heroes and Villains: Narrative Functions of Dreams in a 17th Century Full-length Novel

After listing all the dream sequences, long or short, found in a 1620s novel, Chan zhen yishiءI‮/‬u‮٦‬h٪v, and showing which rhetorical tools its author uses to open and close these literary dreams, the paper focuses on the study of three dreams that play an important part in the narrative’s structure. Though these dreams were initially interpreted by other protagonists according to the oneiromantic knowledge of the time, it is the elements that these initial readings overlooked that would have a greater effect on the later developments of the tale. Without contesting the value of the divinatory knowledge of dreams, the novelist thus proves himself capable of undertaking original explorations, religious and psychological, in the world of late imperial Chinese dreams.


Marion Eggert
Dreaming about the Dead in Premodern Korea (17th-19th Century)

Dreams about deceased loved ones as narrated in funerary orations (chemun) written roughly between 1600 and 1820 are used to study the Chosŏn literati’s way of dealing with bereavement. Close parallels could be found with the results of contemporary Western psychological studies on dreams about the dead. These findings suggest that the Chosŏn literati conceptualized interpersonal relationships and, ultimately, subjectivity in ways that do not lend themselves to dichotomic juxtapositions with (modern) Western individuality.


Stéphane Feuillas
Written while Dreaming: An Inquiry into the Appearance and Meaning of a Poetic Motif, from the Beginning of Song Dynasty to its Use by Su Shi (1037-1101)

From the beginning of the Northern Song Dynasty (960-1129), poems soberly titled “composed in dream” (meng zhong zuo‭ ‬‮٩‬غ‮$$’‬@) start to appear. Most often, they present themselves not as a rewriting of a dream but as a poetic creation of which rarely more than one verse is directly derived from a word that arises during an effective dream. The present inquiry intends to devote itself to the emergence of this poetic motif from the beginning of the Song Dynasty to the more constant practice by Su Shi ؤ،‮٨}‬ (1037-1101), of which more than twenty pieces bear this title. Thus, some significant poems are studied, from the first listed by Diao Kan ‮$‬Nذ‮+‬ (954-1013) to those of Ouyang Xiu ‮<‬غ‮٦’-‬ط (1007-1072) or Mei Yaochen ‮١‬ە‮٣‬پ‮&‬غ (1002-1060) before analyzing the way Su Shi uses this motif and transforms it. It is, therefore, a matter of questioning the issue of the poetic space of the dream, of the fabrication of what might be called a “poetic setting” for the dreamlike word, of the staging of strangeness and the status of the dreamer as well as the themes emphasized in the poems bearing this title.


Rainier Lanselle
This Fearful Object of Desire: On the Interpretation of a Bad Dream in Wang Shifu’s Story of the Western Wing

Zhang Sheng’s dream at the end of the fourth book of the celebrated zaju of the Yuan period—The Story of the Western Wing (Xixiang ji) by Wang Shifu—has attracted little attention. Yet it is of central importance as it involves essential information concerning the relationship between the two main characters of the story and their contradictions. This is highly consequential, as the Xixiang ji features at the core of the Chinese imaginary of love during the whole premodern period. This particular dream scene inherits from a long lineage of textual tradition, and in turn has had a lasting influence on other texts. The interpretation of this dream by Jin Shengtan, which we can infer through his own edition of the play in the 17th century, is highly compatible with a modern approach, as could be drawn from Jacques Lacan’s theory of desire, the subject, and the Other.


Aude Lucas
Disguised Subjectivity in Two Chinese Fictional Dream Narratives of the Qing

This article is an attempt to explore the emergence of subjectivity in two Qing classical short stories: while using classical patterns, they also reveal elements about the dreamers’ psychological states. The analysis shows that far from being clear-cut, the emergence of subjectivity was a non-linear process—a “premodern” way of writing. This disguised way of expressing subjectivity conveyed a renewed creative investment at a time when classical literature almost reached the edge of modernity.


