Presses Universitaires de Vincennes

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Collection Culture et Société
Nombre de pages : 350
Langue : français
Paru le : 04/10/2013
EAN : 9782842923655
Première édition
CLIL : 3643 Essais littéraires
Illustration(s) : Oui
Dimensions (Lxl) : 220×137 mm
Version papier
EAN : 9782842923655

L’impressionnisme littéraire

Analyse de la période impressionniste, en littérature comme en peinture, où comment les peintres influencent les auteurs, et réciproquement.

Depuis les années cinquante, il n’y a pas eu d’ouvrage publié en France qui soit consacré à la seule question de l’impressionnisme littéraire. Ce livre se veut le pionnier d’un champ d’études encore aujourd’hui relativement inexploré, tandis que les publications transatlantiques autour de la question de literary impressionnism sont assez nombreuses depuis le début du XXIe siècle.

L’approche choisie est volontairement éclectique et phénoménologique : l’époque impressionniste est au cœur de l’analyse. Ainsi les échanges artistiques entre peintres et écrivains constituent-ils une manière de saisir ce qui, au point de contact entre texte et image, permit la naissance de l’idée même d’impressionnisme littéraire. Du côté de la peinture, Manet et Degas ont la part belle, tandis que tous les genres littéraires de l’époque sont considérés, par le biais d’auteurs aussi différents que Zola, Mallarmé, les Goncourt, Verlaine, Bourget, Huysmans, Rimbaud et Daudet.

A propos de l’auteur : Virginie Pouzet-Duzer est professeur de littérature à Pomona College en Californie et s’intéresse particulièrement à l’esthétique et à la poétique des relations entre textes et images dans les avant-gardes. Elle a travaillé sur l’impressionnisme littéraire ainsi que sur le mythe de Salomé. Ses recherches les plus récentes ont trait à l’histoire littéraire, artistique et culturelle de la couleur jaune.

Auteur.ice.s : Pouzet-Duzer Virginie


Prélude

Partie I. Portrait des artistes en écrivains

Préambule autour du portrait d’écrivain

1876, ou l’impressionnisme entre Manet et Degas

 

Chapitre 1. Manet en précurseur

 

– Du café Tortoni au Café Guerbois

– Manet, « a jeune génértation » d’Astruc

– Manet, « la peau vraie » de Zola

– Manet, le « déplacé » de Mallarmé

 

Chapitre 2. Degas “au delà”

 

– Degas paradoxal : l’intransigeant « classique »

– Degas, le « peintre-écrivain » de Duranty

– Degas, le « néologiste » de Huysmans

– Degas, le « fugace ami » de Mallarmé

 

Partie II. Capturer l’insaisissable : La main et l’oeil

 Excursion lépidoptériste

 

Chapitre 1. La mainmise du style

 

– Du style en ses habits d’« isme »

– Naissance critique de l’impressionnisme littéraire

– « Alchimie du bleu » : de l’écriture artiste à l’impressionnisme littéraire

– Entre « écrivains d’idées » et « écrivains d’images » : perspectives romanesques

Ut pictura, poesis ?

– Le monologue intérieur, ou la musique de l’impressionnisme littéraire

 

Chapitre 2. Impression oeil lisant

 

– Entre la main et l’oeil : techniques

– La Tour Eiffel et l’impressionnisme : structures

– D’un oeil impressionniste : autour de Laforgue

– Cadres, perception, promenade : de Bourget à Simmel

– De Mallarmé à Van Gogh

 

Coda

Bibliographie

Index

Références iconographiques

 

 

 

À l’origine de ce livre, il y a un silence : pourquoi les manuels littéraires scolaires ne mentionnent-ils pas, entre naturalisme et symbolisme, cet impressionnisme littéraire qu’avaient analysé Ferdinand Brunetière et Gustave Lanson ?