Brigid E. Vance
Divining Political Legitimacy in a Late Ming Dream Encyclopedia

This paper explores the relationship between dreams and political legitimacy through the lens of the late Ming dream encyclopedia Guidelines for Dreams and Dream Divination (Meng zhan yi zhi). It argues that one way in which rulers communicated their legitimacy was through dreams, interpreted accordingly and documented in textual records. Dream interpreters used multiple modes of dream interpretation techniques—symbolism, homophonic resonances, and glyphomancy—to grant legitimacy and expose disloyalty. Dream interpretations were central to a shared understanding of the past, the then-unfolding present, and the future. The dream interpreter helped bind symbolic reality to political reality and as such wielded considerable political power.


Wang Yanning
The Dream of the “Talented Man”: Dream Allusions in Qing Poet Li E’s (1692-1752) Youxian Poetry
In the Chinese poetic genre of youxian (roaming as a transcendent) which excels at fantasizing the other world, writers strive to demonstrate their erudition by refashioning the existing materials from the treasure-trove of Chinese literary and religious texts. By focusing on the case of Li E (1692–1752), a leading Qing poet who wrote as many as three hundred youxian poems, this article explores how dream allusions help personalize the poet’s self-expression in such a conventional genre. It argues that despite the intricate and often obscure content of his youxian poems, studying Li’s use of dream allusions can sharpen our understanding of his poems, especially his literary constructions of an extraordinarily talented man.



Le récit de rêve en Asie orientale : langues et genres

Vincent Durand-Dastès et Rainier Lanselle

Le récit de rêve en Asie orientale, c’est d’abord une éblouissante tradition mantique. Les songes marqueurs du destin, déjà enchâssés dans la littérature historiographique chinoise de l’Antiquité pré-impériale 1, fournirent au fil des siècles la matière de maints recueils spécialisés, depuis les listes laconiques expliquant le sens des figures rencontrées en rêve jusqu’aux véritables sommes oniromantiques rassemblant, organisant et commentant les centaines de rêves glanés dans les sources écrites 2. La « Clef des rêves du Duc de Zhou » (Zhougong jiemeng), un apocryphe sans cesse réédité jusqu’à nos jours 3, compte sans doute parmi les clefs des songes les plus diffusées de l’histoire.

Les métaphores des textes taoïstes anciens, au premier rang desquels le Zhuangzi, firent du rêve une figure clef du discours sur la relativité de l’expérience sensible ; le bouddhisme introduisit et entretint à son tour un riche discours sur les songes 4 ; enfin, par une sorte de variation confucéenne sur un thème taoïste, bien des penseurs lettrés se demandèrent si le fait même de rêver était compatible avec les progrès apportés par la culture de soi, comme en témoigne la curieuse formulation selon laquelle « Le saint ne rêve pas 5 ». Métaphores de l’existence, indices de l’avenir, les rêves furent aussi lus comme des symptômes par les traités de médecine chinoise. Les maîtres de rituels exorcistes surent y relever la trace des démons à la poursuite desquels ils s’étaient lancés 6.

Mais ce ne sont pas de ces « rêves savants » que nous avons choisi de nous occuper à travers cette livraison d’Extrême-Orient Extrême-Occident consacrée au sujet. Bien des études leur ont été dédiées, dont on trouvera les références dans la bibliographie de cette introduction. Notre perspective sera avant tout, même si non exclusivement, littéraire 7. Quels sont les traits rhétoriques du récit de rêve en Asie orientale ? Quel rôle jouent l’image onirique, le récit de rêve, au sein d’un poème, d’une anecdote ou d’un conte classique, d’une pièce de théâtre ou d’un roman long aux maints rebondissements ? Quels rôles, également, jouent les usages langagiers qui servent de support à ces récits ? Quelle langue, autrement dit, parlent les rêves ?

La vie est un songe : les rêves dans la littérature de récit

Si on les recherche dans les recueils rassemblant les œuvres complètes d’un lettré, on rencontrera en abondance des pièces classiques brèves répondant à des titres tels que « mémoire d’un rêve » (jimeng), « notes sur un rêve » (jimeng), « récit d’un rêve » (shumeng), qu’il s’agisse de brèves notes en prose ou de poèmes. Mais les récits de rêve de la littérature ne prennent tout leur sens que lorsqu’ils s’enchaînent à de plus grands récits, ou s’y insèrent. C’est à ce type de texte que la plupart des études de ce numéro vont s’attacher.

Les premiers textes combinant récits de rêve et ampleur narrative conséquente apparaissent vers le ixe siècle avec la naissance de la nouvelle en prose classique chuanqi. Trois textes de ce nouveau genre sont restés célèbres pour avoir illustré le motif de « la vie est un songe ». Il s’agit du « Rêve du millet jaune » (titre original Zhen zhong ji, « Mémoire de l’intérieur d’un oreiller »), de la « Biographie du gouverneur de Nanke » (Nanke taishou zhuan), et de Yingtao qingyi « La Servante Cerise ». Beaucoup plus tard, Pu Songling (1640-1715), Yuan Mei (1716-1798) 8 et Ji Yun (1724-1805), les derniers maîtres de ce genre dans son dernier avatar, feront également une large place aux rêves.

À leur époque toutefois, la langue classique n’est plus seule à porter le récit de rêve : romans et pièces, parfois courtes mais aussi souvent très longues, ont fait leur apparition et occupent une part importante de la scène littéraire depuis la dynastie des Yuan. Ces genres nouveaux eurent tôt fait de réinvestir le thème de la vie comme songe, le redéployant à une échelle encore inédite.

À l’âge du roman en langue vulgaire (tongsu xiaoshuo), le mot de « rêve » apparaît bien souvent dans les titres des œuvres : si la plupart des romans sont en effet qualifiés de ji (notes, mémoires), zhuan (biographies, traditions) ou yanyi, « développement et explication du sens de… », un nombre significatif de titres de récits en langue vulgaire s’achèvent par le mot de « rêve », donnant à celui-ci une valeur quasi générique. Ce faisant, on suggère au lecteur que le monde dans lequel il va pénétrer en tournant les pages aura la fluidité et la fragilité d’un paysage onirique, comme si le modèle de « la vie est un songe » devenait un cas particulier du récit romanesque, voire pouvait être assimilé au genre dans son entier. L’exemple le plus connu est bien sûr « Le Rêve du pavillon rouge » (Honglou meng), mais de nombreuses autres œuvres parues entre les xviie et xixe siècles affichent elles aussi dans leur titre même la couleur de l’expérience rêvée. Si l’on trouve dans ces « romans en forme de rêve » une prédominance d’histoires d’amours ou tout au moins de romans de mœurs, d’autres évoquent le destin de personnages historiques controversés, dont la grandeur et la chute ont laissé dans l’histoire comme le souvenir d’un rêve ou… d’un cauchemar.

Rêver en langue vulgaire

Si le récit en langue vulgaire chinois s’inscrit de cette façon dans la tradition littéraire onirique classique, par d’autres aspects elle lui tourne résolument le dos : à l’opposé de la concision et de la parataxe, le récit en langue vulgaire, déployé, bavard et bruyant, inaugure un nouvel âge du récit de rêve littéraire. En un sens, le rêve devient plus explicite : l’identité des protagonistes est plus marquée, les enchaînements paraissent moins évanescents ; la temporalité du rêve, son surgissement, son déroulement, son évanouissement final, appellent de nouveaux procédés. Au théâtre, les scènes de rêve imposent aux comédiens qui les jouent une continuité dans le geste et la parole 9 qui contraignait beaucoup moins le protagoniste d’un récit classique.

En un sens, les rêves des récits en langue vulgaire des Ming et des Qing peuvent être rapprochés du récit de rêve occidental, ou tout au moins de ce que celui-ci deviendra à partir de l’âge romantique : bien des récits de rêve des Ming ou du début du Qing nous frappent par ce que l’on a envie d’appeler leur « modernité 10 ». Mais les procédés rhétoriques patiemment bâtis par le récit en langue classique ne s’évanouissent pas pour autant : la poésie, les allusions issues de la littérature classique demeurent présentes comme des incrustations au sein du récit en langue vulgaire et apportent à la littérature prémoderne l’héritage d’une culture onirique construite depuis l’Antiquité.

Randonnées à travers l’imaginaire des rêves

C’est à la traversée de certains des aspects de cette sensibilité est-asiatique que la collection d’articles présentée ici invite. En sollicitant des contributions pour ce numéro thématique, ses éditeurs ont en effet moins visé à documenter un savoir sur les rêves qu’un imaginaire des rêves, tel qu’il s’exprime à travers la littérature.