Formule évidente qui pourtant fait obstacle aux approches critiques, l’impressionnisme littéraire ne peut se définir qu’à la fois et quasi simultanément dans son rapport à la peinture et selon sa facette stylistique. L’enjeu consiste alors à revenir à la question de Zeitgeist sans pour autant faire correspondre des toiles impressionnistes avec des passages de romans de la même époque. Faisant l’hypothèse que c’est à partir de ses marges et des créations d’Édouard Manet et d’ Edgar Degas que le courant impressionniste pictural se définit, Virginie Pouzet-Duzer montrera que le rapprochement des portraits que ces peintres firent de leurs amis écrivains et des textes critiques que ces derniers consacrèrent à leurs toiles, permet de mieux comprendre ce paradigme qu’est l’impressionnisme littéraire.

Afin de rendre compte, à travers les hésitations des artistes et les fluctuations continuelles du style impressionniste, de la fragmentation esthétique de toute une époque, cet essai propose des approches et des types de textes multiples, juxtapose des micro-lectures à des réflexions picturales et sociologiques et repense la dialectique de l’œil et de la main.

prélude

Le texte ne « commente » pas les images. Les images n’« illustrent » pas le texte : chacune a été seulement pour moi le départ d’une sorte de vacillement visuel analogue peut-être à cette perte de sens que le Zen appelle un satori ; texte et images, dans leurs entrelacs, veulent assurer la circulation, l’échange de ces signifiants : le corps, le visage, l’écriture, et y lire le recul des signes.

Roland Barthes1

C’est par une négation que tout débute. Nul auteur, nul poète, nul romancier ne saurait être dit impressionniste. Ou plutôt, lorsque l’on tente d’écrire sur l’impressionnisme littéraire, l’on devient d’autant moins capable de répondre à la question pourtant visiblement évidente de facilité pour celui qui la pose : « Mais qui serait donc l’impressionniste littéraire par excellence ? » Tout comme Socrate qui dans le Phèdre de Platon se désavoue pour donner plus de poids à son argument, cette palinodie initiale est voulue et rhétorique car il faut passer outre la négation, la nier presque pour avancer intellectuellement. Aucun homme de plume contemporain des artistes impressionnistes ne peut être dit impressionniste stricto sensu. Mais les peintres eux-mêmes ne le sont pas parfaitement : exposant ensemble, partageant certains concepts esthétiques, les avant-gardistes de la peinture moderne ne possèdent pas d’unité plastique et l’impressionniste parfait n’est qu’une fiction critique, qu’une création idéalisée inventée par quelques amateurs d’art lettrés tels Théodore Duret ou Edmond Duranty. Et l’on saisit alors que l’impressionnisme littéraire serait un art de la fuite, une manière stylistique de résister aux classifications.

Le constat de l’étonnant oubli de cet impressionnisme littéraire fut l’élément déclencheur de notre étude. « Literary impressionism » du champ anglo-saxon, « Impressionismus » allemand n’ont guère, dans les manuels littéraires scolaires et universitaires, d’équivalent français, alors que c’est en France que naquit le courant pictural. Un tel décalage relèverait-il du symptôme culturel ? Dans le pays du plan parfait en trois parties, de l’esprit cartésien et du classicisme des jardins à la française, le vague d’une notion née elle-même du flou d’une peinture ferait ainsi nécessairement long feu2. Ce qui ne se conçoit pas clairement ne pouvant tout simplement « être », cette étrange catégorie serait rapidement passée à la trappe de l’histoire – et l’effacement se fit par dégradations sémantiques successives, par extensions dépréciatives, tant et si bien que l’adjectif « impressionniste » en est venu à qualifier désormais ces approches trop subjectives, qui manquent de rigueur3.