La frontière entre ce savoir et cet imaginaire est, au vrai, ténue. C’est pourquoi il nous a semblé qu’il fallait partir de ce qui n’avait jamais cessé de nourrir les thématiques littéraires, à savoir le rêve comme vision : vision non pas d’une scène vécue comme imaginaire, mais vécue comme en provenance d’un au-delà.

Brigid E. Vance ouvre le bal par une plongée dans ce qui est et reste une préoccupation majeure de la sphère officielle est-asiatique : la question de la légitimité politique, à laquelle le rêve ne saurait faire moins que de prêter ses visions. Ce sera la seule partie du recueil où il sera question des encyclopédies oniromantiques. Le rêveur est ici princier. Centré sur l’étude du Meng zhan yi zhi (« Sens général des rêves et de leur divination », compilé par Chen Shiyuan [1516-1595]), l’article montre toute la batterie d’arguments – de la glyphomancie 11 aux significations symboliques – mis en œuvres à différentes époques pour constituer de véritables archives oniriques ad usum Caesar 12.

Avec l’article de Marion Eggert, nous sommes conviés à une incursion en Corée, dans le monde des morts et des rêves à l’époque Chosŏn (xviiexixe siècles). Les récits de rêves que l’on trouve dans les chemun (jiwen en chinois), dans les oraisons funèbres, sont l’occasion d’un aperçu très intime de l’expression de la subjectivité, celui où s’exprime le rapport à la mort, au deuil, et plus généralement le rapport à l’Autre perdu, qu’il soit objet d’amour ou d’amitié.

Hiroshi Araki propose une étude centrée sur le grand roman classique japonais, le Genji monogatari, le « Roman du Genji ». Sa « note de lecture », richement référencée, étudie une notion qu’il emprunte à la peinture japonaise et chinoise anciennes, celle de fukidashi, ces « bulles » que l’on voit sortir de la tête des rêveurs pour figurer la scène qui leur apparaît dans leur état de sommeil. Cet angle d’attaque permet de poser une question latente chez nombre d’auteurs de toutes époques : qui est le vrai propriétaire du rêve ?

Le deuxième chapitre est dédié à deux formes de rapport entre le rêve et son effet dans l’expression poétique. Dans la première, Stéphane Feuillas nous emmène en compagnie de Su Shi et de ses (quasi-)contemporains, pour étudier l’émergence d’un motif, poétique, celui du mengzhong zuo, du « composé en rêve ». Cette manière d’écrire consiste à extraire une parole d’un rêve sous la forme d’un vers, lequel sert de point de départ à la composition de tout un poème. Association libre en somme, que l’auteur appelle joliment mise en « écrin poétique » de la parole onirique, où sont mis en scène ses effets d’étrangeté. Sous une forme poétique cette fois assumée, le sujet peut donner voix à son chagrin : c’est le cas par exemple du très beau poème composé par Mei Yaochen au sortir d’un rêve où il s’est promené au bord du fleuve avec sa femme morte quatre ans plus tôt. Avec Su Shi, le rêve devient une formule poétique servant à une défense assumée de l’illusion.

Yanning Wang centre son étude sur un genre particulier, celui des youxian shi, des « poésies de randonnées d’immortels », telles que pratiquées dans plus de trois cents œuvres par l’un des poètes majeurs des Qing, Li E. Le genre lui-même est très conventionnel, et c’est à travers des allusions permanentes à des états oniriques que l’auteur tout à la fois s’approprie le genre en le rendant plus personnel, et gagne une réputation publique d’esprit de finesse. Il ne fait plus beaucoup de doute que les rêves sont vus comme des formations personnelles, et le rêveur veut désormais des rêves qui servent ses désirs — dont celui d’atteindre l’immortalité, mais cette fois littéraire.

C’est à la psychanalyse qu’est empruntée la notion d’« autre scène » (der andere Schauplatz) qui sert de titre à la troisième partie du volume. Plutôt qu’un autre monde, celui des immortels, l’époque prémoderne fait le constat que le monde des rêves relèverait d’une étrangeté intérieure, avec sa dimension sexuelle. C’est ce qu’illustrent les trois derniers articles, centrés sur la littérature de récit, roman, conte et théâtre, allant des Yuan au milieu des Qing. Ces trois articles sont l’avatar d’un panel, qu’avait présidé Keith McMahon, présenté au congrès de l’Association for Asian Studies à Chicago en 2015, conjonction qui est à l’origine de cette livraison de la revue.

Vincent Durand-Dastès centre son analyse sur le Chan zhen yishi, « Histoires oubliées des maîtres de dhyāna et des parfaits », un roman de la fin des Ming. Les scènes oniriques y abondent, et on ne peut s’empêcher d’évoquer leur dimension de parodie. D’un côté, rien ne semble devoir faire davantage justice à la grande tradition oniromantique que bien des interprétations données des rêves des protagonistes ; mais d’un autre, tant de topoï, de lieux communs, par leur accumulation même, trahissent leur vraie destination : donner voix à un désir privé, qui se cache de manière souvent comique sous les oripeaux de la « tradition ». « L’originalité de nos récits », écrit Durand-Dastès, « consiste à mêler ces lieux communs divinatoires à des inventions tout à fait originales, où destinée et hasard se voient habilement mêlés. » Tel personnage, explique-t-il, fait un rêve de mariage avec une belle, « sans avoir consciemment espéré cette annonce heureuse […] : celle de son désir latent a suffi au dieu entremetteur. »

Avec Aude Lucas, l’analyse se concentre non sur une série de rêves, mais sur deux rêves seulement, tirés de la tradition tardive des contes ou « notes diverses » en langue classique. L’étude d’un récit particulièrement important de Pu Songling, l’« Histoire de Shi Qingxu », où le rêve prend son sens par rapport à toute une mise en abîme qui en forme le contexte, donne l’occasion à Lucas d’interroger un rapport, « moderne », du rêve à la réalité vécue, subjective, ce qu’elle fait en reprenant les notions lacaniennes d’imaginaire, de symbolique et de réel. Le conte est comme un apologue de la valeur du rêve dans la période prémoderne : tout comme le personnage fait un rêve dont il ignore complètement que le contenu est le sien propre, le rêveur, dans un monde où le surnaturel reflue, ne sait plus à qui attribuer ses visions.

Une vision mélancolique du rêve est celle qui s’exprime dans le songe qui vient conclure l’histoire des amours de Zhang Sheng et de Cui Yingying, dans la pièce le Xixiang ji (« Le Pavillon de l’ouest »), une œuvre datant des Yuan (ca 1300), mais dont le destin s’étend sur sept siècles d’histoire littéraire. Dans cet article, Rainier Lanselle entreprend l’analyse d’un seul et unique rêve, mais placé à un point stratégique. Il y est question du désir, certes, mais dans ce que le désir a comme fâcheuse tendance – nous dirions structurelle – à rater son objet – et le rêve dès lors à se perpétuer comme une énigme sans véritable réponse. Le rêve retourne ainsi à son insondable premier, cet objet des devins, cet « ombilic » dont Freud disait qu’on ne pouvait rien en dire. Lecture désenchantée du rêve qui étend son ombre mélancolique jusque sur le Rêve du pavillon rouge.

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Il ne restera plus au lecteur de bonne volonté qui nous aura suivi jusque-là de lire, pour finir, le passionnant contrepoint que donne Jacqueline Carroy 13, sur l’imaginaire et les littératures du rêve en Occident. En regardant de l’extérieur, depuis cet Occident marqué par la tradition chrétienne, ces rêves de l’autre bout du continent, elle nous fait mieux sentir ce que peut apporter cette autre volonté, en Chine, en Corée, au Japon, ailleurs, de donner voix au rêve à travers l’écrit. Pour la paraphraser, nous serons tentés de dire en concluant que si l’écriture fait quelque chose aux rêves, il est certain que les rêves font, en Asie orientale, beaucoup de choses à l’écriture.

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Revue Extrême-Orient - Extrême-Occident
Nombre de pages : 266
Paru le : 17/01/2019
EAN : 9782842929886
Première édition
CLIL : 4036 Asie
Illustration(s) : Non
Dimensions (Lxl) : 220×155 mm
Version papier
EAN : 9782842929886

Version numérique
EAN : 9782842929893

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