À la poursuite d’une négation initiée dès l’épigraphe barthienne, il nous faut préciser ici ce que ce livre n’entend pas être. Ce livre n’est pas un recueil de textes qu’accompagneraient, telles des illustrations, des reproductions de toiles. Ce livre n’est pas non plus une collection de peintures impressionnistes choisies qui seraient poétiquement ponctuées, fort esthétiquement, d’un spicilège de miroitantes citations. Ce livre n’est pas davantage un ouvrage de stylistique consacré à la seule prose de quelques auteurs célèbres de l’époque impressionniste. Ce livre est encore moins un traité d’histoire de l’art analysant les techniques picturales des célèbres impressionnistes. Ce livre ne présentera pas, au bout du compte, une histoire critique linéaire de l’impressionnisme littéraire ; et surtout, ce livre n’offrira guère à ses lecteurs la mirifique obole de ces cartons à chaussures où ils auraient pu utilement ranger, à l’abri de la poussière, les peintres et les écrivains de la fin du xixe siècle. L’impressionnisme littéraire nous intéresse justement parce qu’il est un paradigme qui contrarie le concept même de catégorie. Et pour répondre au titre quelque peu ironique d’un récent article de Bernard Vouilloux, ce livre n’en finira pas, enfin, avec l’impressionnisme littéraire4. Car ce livre est écrit, bien au contraire, pour (re)commencer5.

Ferdinand Brunetière puis Gustave Lanson, s’intéressant à l’écriture artiste, à la picturalité du texte, inventèrent l’idée d’un impressionnisme littéraire à la fin des années 18706. Au lendemain de la guerre franco-prussienne et à l’aube des années folles, l’impressionnisme littéraire est donc né avec « ce quelque chose qu’on nous permettra d’appeler la modernité ; car il ne se présente pas de meilleur mot pour exprimer l’idée en question7 » ; modernité d’une époque où les styles littéraires foisonnent. Courant qui, contrairement au réalisme, au naturalisme, au symbolisme, ne demeura qu’à l’état de trace, il s’agirait là d’un style plus ponctuel que d’époque, qu’il conviendrait d’entendre d’une manière transversale. Car certes, aucun romancier – qu’il ait revendiqué le qualificatif à la manière d’Émile Zola ou de Marcel Schwob, ou que la critique soit prompte à le qualifier tel, comme ce fut le cas pour Daudet lu par Brunetière – n’est à proprement parler « impressionniste », mais ils le furent presque tous, par phases, et quasi en pointillé, entre 1870 et 1914. Pour parvenir à dégager les traits les plus saillants de l’impressionnisme littéraire, il faudra alors avant tout se refuser à plaquer sur notre champ des étiquettes préétablies. Plutôt que de commencer par des textes sur lesquels une analyse stylistique serait forcée, nous entendons circonvenir notre objet d’étude par le biais de la critique d’art : c’est en s’appuyant sur les toiles, mais aussi sur les discours qui les entourèrent, que l’on peut comprendre qu’une catégorie semblant initialement plastique soit devenue littéraire.

Comme le souligne l’alliance de termes, le nom « impression­nisme », originellement utilisé pour la peinture, fut appliqué à la littérature. Notons que, lorsque pour la première fois en 1874 l’adjectif « impressionniste » avait été utilisé pour qualifier un groupe de peintres, le terme suggérait déjà une tension entre le pictural et le textuel. L’« impression » dont Claude Monet avait choisi d’orner le titre de sa toile était sans aucun doute malicieuse, et détournait l’idée même d’intitulé en embuant de flou une expression des plus claires et lumineuses8. Ce n’est bien entendu pas le langage qui suffit à l’effet « impressionniste » du tableau de Monet – reste que l’ajout d’un seul mot accorde titre et toile à la perfection. Il s’avère laborieux, tant Impression, soleil levant a acquis un statut quasiment mythique, de parvenir à savoir si l’équivalence esthétique est réellement aussi idéale qu’elle le paraît – ou si tout ceci n’est pas qu’une sorte d’illusion mentale, née d’habitudes culturelles, de récurrences aussi de cette toile et de ce titre jusque dans certaines affiches publicitaires des couloirs du métro parisien. Mais nous choisissons néanmoins d’accepter le titre de la toile de Monet comme représentant l’exemple le plus extrême – mais aussi le plus parfait – d’impressionnisme littéraire.

À la croisée des questions d’écriture, de peinture, de saisie de l’espace, du mouvement et de la lumière, l’impressionnisme est un concept esthétique éminemment moderne, qui fait s’entrelacer et se confronter toutes les questions de représentation. Force est pourtant de constater que ce n’est quasiment que sous la forme brève d’articles que l’impressionnisme littéraire a été pris en compte au cours des deux dernières décennies. Lorsque l’on sait combien le domaine du texte/image est à la mode, lorsque l’on a conscience également du nombre sans cesse croissant de publications consacrées chaque année à l’impressionnisme pictural, il est d’autant plus surprenant que nul livre dédié à ce seul thème n’ait encore paru en France. Aussi une réflexion de long format sur l’impressionnisme littéraire s’imposait-elle9.

Transculturel selon Peter Stowell, quasi transhistorique pour Fredric Jameson, l’impressionnisme littéraire qui traverserait époques et continents ne peut donc être redéfini que si l’on interroge ses limites. Sera-t-il question du fond versus la forme ? Des couleurs versus le trait ? Oui, parfois, et d’autant plus que les rapports entre images et textes seront au cœur de notre réflexion. Dépassement dialectique de ces entre-deux, cet essai se propose de partir tout à la fois des définitions de l’impressionnisme littéraire de Brunetière et Lanson et de la mise en contact de peintures et d’extraits de textes choisis. Nous voulons ainsi poursuivre ce que suggérait Bernard Vouilloux dans un des premiers articles qu’il a consacrés à l’impressionnisme littéraire, et montrer combien art et littérature se mêlent jusqu’à la confusion, combien l’impressionnisme est mutation, « à chercher du côté non du mimétique, mais du sémiotique10 ». De fait le corpus s’est-il constitué tout d’abord via une collecte d’archives, de peintures impressionnistes, de citations, de choix de passages narratifs et poétiques où l’impression affleurait, de remarques également d’écrivains et de critiques. Pour éviter l’écueil des simples évocations du style « impressionniste » de tel ou tel auteur, il convient de choisir un point de vue d’ensemble rendant compte de la question d’impressionnisme littéraire, et nous n’avons donc limité ni notre corpus, ni nos méthodes critiques. Toutefois, les auteurs vraiment analysés furent surtout ces « phares » de l’histoire littéraire qui, tels Zola, Huysmans ou Mallarmé, ont écrit des critiques d’art. Soulignons qu’un certain perspectivisme nous semble à même de rendre lisible l’éparpillement des subjectivités qui marqua la fin du xixe siècle. Et c’est pourquoi nous avons choisi une approche éclectique teintée de phénoménologie, apte à révéler ce concept transversal et mouvant qu’est l’impressionnisme littéraire11.

Afin de comprendre le paradoxe d’une catégorie fuyant les définitions, la structure de cet essai se veut tout autant logique qu’organique, jouant de métaphoriques lacets soyeux qui se lieraient et s’entrelaceraient en une tresse tricolore. Le premier lien, tissé de jaune, irait du contexte au texte, de l’histoire de l’art à l’histoire littéraire. La première partie est en effet du côté de l’air du temps et des échanges artistiques autour de la question de représentation de l’impression, tandis que la seconde précise, en délaissant les toiles pour les textes, la dialectique entre l’œil et la main que sous-tend l’impressionnisme littéraire. C’est également la problématique du tout et des parties inscrite au cœur du concept d’impressionnisme qui articule notre livre, et le deuxième ruban enjolive de son bleu une avancée allant du tout vers son morcellement, en synecdoque. L’écrivain impressionniste évoqué dans toute sa corporalité, ses échanges et amitiés dans la première partie est fragmenté dans la deuxième, qui ne voit plus de lui que la main qui écrit, que son œil, qui déchiffre le monde qui l’entoure – œil qui est aussi celui du lecteur. Car le troisième et dernier cordon tramant notre problématique n’est autre que ce ruban blanc allant de la peinture à l’écriture pour finir sur la lecture, construisant de manière picturale la figure de l’écrivain impressionniste, avant que de constater l’effacement symbolique de ce dernier.

L’argument principal qui permet à nos trois liens de se superposer, de se tisser en trame colorée sans jamais s’emmêler est donc le suivant : l’impressionnisme littéraire ne peut se définir qu’à la fois et quasi simultanément dans son rapport à la peinture et dans sa facette stylistique. Au point de départ de notre étude, il y a l’habituel désaccord méthodologique entre les chercheurs s’intéressant à l’impressionnisme littéraire : certains n’en étudient que le pendant pictural, prônant un passage par la peinture pour mieux révéler l’écriture ; d’autres se contentent d’en évoquer le style, en se concentrant sur l’analyse du texte12. Nous optons quant à nous pour une forme de troisième voie, où textes et images auraient une semblable importance. Aussi, sous un même galon de jaune, de bleu et de blanc, tandis que la première partie de notre travail constituera une présentation de l’époque et des relations entre peintres et écrivains, mettant l’accent sur les liens entre écriture et peinture, la seconde traitera du style.

Intitulée « Portrait des artistes en écrivains », la première partie est consacrée au Zeitgeist de cette époque. Dans le but de montrer que peintres et écrivains partagèrent alors les mêmes concepts cognitifs et les mêmes principes de représentation – et que de tels partages brouillent les pistes de toute étude de l’impressionnisme littéraire –, portraits et textes sont considérés en parallèle. Constatant qu’en 1876, Mallarmé fit l’éloge de Manet tandis que Duranty encensait Degas, Manet et Degas, tous deux à la fois partie prenante et marginaux de l’impressionnisme pictural, constituent les deux pivots de notre étude. Nous évoquons dans un premier chapitre les échanges et amitiés entre Manet et Baudelaire, puis Astruc, puis Zola et enfin Mallarmé, nous arrêtant à la fois sur les portraits peints par Manet et les textes de ces écrivains et poètes. Puis, avec le deuxième chapitre, vient le tour de Degas qui peignit un portrait de Duranty qui s’apparente curieusement, ainsi que nous le montrons, à la description par Brunetière d’un Daudet impressionniste. Autour de l’amitié et des échanges entre Degas, Valéry et Mallarmé, le caractère pictural – voire impressionniste – de certaines photographies est également pris en compte.

« Capturer l’insaisissable : la main et l’œil », deuxième partie de l’étude, constitue un retour vers les textes. Le premier chapitre, « La mainmise du style », évoque les diverses frontières en isme de l’impressionnisme littéraire et considère également des questions génériques, telle la possibilité d’une poésie voire d’une musique impressionniste. Prenant pour point de départ les définitions que Brunetière puis Lanson firent de l’impressionnisme littéraire, nous comparons tout d’abord, en microlecture, le style des Goncourt et de Daudet. La distinction entre impressionnisme littéraire et écriture artiste ayant été établie, s’esquisse une étude de la question d’écriture à quatre mains. Puis, passant du réalisme au naturalisme, nous comparons le travail de recherche fragmentaire et possiblement impressionniste des Goncourt et de Zola, ainsi que leurs styles respectifs et la question de roman expérimental telle qu’ils l’énoncèrent dans certaines de leurs préfaces. C’est ensuite l’idée d’une poésie impressionniste qui est interrogée, via des marines de Verlaine et Rimbaud, considérées de manière comparative. Ce premier chapitre touche à sa fin avec les questions de monologue intérieur et de musique – soit en un rapprochement du symbolisme et de l’impressionnisme littéraire. Le second chapitre dont le titre est « Impression, œil lisant » est consacré à la superficialité lisible du style impressionniste, ainsi qu’à la question de lecture des impressions, au fil d’une flânerie citadine voire d’un texte. À partir de l’analyse structuraliste que Barthes fait de la tour Eiffel, le Paris des impressionnistes est présenté comme un livre déchiffrable du regard. Ce regard qui saisit, nous en trouvons une définition possible chez Laforgue, et étudions la dynamique picturale et stylistique de l’œil et de la main. Revenant sur le Paris « visible » du flâneur, nous nous arrêtons sur les fragmentations urbaines qu’étudia Simmel, et qui se seraient inscrites dans le style impressionniste lui-même. Et c’est avec la question de la lecture, via Mallarmé et Van Gogh que se clôt cet ultime chapitre.

1. Roland Barthes, L’Empire des signes, Genève, Albert Skira éditeur, 1970, p. 1.

2. L’évolution historique des publications critiques autour de la question d’impressionnisme littéraire corrobore notre hypothèse, et ce d’autant plus que l’essentiel des publications consacrées à la question est publié aujourd’hui au Royaume-Uni ou aux États-Unis. En 2000, Tamar Katz s’est tournée exclusivement vers la littérature britannique pour analyser la postmodernité de textes littéraires impressionnistes. Selon elle, l’impressionnisme pictural autant que littéraire rendrait possible un détachement voire un effacement des contextes historiques et sexuels, et libérerait des subjectivités plus féminines que masculines. En 2001, Jesse Matz a présenté l’impressionnisme littéraire comme un produit du poststructuralisme, qui tisserait l’étoffe des fictions de la postmodernité. Dans son ouvrage de 2010, Max Saunders s’est quant à lui arrêté sur l’impressionnisme littéraire d’auteurs tels qu’Henry James, Joseph Conrad et Madox Ford. Saunders propose deux chronologies possibles de l’impressionnisme littéraire. Il s’agirait soit d’un courant situé entre celui du réalisme et du modernisme, et correspondant à la fois à la temporalité de l’impressionnisme pictural, ainsi qu’à l’origine de la phénoménologie ; soit d’un retour sur la notion même d’impression, trouvant ses sources philosophiques dans l’empirisme et le scepticisme anglais (particulièrement les travaux de Locke, de Hume et de Berkeley), et allant en littérature du réalisme psychologique du milieu du xixe siècle jusqu’au modernisme. C’est enfin surtout à la question du tout et des parties que s’est intéressé Adam Parkes dans son livre de 2011, où il soutient que l’impressionnisme littéraire constitue un ensemble de pratiques formelles et stylistiques ayant découlé d’interactions dynamiques entre des facteurs esthétiques et historiques. Et qu’il ne peut donc être entendu que si l’on resitue historiquement les événements et les moments de son évocation.

3. Péjoratif, l’impressionnisme l’est hélas aujourd’hui jusqu’au bout du cliché. Nicole Savy est revenue sur cette question d’un oxymore étonnant qui confère du « flou » à une notion initialement fondée sur l’analyse visuelle : « Ce quelque chose mal défini, comme une tache ou une ombre, voilà ce que désigne aujourd’hui couramment l’adjectif impressionniste, retrouvant sa première valeur péjorative (approximatif, mal fait) mais appliqué à tout autre chose que la peinture et même que la littérature. La langue vulgaire, celle des clichés de la presse et de la vie quotidienne, l’applique à vrai dire à n’importe quoi : elle utilise l’épithète pour désigner sa propre imprécision. » (Nicole Savy, « Un flou impressionniste. Sur un malentendu sémantique et iconographique », Romantisme, no 110, 2000, p. 29.)

4.Bernard Vouilloux, « Pour en finir avec l’impressionnisme littéraire. Un essai de métastylistique », Questions de style, no 9, 2012, p. 1-25.

5. Peut-être l’impressionnisme littéraire est-il bel et bien en train de retrouver ses jalons dans le champ de la critique littéraire ? Le début du xxie siècle a en effet été marqué par un sursaut d’intérêt pour cette thématique outre-Atlantique. Preuve en serait également le colloque « Impressionnisme et littérature » organisé début juin 2010 par le CÉRÉdI dans le cadre du festival « Normandie impressionniste », et dont certaines communications avaient trait à l’impressionnisme littéraire. Et Camilla Storskog a publié en 2011 un intéressant précis sur le cas particulier de la Finlande.

6. Notons qu’après deux décennies où la plupart des écrits sur l’impressionnisme littéraire étaient dans le droit fil des écrits de Ferdinand Brunetière et de Gustave Lanson, ce furent surtout les universités allemandes puis d’Amérique du Sud qui suivirent Charles Bally avec des travaux de thèse et des ouvrages où s’ébauchaient des théories essentiellement stylistiques, syntaxiques et saussuriennes de l’impressionnisme littéraire. En 1952, à l’ouvrage de Ruth Moser consacré à l’impressionnisme français dans les domaines de la peinture, de la littérature et de la musique, semblait répondre celui d’Helmut Harzfeld, proposant une approche artistique de la littérature française. Mais dès 1968, le « Symposium on Literary Impressionism » annonçait la mort de l’impressionnisme littéraire, catégorie considérée comme trop confuse.

7.Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1976, t. 2, p. 694.

8. John House rappelle que dès 1865, les critiques avaient nommé Charles-François Daubigny – du fait de son goût pour les motifs révélant les effets flous des atmosphères – chef de file de « l’école de l’impression ». (Cf. John House, Impressionism Paint and Politics, New Haven/Londres, Yale University Press, 2004, p. 46.) Il est également possible que Monet soit allé chercher chez ce spécialiste des atmosphères une telle terminologie. Meyer Schapiro considère que, loin de ces influences artistiques, le caractère littéraire serait premier puisque Monet aurait plutôt opté pour un terme découvert dans la littérature de voyage (Meyer Schapiro, Impressionism : Reflections and Perceptions, New York, Georges Braziller, 1997, p. 23). Les deux théories ne nous paraissent pas contradictoires, étant donné que les impressions paysagères des toiles de Daubigny sont celles de la promenade, sinon du voyage.

9.Notre entreprise s’appuie sur les travaux de Bernard Vouilloux qui, par le biais métacritique et métastylistique, est parvenu, en deux articles publiés en 2000 et 2012, à expliciter les thèses désuètes et fallacieuses qui sous-tendent habituellement les études consacrées à l’impressionnisme littéraire.

10.Bernard Vouilloux, « L’“impressionnisme littéraire” : une révision », Poétique, no 212, février 2000, p. 85.

11. Notre point de vue s’accorde avec celui de Charles Lalo, prônant une « philo­sophie de la critique d’art », ainsi qu’une méthode phénoménologiste qui ferait converger travaux d’historiens, de critiques et d’esthéticiens : « De l’impressionnisme elle retient ce fait certain, qu’il n’y a au monde que des opinions individuelles. Du dogmatisme elle consacre cette conviction féconde, que dans le domaine du beau comme partout il y a, il ne peut pas ne pas y avoir des lois nécessaires, donc généralisables. Mais elle prétend tirer ces lois générales de ces faits individuels ; et en cela elle refuse d’être un dogmatisme absolu, elle devient véritablement scientifique, c’est-à-dire relativiste. » (Charles Lalo, Introduction à l’esthétique, Paris, Armand Colin, 1912, p. 326.)

12. Notons qu’il n’est pas impossible que ces deux méthodes aient partie liée avec des différends culturels car, si l’on généralise, le point de vue universitaire français serait texto-centriste tandis que ce serait l’image qui primerait outre-Atlantique.

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